La réponse au Covid-19 sera l’un des principaux points à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil de l’Atlantique Nord au niveau des ministres de la Défense qui se tiendra les 17 et 18 juin 2020 par l’intermédiaire d’une téléconférence sécurisée1. À la veille de cette réunion, Gaël-Georges Moullec nous propose une analyse mettant en lumière la nécessité d’une coopération OTAN-UE dans la lutte contre les pandémies dans la zone euro-atlantique2.
Depuis 2017, le président Trump souligne régulièrement l’existence de divergences entre les intérêts américains et européens. Dans un tel contexte, les initiatives prises par l’OTAN face à la renaissance de la Russie parviennent toutefois mal à cacher l’affaiblissement des liens entre Alliés3.
Dans ce contexte, la crise du Covid-19 allait devenir un nouvel irritant dans la relation transatlantique.
Dès mars 2020, les dirigeants de l’UE constatent que Covid-19 est une crise mondiale « qui appelle une coopération plutôt que des actions unilatérales » et désapprouvent « le fait que la décision des États-Unis d’imposer une interdiction de pénétrer sur leur territoire ait été prise unilatéralement et sans concertation »4.
En réponse, le président Trump souligne que la rapidité de diffusion du virus nécessite des mesures immédiates et que les dirigeants européens ne consultent pas toujours les États-Unis avant de prendre des décisions politiques importantes, comme par exemple, sur les questions de taxation5.
Telle est l’atmosphère de défiance, voire de méfiance ou de critiques ouvertes entre les deux bords de l’Atlantique dans laquelle se développe la crise du Covid-19, à la fois dans les pays de l’OTAN et dans ceux de l’UE, qui sont souvent les mêmes6.
Chacune de ces deux organisations dispose d’une politique dirigée vers la protection civile et la gestion des catastrophes. Pour l’UE, cette politique, encadrée par les articles 214 et 196 du traité de Lisbonne est mise en œuvre par le service de la Commission européenne chargé de la protection civile et des opérations d’aide humanitaire européenne (ECHO). Au quotidien, les opérations sont placées sous la houlette du Centre européen de coordination de la réaction d’urgence (EERCC).
En ce qui la concerne, l’OTAN suit pour sa part une politique de protection des civils mise au point dans le cadre du Comité des plans d’urgence dans le domaine civil (CEPC) et dont la cheville ouvrière est le Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe (EADRCC).
Une erreur stratégique commune
La principale leçon à tirer de la catastrophe sanitaire que connaissent les pays de la zone euro-atlantique est celle des erreurs stratégiques communes aux deux institutions dans le domaine de la protection civile.
En premier lieu, la principale réponse face à une menace – dans l’UE comme à l’OTAN – est pensée comme étant la mise en commun des moyens existants. Une telle vision présuppose l’existence de ces moyens et que la menace ne touche pas l’ensemble des pays membres au même moment. Cette approche peut être concevable dans le cas d’inondations ou de tremblement de terre, mais l’est déjà beaucoup moins quand il est question de feux de forêt. Ceux-ci ont la fâcheuse tendance à éclater en même temps en été. Cette mutualisation des capacités – ce « déshabiller Pierre pour habiller Paul », cher aux comptables qui pensent être des politiques – trouve toutefois rapidement ses limites. Celles-ci sont évidentes alors que toutes les populations de la zone euro-atlantique doivent pouvoir compter – en même temps – sur des respirateurs artificiels, des masques chirurgicaux ou FFP2 ou encore des médicaments indispensables pour anesthésier ou intuber les patients.
En second lieu, depuis le début des années 2000, l’OTAN et l’UE se sont concentrées, avec des différences nées de leur nature intrinsèque, sur des dangers immédiats tels que le terrorisme, les catastrophes naturelles ou industrielles. Ceci en oubliant les menaces ancestrales, comme les épidémies qui semblaient avoir disparues de la zone de responsabilité des deux organisations. Les épidémies étant reléguées comme le défini l’UE dans ses textes légaux dans la catégorie des « low probability risk with high impact »7.
La probabilité étant faible, la force de l’impact a vite été oubliée.
