En janvier dernier, après trois ans de rumeurs et de reports, Donald Trump a dévoilé son plan de paix pour le Moyen-Orient. Mais pour Léo Keller, fondateur du blog de géopolitique Blogazoi, ce plan est caduc. Il nous explique pourquoi.
“Ce serait une erreur de croire que ces choses
finiront par des chants et des apothéoses ;
Certes, il viendra, le rude et fatal châtiment ;
Jamais d’en haut ne recule et ne ment,
Mais ces jours effrayants seront des jours sublimes.”1
Hélas ! Hélas ! Aucun des protagonistes et architectes de ce plan ne possède la vision de Victor Hugo.
“Le drame de notre temps, c’est que la bêtise se soit mise à penser.”2
Ce plan est mort-né ! Et après tout, quid novi ? L’histoire des relations entre les Palestiniens et les Israéliens est qu’hormis des armistices, cessez-le feu, ou accords de désengagement toutes les tentatives se sont fracassées sur cette réalité, hélas adamantine : un bloc d’Histoire dévorée et malmenée ad absurdum par une géographie étique, rabougrie, ratiocinée ad infinitum.
Nous serions donc tentés de dire, ne chargeons ni Trump, ni Jared Kushner, ni Mahmoud Abbas, ni Nétanyahu de tous les péchés d’Israël.
Après tout, des Hommes d’État chevronnés tels que, Menahem Begin, Itzhak Rabin, Shimon Peres, Arik Sharon, Ehud Barak, Ehud Olmert côté israélien, Sadate et Hussein côté arabe, et côté américain Clinton, Obama – après son discours du Caire – ont eu le courage de remiser un récit souvent fantasmé et une idéologie belliqueuse aux oubliettes de l’Histoire.
Et pourtant ils ont tous échoué.
Rappelons toutefois que les accords d’Oslo ont échoué car un extrémiste israélien a assassiné l’artisan de la Paix, Itzhak Rabin, et que le Likoud a ensuite torpillé ces mêmes accords entamant le cycle de violences/répressions.
Au pays de Voltaire, nous aimons l’ironie. Il est donc piquant de rappeler que le plan de Reagan, pourtant ami sincère – mais impartial – d’Israël échoua car Israël refusa – à juste titre – tout plan non négocié directement avec les Palestiniens. Ô tempora, Ô mores !
Or ce qui était valable à l’époque doit aussi l’être aujourd’hui.
Côté palestinien, il fût une époque où Mahmoud Abbas se montra lui aussi plus téméraire, plus avisé. Yasser Arafat sût, certes trop tard, de façon malhabile, et non dénué d’arrières pensées, déserter son costume de terroriste patenté pour habiller et habiter la vêture d’un négociateur norvégien. Mais enfin il le fit quand même !
Clinton, lui, couvrit les accords d’Oslo du manteau de la République américaine. Au panthéon des négociateurs, il gagna sa place, juste derrière Henry Kissinger. Quant au Président Obama – si ignominieusement et, mais est-il nécessaire de le mentionner, si injustement vilipendé par les extrémistes de tous bords – il eut l’immense courage de tenir en 2009 à l’université du Caire un discours visionnaire, d’une élévation et d’une noblesse d’esprit hélas absentes de nos jours.
Que le lecteur nous permette d’en citer – expressis verbis – trois passages. Ils continuent d’éclairer ce qui doit inspirer l’esprit de tout règlement futur. Il fit preuve dans son allocution de “virtu” en fustigeant tant les comportements des Arabes que ceux d’Israël.
“America’s strong bonds with Israel are well known. This bond is unbreakable. It is based upon cultural and historical ties, and the recognition that the aspiration for a Jewish homeland is rooted in a tragic history that cannot be denied.
Around the world, the Jewish people were persecuted for centuries, and anti-Semitism in Europe culminated in an unprecedented Holocaust. Tomorrow, I will visit Buchenwald, which was part of a network of camps where Jews were enslaved, tortured, shot and gassed to death by the Third Reich. Six million Jews were killed – more than the entire Jewish population of Israel today. Denying that fact is baseless, ignorant, and hateful. Threatening Israel with destruction – or repeating vile stereotypes about Jews – is deeply wrong, and only serves to evoke in the minds of Israelis this most painful of memories while preventing the peace that the people of this region deserve.”
