Les européennes ont d’abord parlé et infligé une nette défaite aux points à E. Macron et à la macronie. Et puis le 1er tour des législatives a infligé ce qu’en termes pugilistiques on appelle le ko. Celui qui vous renvoie aux vestiaires pour un réveil difficile. Le second tour va constituer, à n’en point douter, la sortie du paysage politique. En tout état de cause une nouvelle cohabitation se profile en traits bien apparents. C’est inéluctable. C’est mathématiquement et politiquement écrit. Ce sera la quatrième de la Ve République et elle durera trois ans. Elle sera inédite (avec un bloc extrême), se fera avec majorité absolue (peu de chances) ou relative (d’un nouveau genre). Elle risque aussi d’être très conflictuelle voire de dégénérer en crise. En de pareilles circonstances, le président a l’arme de la dissolution. Mais c’est un pistolet à un coup. Et là il se trouve qu’E. Macron a déjà tiré ! Pour un an c’est l’abstinence en ce domaine ! Il en envisagerait déjà une autre pour le printemps prochain….
Disons un mot de cette dissolution prévue à l’art. 12 C. Les dissolutions sous a Ve ont été effectuées par C. de Gaulle (1962,1968), F. Mitterrand (1981,1988), J. Chirac (1997). Si les quatre premières ont permis de gérer une crise de régime, celle de J. Chirac a ouvert une nouvelle ère, la dissolution du 3e type. La dissolution effectuée par E. Macron le 9 juin dernier, s’inspire de celle de J. Chirac, mais elle risque de provoquer une crise de régime sans précédent. A quoi risque-t-on d’assister ? Soit à une victoire du bloc RN, soit de façon bien moins certaine à celle du NFP. Avec une majorité absolue ou relative. Résultat ? Le président devra nommer à Matignon une personnalité issue du RN. Jordan Bardella par exemple. On peut gloser mais il n’aura strictement aucun autre choix. S’il s’agit d’une majorité absolue, le travail parlementaire pourra tant bien que mal se dérouler. Mais si c’est une majorité relative, il y aura une impossibilité de fonctionner c’est-à-dire de réaliser ce pourquoi l’Assemblée est là : légiférer. Cette situation risque d’amener une gouvernance à l’italienne ou à l’israélienne. A la vérité il n’y avait aucune crise nécessitant de dissoudre et surtout pas à cette période. A ce stade de gouvernance du mandat, il était loisible à G. Attal de « jouer » encore du 49-3. Au surplus un tel usage de l’art. 12 aurait largement pu attendre que les JO soient passés. Une rentrée sociale compliquée avec des soubresauts à l’Assemblée, eut été un motif à notre sens.
Dorénavant on peut envisager, comme l’indique D. de Villepin « une crise de régime ». Elle se nourrira d’une crise sociale, civile même, issue du résultat des législatives. Donc en cas de crise grave, ingérable, le président ne pouvant plus compter sur la dissolution, aura selon nous deux solutions : se démettre ou s’en remettre aux textes constitutionnels.
Se démettre
Alors M. le président, nonobstant votre implication à tous crins, vous avez perdu ces européennes, vous et vous seul. Les législatives ont confirmé en l’amplifiant votre échec. On aurait pu penser que vous prendriez un nécessaire recul sur les législatives et laisseriez votre Premier ministre (bien plus populaire que vous) mener la campagne. Il n’en a rien été. Par nature et par posture vous ne pouvez vous empêcher d’occuper la scène. Vous oubliez trop cette phrase du général de Gaulle : « Prenez invariablement la position la plus élevée, c’est généralement la moins encombrée. » C’est aussi çà l’esprit des institutions. Mais, depuis 2017, en aucune façon vous n’avez su (voulu ?) intégrer ce dernier. Vous avez pratiqué le plus souvent un hyperprésidentialisme sarkozien. D’ailleurs l’ancien président disait de vous « c’est moi en mieux ». Dorénavant c’est en pire ! Comme le note encore D. de Villepin vous avez « usé et abusé de vos pouvoirs » et surtout « montré une surdité sans égale ». Cette dissolution suggérée par quelques « cloportes » (B. Le Maire) en atteste.
Donc pour ces législatives vous avez en quelque sorte remis la gomme et cela a rajouté aux difficultés d’un scrutin perdu d’avance pour votre camp. Alors à l’issue de ce premier tour scrutin, on ne peut que constater que, face à la cohabitation, vous serez ultra minoritaire (50 à 60 députés). On peut le dire désormais le roi est nu.
Que pourra-t-il faire ce roi (telet)? La cohabitation avec le RN sera très compliquée avec le gouvernement et sa majorité. Plus grave la rue risque d’être envahie par les ultras gauchos, blackbloks, antifas et cie. Cela peut dégénérer. Le roi aura selon nous deux solutions. D’abord nous disions se démettre. C’est-à-dire démissionner. Ce n’est pas infamant. Dans des circonstances bien plus calmes il est vrai, de Gaulle l’a fait en 1969. La décence commanderait tout de même d’attendre la fin des JO. Il est des hypothèses où se démettre n’est pas un signe de faiblesse. Cela permet de trancher, de clarifier aussi. Et, peut-être, de sortir par le haut. Cette sortie de l’histoire vous y pensez déjà, comme tous ceux avant vous.
