La vérité a toujours un pied dans le camp d’en face. Comment ne pas méditer cette vielle formule face à la tragédie qui se joue actuellement au Moyen Orient ?
Évacuons tout de suite les querelles éculées sur le premier arrivé en Terre sainte. S’étriper aujourd’hui pour savoir qui des Hébreux ou des Arabes ont occupé les premiers la terre de Canaan 1200 ans avant J.-C… est inepte. Vous n’y étiez pas. Moi non plus !
Ce qui est certain c’est qu’au lendemain de la guerre les Européens ont fabriqué Israël pour essayer d’échapper aux fantômes de la Shoah. Au détriment des Arabes. Ils ont cru lâchement que reconnaître l’indépendance d’Israël effacerait Auschwitz. Illusion : l’innommable était ineffaçable. Et oui les Palestiniens l’ont payé de leur propre exil.
Mais pendant cet exode qu’ont fait les « frères » arabes ? Au lieu de les aider à créer un État à eux, ce qui était alors possible, ils les ont laissés croupir dans leurs camps. Quand ils ne les ont pas massacrés comme en Syrie. Tandis que les Israéliens construisaient un État moderne à partir de rien. En revanche ceux qui parlent d’apartheid en Israël feraient bien de se souvenir que 20 pour cent de la population israélienne est composée d’Arabes jouissant du même statut que les autres citoyens du pays, au moins en droit.
Dans ce chaudron la haine a prospéré.
Les islamistes radicaux ont distillé leur venin où le rejet de l’Occident se mariait à la détestation du juif. Ils ont accepté sans pudeur que l’aide internationale vienne alimenter les caisses d’organisations terroristes corrompues. Tout cela en se cachant derrière une interprétation fanatique de la Charria pour imposer leur discipline moyenâgeuse. Cela depuis des dizaines d’années. Il ne faut pas oublier le rôle du grand mufti de Jérusalem à Berlin pendant la guerre. Le Hamas en est le digne héritier.
Est-ce que cela excuse la vision messianique de certains Israéliens s’installant de force en Cisjordanie ? Sûrement pas. Là aussi sévissent des religieux obscurantistes. Torah contre Charia ! Gigantesque gâchis.
Le 7 octobre fut la suite tragique de cet enchaînement. S’il y a eu un « crime contre l’humanité » il a commencé à Berri et Kfar Aza : un pogrom avec meurtres, viols, otages… Comment imaginer qu’un pays puisse assister à de telles atrocités sans réagir ? Donc Israël a réagi. Sans mesure c’est vrai. Mais quel signal de faiblesse son gouvernement aurait-il donné s’il avait laissé l’ennemi clamer que le pays devait être détruit du fleuve à la mer ?
Il reste que la situation à Gaza est humainement inacceptable.
Il est inutile de rappeler qu’aucune guerre n’est jamais propre et que jadis les alliés ont bombardé sans discernement des villes entières comme Dresde. Car rien ne justifiera jamais la mort d’un enfant. Rien. Le dilemme décrit par Camus dans Les Justes trouve ici toute son actualité : son héros avait beau se battre pour une cause noble il refusa de jeter une bombe sur des enfants. Et la religion juive elle même enseigne que par-dessus tout il faut préférer la vie. Israël se serait grandie en restant fidèle à ce principe.
Quant à la communauté internationale elle s’est une nouvelle fois couverte de honte.
Dans l’incapacité de porter un projet de paix dans la région, dans l’incapacité de s’interposer entre les belligérants, dans l’incapacité de distinguer entre un pays démocratique et des régimes dictatoriaux elle s’agite en tous sens mais sans aboutir à ce qui pourtant devrait s’imposer : la libération des otages contre un cessez le feu. Honte à l’Onu de n’avoir pas su arrêter à temps les incendiaires qui se cachent derrière tout cela, c’est à dire les mollahs de Téhéran.
Il est vrai que le fond du tableau est glauque, marqué par le réveil de l’antisémitisme. Beaucoup de ceux qui couvrent aujourd’hui Israël d’insultes sont mus par une haine qui n’a que peu à voir avec Gaza. Comme si la peste, tapie dans l’ombre, n’attendait qu’une occasion pour se réveiller. Camus, lui encore, nous avait prévenu : il y aura toujours quelque part un rat pour porter l’épidémie.
Ce qui se passe aujourd’hui en Israël nous envoie un grave signal d’alarme.
Quand les hommes laissent la passion l’emporter sur la raison, quand ils ne s’écoutent plus les uns les autres, tous sont coupables et le pire est à prévoir. Et nous en sommes alors tous responsables.
Bernard Attali