“Palestinians must abandon violence.” “Hamas must put an end to violence, recognize past agreements, and recognize Israel’s right to exist.”
Enfin et c’est peut-être le passage le plus significatif : “Finally, the Arab States must recognize that the Arab Peace Initiative was an important beginning, but not the end of their responsibilities. The Arab-Israeli conflict should no longer be used to distract the people of Arab nations from other problems. Instead, it must be a cause for action to help the Palestinian people develop the institutions that will sustain their state; to recognize Israel’s legitimacy; and to choose progress over a self-defeating focus on the past.”3
Que le lecteur veuille bien nous excuser de la longueur de cette citation ; elle n’avait pour seul but que de montrer combien le courage est nécessaire en géopolitique.
Car ses propos ont été tenus, non pas à Jérusalem devant un parterre de membres du Likud ni devant un pandémonium d’évangélistes tout sauf iréniques et au cerveau englué dans on ne sait trop quelle référence biblique mais bien en terre arabe. Et Obama n’a pu le faire que parce qu’il a su aussi servir le même type de vérités aux deux camps. Il tiendra plus tard le même discours à Jérusalem.
Certes nous n’oublions pas, et nous ne voulons pas oublier, combien la fameuse parole d’Abba Ebban, ancien ministre des Affaires étrangères d’Israël, était juste et qui était tout sauf un faucon : “Les Arabes n’ont jamais raté une occasion de rater la paix.”
L’on nous permettra cependant de penser que depuis quelques années, les Arabes n’ont plus le monopole de cette attitude qui questionne l’intelligence humaine.
Ce plan, ce “deal of century” que The Economist, hebdomadaire libéral britannique, qualifie de “Steal of the Century” a fait l’objet de nombreuses critiques. Nous voudrions cependant, en préambule, en écarter deux.
D’aucuns disent qu’il a été révélé au moment le plus opportun pour détourner l’attention de l’impeachment de Trump et de Netanyahu qu’il est désormais juridiquement correct de qualifier d’accusé. Il l’est en effet depuis quelques jours selon la terminologie juridique israélienne.
Pour notre part, nous ne pensons pas que cela soit la raison. En effet, l’impeachment n’avait aucune chance d’aboutir et la base électorale de Netanyahu est – jusqu’à plus ample informé – relativement indifférente à sa triple mise en accusation. Bien au contraire !
Ce plan correspond parfaitement à la vision messianique de l’électorat évangéliste américain et à environ 50 % de ce que souhaite la population israélienne. Même si cet étiage est flottant.
En outre c’est oublier qu’il y a rarement de bons moments en géopolitique. Ce tempo risque d’ailleurs d’être moins favorable que d’aucuns ne le pensent pour Netanyahu. L’ultra-droite israélienne est en effet vent debout contre les rares et maigres concessions accordées, sous conditions et du bout des lèvres ; nous dirions “reluctantly”, aux Palestiniens. Cette dernière menace même de faire éclater la coalition, au pouvoir en Israël. Ce plan peut paradoxalement révéler des surprises, même aux Israéliens. Timeo Danaos et dona ferentes !
Ce plan est caduc car il ne pouvait en être autrement !
Un symbole désespérément éclatant l’illustre. A Camp David, trois personnages, bien que les arrière-pensées soient présentes, rayonnent sur la photo. Menahem Begin, Anouar El-Sadate, et Jimmy Carter. À Washington, le 13 septembre 1993, sur la pelouse de la Maison-Blanche, Itzhak Rabin, Arafat ainsi que Clinton. Tous trois étincelant de joie ! A Camp David, Barack et Arafat font assaut d’amabilités. Plus tard même Sharon, beaucoup plus visionnaire et moins idéologue qu’on ne l’a caricaturé, souriait avec Arafat. L’histoire raconte d’ailleurs que Sharon avait insisté pour que Netanyahu serre la main du leader palestinien. Or ici, sauf à voir Trump et Nétanyahu s’esbaudir et se congratuler mutuellement, nous ne voyons rien sur la photo. Que les plans précédents aient réussi partiellement, ou échoué revêt au regard de l’histoire plusieurs significations complémentaires. Soit le temps n’était pas encore arrivé à maturité, soit certaines conditions manquaient quant à son implémentation.
