Le 31 mars 2021, le président russe a signé un décret par lequel la Russie n’accepte plus de paiements en dollars ou en euros pour les livraisons de gaz vers les Etats dits inamicaux et donc en premier lieu à l’Union européenne. Au-delà de cette décision, ce sont les conséquences financières, économiques et migratoires des difficultés actuelles telles que décrites par le président russe, tout comme sa vision du rôle des Etats-Unis dans cette crise, qui font de ce texte un document d’Histoire.
Transcription de la réunion tenue par vidéoconférence le 31 mars 2022 par le président Vladimir Poutine sur le développement du transport aérien et de l’industrie aéronautique
V. Poutine : Chers collègues, bon après-midi !
Notre ordre du jour aujourd’hui est la situation de l’industrie aéronautique. Nous voulions depuis longtemps discuter de ces questions de manière exhaustive, et aujourd’hui nous allons en parler plus en détail.
Mais je voudrais d’abord aborder une question dont nous avons discuté la semaine dernière.
Aujourd’hui, j’ai signé un décret qui établit les règles du commerce du gaz naturel russe avec les États dits inamicaux. Nous offrons aux acheteurs [venant] de ces pays un système clair et transparent. Afin d’acheter du gaz naturel russe, ils doivent ouvrir des comptes en roubles dans des banques russes. Ces comptes seront utilisés pour payer les fournitures de gaz dès demain, à partir du 1er avril de cette année.
Si ces paiements ne sont pas effectués, nous considérerons qu’il s’agit [là] d’un défaut de paiement de la part des acheteurs, avec toutes les conséquences que cela implique. Personne ne nous vend rien gratuitement et nous n’allons pas non plus faire la charité. En d’autres termes, les contrats existants seront arrêtés.
Une fois de plus, dans une situation où le système financier des pays occidentaux est utilisé comme une arme, où les entreprises de ces pays refusent d’exécuter des contrats avec des banques, des entreprises et des particuliers russes, où les avoirs [russes] en dollars et en euros sont gelés, il est insensé d’utiliser les monnaies de ces pays.
Que se passe-t-il réellement, que s’est-il déjà passé ? Nous avons livré nos ressources, en l’occurrence le gaz, aux consommateurs européens. Ils l’ont reçu, [les Européens] nous ont payé en euros, qu’ils ont ensuite gelés eux-mêmes. À cet égard, il y a tout lieu de croire que nous avons livré une partie du gaz à l’Europe en fait gratuitement.
Cela ne peut évidemment pas continuer. A fortiori, sous la forme de nouvelles fournitures de gaz et de leur paiement selon le schéma traditionnel, [car ces] nouvelles entrées financières en euros ou en dollars pourraient également être bloquées. Une telle évolution est tout à fait attendue, d’autant plus que certains hommes politiques occidentaux en parlent, en parlent publiquement. D’ailleurs, les chefs de gouvernement de l’Union européenne s’expriment dans ce même sens. Les risques de ce statu quo sont, bien sûr, inacceptables pour nous.
Et si nous considérons la question dans son ensemble, le transfert des paiements pour les fournitures de gaz russe vers le rouble russe est une étape importante vers le renforcement de notre souveraineté financière et économique. Nous continuerons à avancer de manière cohérente et systématique dans cette direction dans le cadre d’un plan à long terme visant à augmenter la part des règlements en monnaie nationale et dans les monnaies des pays qui sont des partenaires fiables dans le commerce extérieur.
Par ailleurs, vous avez peut-être entendu dire que de nombreux fournisseurs traditionnels d’énergie sur le marché mondial parlent aussi déjà de diversifier leurs monnaies de règlement.
Une fois de plus, la Russie attache de l’importance à sa réputation commerciale. Nous honorons et continuerons d’honorer nos obligations en vertu de tous les contrats, y compris les contrats de gaz, et nous continuerons à fournir du gaz dans les volumes fixés – je tiens à le souligner – et aux prix fixés dans les contrats à long terme existants.
J’insiste sur le fait que ces prix sont plusieurs fois inférieurs aux prix actuels du marché spot. Pour faire simple, le gaz russe signifie une énergie moins chère, du chauffage et de la lumière dans les foyers des Européens, des engrais abordables pour les agriculteurs européens, et donc de la nourriture à long terme. Enfin, c’est la compétitivité des entreprises européennes et donc les salaires des Européens, des citoyens européens.