Le 28 avril 1969 étaient publiées, dans la matinée, le communiqué suivant :
« Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République »
« Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ;
de Gaulle ».
C’est simple, clair, efficace. Certes un peu lourd de conséquences. Mais attention M. le président, votre démission devrait être celle du panache. Celle qui vous permet d’assumer un beau rendez-vous avec l’histoire. Et vous nous honorerez même d’un grand discours dont vous avez le secret. Mais en aucun cas il ne saurait agir d’une démission pour mieux revenir. En effet, tous les observateurs politiques, et surtout les acteurs qui font actuellement campagne, en attestent. Sur le terrain, M. le président votre personne suscite un rejet quasi-total. Dans le baromètre Elabe pour Les Echos, vous recueillez à peine 24 % d’opinions favorables (publié le 13 juin 2024). Cette dissolution a causé votre perte de façon insurmontable, irrémédiable. Votre lettre aux Français n’y a strictement rien changé.
Que se passe-il donc, M. Macron, si vous quittez le pouvoir ? Le Premier ministre informe le Conseil constitutionnel qui constate la vacance de la présidence. Selon l’art 7 C le président du Sénat assure l’intérim qui doit expédier les affaires courantes et organiser une nouvelle élection entre vingt et trente-cinq jours après le constat. Au cas où, la voie est donc tracée M. le président Macron. Vous avez depuis quelques temps assez souvent invoqué le général de Gaulle. Pourtant il est une des figures phares de cet ancien monde dont vous ne vouliez plus ! Vous inspirer de lui, serait une belle manière de lui rendre hommage et, peut-être aussi, de remercier ce pays pour trop de services non rendus. La dissolution en est la quintessence.
Se soumettre aux textes
Bien sûr vous ne quitterez pas le pouvoir M. Macron car vous avez répété être là jusqu’en 2027. C’est institutionnellement imparable. Alors avec cette cohabitation, il vous faudra peut-être faire face à une crise civile sérieuse. D’ailleurs vous l’avez évoqué cette crise comme aucun de vos prédécesseurs n’a osé le faire. Comme si vous l’appeliez, inconsciemment, de vos vœux. Donc dans ce cas il faudra vous en remettre aux institutions. Notre société actuelle est paradoxale à bien des aspects. Si, comme le laisse entendre le 1er tour, le RN et ses alliés deviennent majoritaires, il y aura le risque d’une crise dans nos rues menée par les extrémistes gauchistes de tous crins et quelques racailles de banlieues. A fortiori si c’est une majorité absolue. Alors que si cette majorité repose sur le NFP, il ne se produira rien ou quasiment rien. En effet il faut constater que les troupes d’extrême-droite ne se mobilisent pas vraiment. Les services de renseignements l’ont souligné. On peut dire que les anti-fas sont plus virulents que les anti-stals ! Mais on ne sait jamais…. Il y a déjà eu les premiers signes dans quelques villes le samedi 15 juin. Ça a bougé dimanche soir dans un certain nombre de villes. Donc face à un scénario où cela dégénère, vous avez une solution M. Macron : vous en remettre à la Constitution en demandant la mise en place de législation d’exception pour endiguer la crise. Ainsi l’état d’urgence, l’état de siège ou, ultimum remedium, l’art. 16 seront des outils à votre portée. Pour les deux premiers, il faut l’accord du gouvernement (décision prise en Conseil des ministres). J. Bardella, sera enclin à agir de concert avec vous pour rétablir l’ordre public (leitmotive fort du RN). C’eut été bien plus compliqué avec M. Mélenchon ou M. Bompard incompatibles avec le respect de l’ordre public et les forces chargées de le faire respecter.
Passons en revue ces règles de sauvegarde du fonctionnement régulier de l’Etat. L’état d’urgence a été institué par la loi 3 avril 1955 et modifié plusieurs fois, en particulier par l’ordonnance du 15 avril 1960 et la loi du 20 novembre 2015. Décidé par décret en conseil des ministres, il peut être déclaré sur tout ou partie du territoire soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas de calamité publique (catastrophe naturelle d’une ampleur exceptionnelle). D’une durée initiale de 12 jours, l’état d’urgence peut être prolongé par le vote d’une loi votée par le Parlement. Ce régime d’exception permet de renforcer les pouvoirs des autorités civiles et de restreindre certaines libertés publiques ou individuelles. Un accord sera aisément trouvé avec M. Bardella, on l’a dit, pour mettre en œuvre cet état d’urgence.