En dernier lieu, l’OTAN et l’UE ont concentré leurs interventions en dehors de leur zone directe de responsabilité dans des régions comme l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie, voire même l’Amérique du Sud. Outils de coopération, de partenariat, voire d’intégration comme dans le cas des Balkans, l’aide humanitaire a été utilisée plus à des fins politiques ou de visibilité institutionnelle. Ces interventions ont été utilisées au profit d’un soft power universel plutôt que de servir l’intérêt immédiat des populations de la zone commune de responsabilité UE-OTAN.
À postériori, le constat est certes toujours simple à dresser, mais le risque est de voir perdurer un tel état de choses qui nuit à l’image des deux institutions, à l’adhésion des populations puis à terme à leur crédibilité. Comment croire en des institutions qui ne nous protègent pas face à une menace existant depuis la nuit des temps ? Ceci d’autant plus quand la Russie et la Chine – les « nouveaux adversaires » – ont été au premier rang des fournisseurs d’aide au pays de l’OTAN et de l’UE.
Une réponse commune est désormais indispensable, mais laquelle ?
Avant la crise, un premier pas avait été fait dans le sens d’une meilleure coopération entre l’UE et l’OTAN. Le 10 juillet 2018, le président du Conseil européen, le président de la Commission européenne et le secrétaire général de l’OTAN adoptent une déclaration commune soulignant la nécessité de « continuer d’assurer la cohérence, la complémentarité et l’interopérabilité des capacités développées dans le cadre des initiatives de défense de l’UE et de l’OTAN. Ces capacités doivent être à la disposition des deux organisations, sur la base des décisions souveraines des pays auxquels elles appartiennent »8. Le 17 juin 2019, le Quatrième rapport d’étape sur la mise en œuvre du groupe commun de propositions approuvées par les Conseils de l’OTAN et de l’UE des 6 décembre 2016 et 5 décembre 2017, permettait de comprendre la faible place de la protection civile dans les coopérations entre les deux organisations9.
Sur les 14 pages de ce document, seuls deux paragraphes concernent la sécurité civile, avec toutefois une avancée certaine, puisque « en cas d’urgence nécessitant une réponse parallèle de l’UE et de l’OTAN, le CEREC est prêt à accueillir une cellule de liaison de l’OTAN afin de faciliter une coopération plus étroite »10.
Une première piste est donc celle d’un renforcement de la coopération entre les deux institutions, en particulier par la mise en place de cellule de liaison. Si cette possibilité est déjà actée du côté de l’UE, la réciproque est-elle vraie du côté de l’OTAN ? Le document de 2019 n’en fait pas état. Toutefois, le simple renforcement de la coopération à partir des dispositifs existants, pour ne pas parler d’interopérabilité des systèmes, serait de nouveau un recours à cette mutualisation des capacités qui est inefficace quand le danger – ici la pandémie – touche en même temps tous les pays membres des deux organisations.
Seconde piste. Un instrument complémentaire, particulièrement utilisé par l’OTAN dans sa politique de coopération avec les pays partenaires, pourrait être constitué par la mise en place d’un Trust Fund (Fonds d’affectation spéciale) regroupant des pays volontaires des deux organisations. Les projets soutenus étant financés par des donations de montants variables issus des pays volontaires ou de sources extérieures. Restons réalistes, la crise économique post-Covid-19 conduira inéluctablement à une réduction des capacités financières des pays et à un renfermement de l’OTAN11 et de l’UE sur leur cœur de métier, la défense pour l’une, l’économie pour l’autre. Dans un tel cadre budgétairement contraint, les projets transversaux seront les premiers à souffrir.
Reste donc la solution d’un renforcement du dialogue politique. Celui-ci ne doit pas passer par des réunions où les représentants des pays membres ou des deux institutions échangeraient sur les « bonnes pratiques » respectives. Bien au contraire, il convient de mettre en place un dialogue politique préalable visant à la complémentarité et à l’interopérabilité des nouvelles capacités acquises en vue de faciliter la gestion des futures situations de « faible probabilité, mais à fort impact ». En pratique, il s’agit de parvenir à une synchronisation préalable des travaux du Comité de l’OTAN des plans d’urgence dans le domaine civil (CEPC) et de la Direction générale pour la protection européenne et les opérations d’aide humanitaire (ECHO), sous la direction du Commissaire en charge de la gestion des crises pour l’UE.