Cependant, à en juger par les déclarations de certains politiciens, ceux-ci sont prêts à faire fi des intérêts de leurs citoyens, juste pour plaire à leur maître d’outre-mer [Atlantique], leur suzerain. C’est du populisme à l’envers : les gens sont invités à manger moins, à s’habiller plus chaudement pour économiser le chauffage, à refuser de voyager – tout cela soi-disant au profit des personnes à qui l’on demande de faire ces sacrifices volontaires au nom de la solidarité abstraite de l’Atlantique Nord.
Cela fait des années que nous sommes témoins d’approches et d’actions aussi discutables en matière de politique économique, énergétique et alimentaire de la part des pays occidentaux.
En parlant de cela, une autre crise alimentaire suivra inévitablement, une autre vague de migration, y compris et surtout vers les pays européens.
Pourtant, pas à pas, des décisions sont prises qui poussent l’économie mondiale dans la crise, entraînant la perturbation de la production et de la logistique, entraînant une hausse de l’inflation mondiale et une augmentation des inégalités, réduisant le bien-être de millions de personnes, et dans les pays les plus pauvres – je l’ai déjà dit – la tragédie de la famine de masse.
Naturellement, la question se pose : qui est responsable de cette situation ? Qui en est responsable ?
Il est clair que les États-Unis vont une fois de plus tenter de résoudre leurs problèmes – [je dis bien] leurs problèmes – aux dépens de quelqu’un d’autre, notamment en lançant une nouvelle vague d’émissions et de déficits budgétaires. Ceux-ci ont déjà connu une croissance exorbitante et l’inflation atteint un niveau record dans les principales économies européennes tout comme aux États-Unis. Et pendant tout ce temps, ils essaient de nous faire porter le chapeau de leurs erreurs en matière de politique économique. C’est évident, on le voit bien.
J’ajouterai que les États-Unis tenteront également de profiter de l’instabilité mondiale actuelle, comme ils l’ont fait durant les deux guerres mondiales, lors de leurs agressions contre la Yougoslavie, l’Irak, la Syrie, etc. Les marchés mondiaux chutent et le cours des actions des entreprises du complexe militaro-industriel américain ne fait que grimper. Les capitaux affluent aux États-Unis, privant d’autres parties du monde des ressources [pour leur] développement.
Il en va de même pour les tentatives visant à faire passer l’Europe au gaz liquéfié américain [plus] coûteux. En conséquence, les Européens sont non seulement contraints de payer le prix, mais aussi, en fait, de saper de leurs propres mains la compétitivité des entreprises européennes et [ainsi] de les écarter du marché mondial. Pour l’Europe, cela signifie une désindustrialisation à grande échelle et la perte de millions d’emplois, et dans un contexte de hausse des prix des denrées alimentaires, de l’essence, de l’électricité, du logement et des services publics, [conduisant à] une baisse radicale du niveau de vie des citoyens.
C’est le prix que les élites occidentales au pouvoir proposent aux gens de payer, comme je l’ai dit, pour leurs ambitions et leurs actions à courte vue – tant en politique qu’en économie – y compris la guerre économique [que ces élites] tentent de mener contre la Russie ou, pourrait-on dire, qu’elles ont déjà menée.
Cela n’a pas commencé aujourd’hui, ni le mois dernier. Des sanctions et des restrictions illégales sont imposées à notre pays depuis de nombreuses années. Leur objectif est d’entraver le développement de la Russie, de porter atteinte à notre souveraineté, d’affaiblir notre potentiel en matière de production, de finances et de technologie.
Encore une fois, toutes ces sanctions ont été préparées à l’avance, elles auraient été imposées de toute façon – je tiens à le souligner. En substance, ce sont des sanctions contre notre droit à la liberté, contre le droit d’être indépendant, contre le droit d’être la Russie. [Et tout cela simplement] car nous ne voulons pas danser sur une musique étrangère, en sacrifiant nos intérêts nationaux et nos valeurs traditionnelles.
L'”Occident collectif” n’est pas prêt d’abandonner sa politique de pression économique sur la Russie. En outre, Il cherchera bien sûr de plus en plus de prétextes pour prendre des sanctions, précisément des prétextes. Il ne faut donc pas s’attendre à un changement dans ces approches, du moins pas dans un avenir proche.
À cet égard, je demande au gouvernement, à la Banque de Russie et aux régions de la Fédération de Russie de tenir compte du fait que la pression des sanctions sur notre pays se poursuivra, comme cela a été le cas au cours des décennies précédentes. C’est une réalité objective.