L’état de siège est prévu par l’article 36 de la Constitution. C’est le cran au-dessus du précédent. Il restreint aussi les libertés publiques. Décrété en Conseil des ministres, il est mis en place en cas de péril imminent, pour faire face à un conflit (troubles intérieurs graves, par exemple). Prévu pour une durée de 12 jours, il peut être prolongé par une loi. Mais, contrairement à l’état d’urgence, les pouvoirs de police sont exercés par les autorités militaires aux compétences accrues. Des juridictions militaires peuvent alors juger les crimes et délits contre la sûreté de l’État, portant atteinte à la défense nationale qu’ils soient perpétrés par des militaires ou des civils. Autant c’eut été inenvisageable avec un Premier ministre NFP, autant ce le sera avec J. Bardella.
L’article 16 de la Constitution ce n’est ni plus ni moins que la mise en œuvre d’une sorte de « grosse Berta ». Il s’agit ici d’un pouvoir propre du chef de l’Etat qui est donc dispensé de contreseing ministériel. Mais il est très conditionné. Présentons-le rapidement. Lors de la mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution, le président de la République est doté de pouvoirs exceptionnels et concentre dans ses mains des prérogatives exécutives et législatives. Deux conditions doivent être réunies :
. une menace grave et immédiate pesant sur l’indépendance de la Nation et l’intégrité du territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux ;
. le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu.
Le Président doit procéder à des consultations plus signifiantes que pour la dissolution. Ce sont : le Premier ministre, les présidents des assemblées parlementaires, le Conseil constitutionnel. Également, moment de solennité, il doit en informer la Nation. Le Parlement est réuni de plein droit et l’AN ne peut être dissoute. Les mesures présidentielles doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet. Au-delà de 30 jours le Conseil se prononce sur l’opportunité de prolonger l’art. 16. La seule application de ce dispositif a été par le général de Gaulle en 1961 lors du putsch des généraux d’Alger. Cela a servi à mettre fin à la crise algérienne et, en quelque sorte, a préfiguré la décolonisation.
Alors si la victoire du RN est confirmée voire amplifiée au soir du 7 juillet, les choses pourraient mal tourner (émeutes, saccage de bâtiments publics,). Selon leur ampleur l’art. 16 serait une possibilité. Rappelons qu’il est un pouvoir propre du chef de l’Etat. Mais les choses vont alors se compliquer. Ainsi il devra d’abord procéder aux consultations d’usage. Avec J. Bardella se sera envisageable sans problème on peut le penser. Au Sénat, G.Larcher devrait se prononcer pour. Quant à l’Assemblée Nationale avec un ou une présidente RN ce devrait être la même chose. Quant au CC, vu son inclination fondamentaliste droitdel’hommiste depuis quelques années, ce sera bien plus complexe. Et le rôle de ce dernier est d’importance en ce cas qui donne aussi son avis sur les mesures prises.
Depuis Mai 68, il n’y a jamais eu un risque aussi fort d’une crise politique et sociale. Même si le pire n’est jamais sûr. Ainsi lorsque Mitterrand a été élu en 1981, une partie de la classe politique de droite redoutait les chars russes sur les boulevards de Paris ! Il n’en a rien été bien sûr. D’abord parce que, en ce temps-là, les responsables politiques étaient d’une toute autre tenue, tant dans la majorité que dans l’opposition. Revoyons les images de l’Assemblée de l’époque ! Sur les bancs des gens dignes, cultivés, orateurs de qualité parfois bretteurs mais toujours à la hauteur de la fonction. Aucun n’aurait eu l’idée d’agiter un drapeau pour se donner une chance d’exister. Et puis, disons-le aussi, n’est pas Mitterrand qui veut !
Le Samedi 15 juin les manifestations anti-RN, qu’on attendait, ont rassemblé quelques 200000 personnes. Elles n’ont pas débordé outre-mesure. Heureusement. Mais même N. Sarkozy a estimé qu’il existait, un risque de chaos.
Notre pays vit un moment qu’il n’a jamais connu. Il a rendez-vous avec l’histoire qui pourrait être lourd de conséquences. Alors il est vrai que, dans les graves moments de son histoire, la France s’est toujours relevée. Pour ce faire, elle a pu compter sur des hommes d’exception : Robespierre, Napoléon 1er, de Gaulle. Mais depuis quelques décennies, ce genre d’hommes a disparu. La source est tarie. Et face au chaos qui se profile, qui saura prendre le gouvernail ? On ne le sait. A vu d’homme, il n’en est pas. Le théâtre où évolue la grande majorité de nos politiques est un vaudeville de cinquième classe. Mais il est aussi un fait certain c’est que, le plus souvent, on a les gouvernants que l’on mérite. Le peuple, l’électeur, est souverain, on le sait. Mais il n’est pas toujours éclairé, guidé comme il se devrait.
Oui, le peuple français est le peuple le plus intelligent de la terre. Voilà pourquoi, sans doute, il ne réfléchit pas (Edgard Faure).
Raphael Piastra
Maitre de Conférences des Universités
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