Dans un tel cadre, la coordination entre l’OTAN et l’UE ne concernerait plus uniquement des moyens déjà existants, mais serait engagée dès avant le processus de détermination des nouvelles capacités à acquérir et à mettre en place pour répondre aux futures pandémies des deux côtés de l’Atlantique.
Si les pays membres de l’OTAN et de l’UE ne sont pas en capacité de mettre en place une coopération d’une telle ampleur, qui nous apportera son « aide » en cas de crise sanitaire majeure et à quel prix ?
Gaël-Georges Moullec
Docteur en histoire
Chargé de cours à la Rennes School of Business et à l’Université Paris 13
———-
- Le mardi 16 juin 2020 à 11 heures, le secrétaire général de l’OTAN s’adressera à la presse en prévision des réunions que les ministres de la Défense des pays de l’OTAN tiendront par visioconférence les 17 et 18 juin 2020. https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_176300.htm?selectedLocale=fr ↩
- Pour suivre les efforts de l’OTAN dans la lutte contre le Covid-19, voir : https://www.nato.int/cps/en/natohq/174592.htm, pour suivre ceux de l’UE, voir : https://europa.eu/european-union/coronavirus-response_fr ↩
- À la déclaration du président Macron selon laquelle l’OTAN serait en état de mort cérébrale, le secrétaire d’État américain répond « la mort de l’Alliance transatlantique est très largement exagérée » (“the death of the transatlantic alliance is grossly over exaggerated.”) Voir: Emmanuel Macron warns Europe: NATO is becoming brain-dead, The Economist, November 7 2019 et Michael R. Pompeo “The West Is Winning,” Munich, Germany, February 15, 2020. https://www.state.gov/the-west-is-winning/ ↩
- Déclaration du président Charles Michel et de la présidente Ursula von der Leyen, avec le soutien de la présidence croate, sur l’interdiction de pénétrer sur le territoire américain dans le contexte du COVID-19, Conseil européen, 12 mars 2020 11:35. https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2020/03/12/statement-of-presidents-charles-michel-and-ursula-von-der-leyen-on-us-travel-ban-related-to-covid-19/ ↩
- https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/remarks-president-trump-prime-minister-varadkar-ireland-bilateral-meeting-3/ March 12. ↩
- Alors que l’OTAN compte 30 pays et l’Unions européenne 27, 21 pays sont membres des deux organisations à la fois (Belgique, Bulgarie, Croatie, Danemark, République tchèque, Estonie, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et Espagne). ↩
- Voir en particulier le document en date du 29 novembre 2019 -Revised Union Civil Protection Mechanism Decision: low probability risks with a high impact – Presidency discussion paper, Council of the European Union, https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-14481-2019-INIT/en/pdf. ↩
- Déclaration conjointe du président du Conseil européen, du président de la Commission européenne et du secrétaire général de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord sur la coopération entre l’UE et l’OTAN, Art 10, 10 Jul. 2018, https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_156626.htm?selectedLocale=fr ↩
- Fourth progress report on the implementation of the common set of proposals endorsed by NATO and EU Councils on 6 December 2016 and 5 December 2017, 17 June 2019. https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/pdf_2019_06/190617-4th-Joint-progress-report-EU-NATO-eng.pdf ↩
- Les thèmes traités dans ce document sont les suivants : Countering hybrid threats – p. 2-4 ; Operational cooperation including maritime issues – p. 4-5; Cyber security and defence – p. 5-6; Defence capabilities – p. 6- 9; Defence industry and research – p. 9, Exercises – p. 9-10; Defence and security capacity building – p. 11-12; Strengthening political dialogue between EU and NATO – p. 12-14. ↩
- Pour une analyse rapide, mais pertinente de l’impact du Covid-19 sur le lien transatlantique et l’OTAN, voir : Congressional Research Service, Transatlantic Relations: U.S. Interests and Key Issues, April 27, 2020, p.22. https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R45745 ↩