Ce qu’il me semble important de noter ici, et je demande à tous nos collègues d’y prêter attention : lorsque nous examinons la situation dans chaque industrie et sphère spécifique, nous devons nous concentrer non seulement sur la résolution des problèmes de cette année-ci, mais aussi sur l’élaboration de plans de développement à long terme fondés sur les capacités internes de notre économie, de la science russe et du système éducatif. Nous devons avant tout nous appuyer sur l’initiative privée et une saine concurrence, nous efforcer de maximiser l’utilisation de nos entreprises, créer de nouvelles compétences et accroître la compétitivité mondiale de la Russie dans son ensemble.
Pour nous, les indicateurs clés de l’efficacité de la politique économique devraient être la préservation et la création d’emplois, la réduction de la pauvreté et des inégalités, et l’amélioration de la qualité de vie des personnes, de l’accès aux biens et aux services. C’est avec ces exigences à l’esprit que nous avons discuté la semaine dernière de la situation dans la construction et le logement.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre série de rencontres avec l’industrie. À l’ordre du jour figure la situation, comme je l’ai déjà dit, de l’industrie aéronautique, qui joue un rôle crucial dans le développement de l’industrie russe et de ses domaines de haute technologie et qui revêt, bien sûr, une importance particulière pour les liaisons de transport et la connectivité des régions de notre vaste pays.
Permettez-moi de vous rappeler que les transporteurs aériens et les constructeurs d’avions russes ont été parmi les premiers à ressentir les conséquences des décisions inadéquates des pays occidentaux. Il y a un mois, des entreprises européennes et américaines se sont retirées unilatéralement de l’exécution de leurs obligations dans le cadre de contrats avec des compagnies aériennes et de services de Russie. En substance, ils ont escroqué leurs partenaires russes en mettant fin à la fourniture, à la location, à l’entretien et à l’assurance de l’avion. En outre, l’espace aérien des pays européens était fermé à nos avions.
Je laisse de côté pour l’instant les conséquences d’une telle décision pour les organisations étrangères elles-mêmes, notamment leur perte de réputation et les pertes directes. Je soulignerai seulement que les entreprises russes respectaient pleinement les contrats existants et étaient prêtes à continuer à le faire.
Cependant, les pays occidentaux ont fait leur coup et nous devons bien sûr y répondre. Je propose de partir de l’hypothèse qu’il n’y aura pas le même type d’interaction avec les anciens partenaires dans un avenir proche. Nous n’allons pas nous fermer à qui que ce soit et nous ne serons pas un pays fermé, mais nous devons procéder à partir des réalités qui se font jour.
Nous avons toutes les chances de faire en sorte que l’industrie aéronautique russe non seulement surmonte ses difficultés actuelles, mais connaisse également un nouvel élan de développement.
Avant tout, nous devons soutenir nos compagnies aériennes pour qu’elles continuent à fonctionner de manière régulière et rythmée, pour que les spécialistes restent employés et pour que les voyages en avion soient abordables pour les citoyens russes. Il s’agit, comme je l’ai déjà dit, de mesures rapides et urgentes.
Quant aux solutions à long terme, il est clair que la stratégie de développement de l’industrie aéronautique doit être ajustée, en s’appuyant sur ses propres ressources et en tenant compte du nouvel environnement, où il y a de la place pour des opportunités pour les constructeurs d’avions russes, les bureaux d’études, les fournisseurs de matériaux, d’unités et de composants.
À l’horizon de cette décennie, la proportion d’avions nationaux dans les flottes des compagnies aériennes russes doit augmenter de façon spectaculaire (et c’est certainement une chance pour les constructeurs d’avions) – bien sûr, en garantissant un haut niveau de qualité, de fiabilité et de rentabilité de nos équipements. C’est important pour les compagnies aériennes russes, y compris les compagnies privées, afin qu’elles puissent se développer en tant qu’entreprises dynamiques et rentables, et bien sûr pour les passagers, afin qu’ils puissent acheter un billet à un prix abordable, ce dont nous parlerons également aujourd’hui, et que la sécurité, le confort et les niveaux de service répondent aux normes les plus récentes. Je parle maintenant non seulement des vols interrégionaux, mais aussi du développement de la petite aviation et des liaisons avec les zones difficiles d’accès et éloignées.
Veuillez développer aujourd’hui les solutions qui permettront à notre industrie d’augmenter la production d’une large gamme d’avions domestiques. Nous vous en parlons constamment. Dans le même temps, il est important que la maintenance et la réparation des avions répondent également aux exigences les plus élevées.
Mettons-nous au travail…
Traduit par Gaël-Georges Moullec