Dans le contexte de la guerre techno-économique entre la Chine et les États-Unis, le récent lancement de l’initiative Stargate, par son ampleur et ses objectifs, nous rappelle le Projet Manhattan d’il y a 83 ans. Et en même temps, il suscite de grandes interrogations.
Soyons clairs : l’Initiative Stargate est, avant tout, une question de géopolitique, de pouvoir et de contrôle. Annoncée à la Maison Blanche le mardi 21 janvier 2025, lors de la première « journée complète de travail » de Donald, cette collaboration de 500 milliards de dollars entre SoftBank et OpenAI représente bien plus qu’une simple avancée technologique – c’est une déclaration audacieuse de l’ambition américaine de dominer le paysage mondial de l’IA.
Bien que le gouvernement américain ne finance pas directement l’initiative, il l’approuve et la soutient vigoureusement. L’annonce a été présentée comme la première grande initiative en matière d’infrastructures de la nouvelle présidence de Donald. De plus, Donald la présente comme un mouvement stratégique pour : Assurer le leadership américain dans la technologie de l’IA, créer plus de 100 000 emplois « presque immédiatement », et contrer l’influence technologique de la Chine.
Donald a promis de faciliter le projet par des déclarations d’urgence pour accélérer le développement des infrastructures, notamment pour les installations de production d’énergie. En outre, Donald a abrogé un décret de Joseph de 2023 sur les normes de sécurité et la supervision de l’IA, éliminant ainsi les obstacles réglementaires potentiels pour Stargate.
Dans l’ensemble, l’annonce, le contexte et l’initiative sont un signal clair dans la course techno-économique Chine-USA (ou guerre, si vous préférez). C’est aussi la preuve qu’une faction des leaders de la Silicon Valley, la techno-oligarchie, s’est emparée de la Maison Blanche. Rien de nouveau sous le soleil.
Mais, où se place l’Europe dans ce paysage ? … et la France ? … On en discutera dans une tribune à venir. Maintenant, revenons à Stargate.
L’initiative est enveloppée de promesses brillantes : infrastructure d’IA de pointe, innovation en énergie propre, croissance économique et création d’emplois. Cependant, sous cette surface étincelante se cache un réseau complexe d’intérêts corporatifs et d’ambitions géopolitiques qui méritent notre attention critique.
La liste des dirigeants du projet permet de comprendre “qui est qui” dans la noblesse technologique américaine. Masayoshi Son, PDG de SoftBank, est au gouvernail en tant que président, tandis que Sam Altman d’OpenAI gère les opérations. Larry Ellison d’Oracle apporte son empire du « cloud computing », NVIDIA contribue avec sa technologie GPU, et Microsoft poursuit sa danse avec OpenAI via Azure. C’est sans aucun doute une alliance puissante, qui concentre un énorme pouvoir économique et technologique entre très peu de mains (majoritairement blanches, toutes masculines).
Au cœur de cet ambitieux projet technologique se trouve un énorme centre de données d’environ cent mille mètres carrés, l’équivalent d’environ 13 ou 14 terrains de football. (Chères lectrices et chers lecteurs, au cas où vous ne le sauriez pas, tous ces calculs dans le nuage, le fameux « cloud computing », nécessitent quelque chose de bien tangible pour se réaliser, les non moins fameux « centres de données », qui consomment énormément d’énergie et nécessitent des quantités d’eau colossales, sûrement plus que vous ne l’imaginez.)
Cette forteresse numérique sera construite dans l’État du Texas. Les plans d’infrastructure sont impressionnants : matériel de dernière génération, solutions innovantes de refroidissement, réseaux à ultra-faible latence et protocoles de cybersécurité avancés. Mais n’oublions pas que ce château numérique consommera d’énormes quantités d’énergie, soulevant des questions sur son impact environnemental malgré les promesses de durabilité.
Pause. Chères lectrices et chers lecteurs, avez-vous entendu parler du Projet Manhattan ? Ou mieux encore, avez-vous vu le film Oppenheimer ? Le Projet Manhattan était l’immense initiative lancée pour construire les bombes atomiques qui ont explosé à Hiroshima et Nagasaki. Il comprenait la construction de trois grands centres opérationnels et de soutien : Oak Ridge (Tennessee), Hanford (Washington), et le plus connu, Los Alamos (Nouveau-Mexique). La préparation de ce premier grand bond dans la course atomique semble fortement inspirer un nouveau grand bond dans la course techno-économique-politique de l’IA.
Revenons au sujet de cette chronique, Stargate.
Les objectifs stratégiques de l’initiative font écho au vieux rêve américain d’indépendance et de suprématie. Le discours parle de prévenir la dépendance américaine vis-à-vis des infrastructures d’IA étrangères, d’assurer la sécurité nationale et de maintenir la compétitivité économique. Cependant, cela soulève une question cruciale : dans un monde où la technologie ne connaît pas de frontières (contrairement à l’énergie atomique en son temps), cette mentalité de forteresse est-elle la bonne approche ?
Les efforts de collaboration entre ces géants technologiques prennent déjà forme. Microsoft et OpenAI développent un superordinateur de 100 milliards de dollars, dont la mise en service est prévue pour 2028. Oracle Cloud Infrastructure étendra la plateforme d’IA de Microsoft Azure, hébergeant potentiellement des millions de puces d’IA. Les chiffres sont stupéfiants, les ambitions énormes.
Mais au milieu de ce récit techno-optimiste, certaines questions surgissent : qui bénéficie réellement de cette concentration de puissance de calcul ? Cet investissement massif servira-t-il véritablement la société dans son ensemble, ou profitera-t-il principalement à l’élite technologique déjà extrêmement puissante ? L’initiative promet création d’emplois et croissance économique, mais l’histoire nous montre que, bien souvent, les révolutions technologiques concentrent la richesse au lieu de la distribuer.
Stargate représente un moment critique dans l’évolution de l’IA. Si ses ambitions techniques sont impressionnantes, ses implications sociales et environnementales méritent un examen minutieux. La question n’est pas seulement d’avoir la technologie la plus puissante, mais de savoir comment celle-ci peut servir le développement durable de nos sociétés. Le véritable défi n’est pas seulement le leadership technologique ; c’est de s’assurer que ce leadership se traduise par un progrès social authentique, et un développement durable et équitable, ou du moins équilibré.
Note : La réponse chinoise n’a pas tardé, elle est arrivée juste cinq jours plus tard, et, comme si elle était codé pour faire cela, elle a frappé les États-Unis là où ça fait le plus mal, c’est-à-dire, sur leurs marchés. Elle est née d’un modeste investissement de 6 millions de dollars, plus quelques centaines de milliers de puces Nvidia. Il s’agit de DeepSeek.
By Jorge Clarke, and a bunch of GenAIs
Photo : Robert Way/Shutterstock.com