L’on se rappellera avec gourmandise les propos de Monsieur Le Cardinal Richelieu : “Négocier sans cesse ouvertement en tout lieu, encore même qu’on n’en reçoive pas un fruit présent et que celui qu’on peut attendre à l’avenir ne soit pas apparent est chose tout à fait nécessaire pour le bien des états”.4
Mais tous ces plans avaient l’immense mérite de chantourner les grandes lignes incontournables.
Incontournables, parce qu’elles correspondaient à la réalité du terrain et prenaient en compte les intérêts des deux parties : la sécurité d’Israël et le droit à un État viable et visible pour les Palestiniens.
Dans son immense sagesse, Henry Kissinger écrivit qu’un diplomate pense qu’il y a une solution à tous les problèmes, alors qu’un homme d’État sait qu’il y a des problèmes sans solution au moins dans l’immédiat. Tout son art consista donc à naviguer sur cette ligne de crête.
Nous savons avec Carl von Clausewitz qu’il y a trois conditions pour aboutir à un règlement de paix.
- Une victoire totale de l’un sur l’autre.
- Une fatigue des combattants.
- Une tierce partie capable de vorschreiben (c’est-à-dire dicter) les conditions de paix.
Ce plan est donc caduc dès sa conception. Car ici aucune de ces conditions n’est actuellement remplie.
Ni Israël, ni bien entendu les Palestiniens, n’ont été capables en 70 ans de remporter la victoire finale et décisive permettant de trouver et d’imposer une issue diplomatique.
Comme au rugby, Israël a certes marqué – et plus que le camp adverse – de très nombreux essais ; mais il n’a pas su, pu, ou voulu les transformer. Quant aux Palestiniens, leur pouvoir de nuisance – douloureuse au début, évanescente- sinon gérable aujourd’hui par Israël en termes de pertes humaines, mais dont la menace stratégique est désormais inexistante. Menace inexistante car Israël a su – remarquablement – jouer des luttes fratricides entre l’Autorité palestinienne et le Hamas organisation terroriste qu’il avait d’ailleurs lui-même portée sur les fronts baptismaux.
L’on se rappellera utilement ces vers :
“Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une araignée :
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J’en vois deux dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.”5
Quant à la fatigue des combattants, autre moyen de mettre fin aux hostilités, il semble que des deux côtés, des troupes fraîches et biberonnées au lait d’une idéologie dévastatrice, néfaste, souvent fantasmée mais toujours nauséabonde viennent sans cesse revigorer l’anima guerrière.
Reste la troisième condition. Qu’une tierce partie ait l’intelligence, la capacité et la volonté de dicter les conditions de paix.
Ce fut la fulgurance de Kissinger qui en adoptant une position “d’Honest Broker” réussit à évincer les soviétiques du Moyen-Orient. Mais ce que le magicien Kissinger réussit grâce à sa suprême intelligence, vient d’être mis en pièces par un Président américain à l’esprit embrumé et dont il n’est même pas sûr qu’il ait lu la totalité de ce long document.
Trump et Nétanyahu ont qualifié cet accord de “deal of the century” et d’ “Historical Day”. L’on nous permettra de mentionner Raymond Aron : “L’écrivain français qui il y a quelques semaines proclamait Tito « un monument de la conscience humaine » sortait peut-être de l’église stalinienne mais non de la confusion mentale.”6
En déplaçant – à raison à notre avis – les priorités américaines vers l’Asie, Obama avait déjà diminué la pression sur les deux protagonistes. Trump en épousant inconditionnellement les thèses de l’ultra-droite nationaliste israélienne et de son appendice désormais captif, le Likud, a enterré les conditions d’un futur règlement de paix pour une durée indéfinie.
Ce plan est bel et bien caduc.
Léo Keller
Directeur du blog de géopolitique Blogazoi
Professeur à Kedge Business School