…aux dires du diable boiteux, l’excès en toutes choses serait à l’expression ce que la lumière ferait de la photographie, elle « solariserait » l’image de telle sorte qu’elle deviendrait illisible, infidèle à l’original. Il en va ainsi des réactions et des déclarations favorables à la réunion de la nouvelle Assemblée des notables, convoquée par « l’exécutif ». Appesantissons-nous un instant sur le volte-face des associations d’élus locaux qui ont fini par accepter de se rendre à Canossa – à moins que ce soit à Calais, la corde au cou ? – en échange d’une poignée de riz, ou plutôt de « rencontres » avec le Président ; comme si cela méritait une telle soumission. Retenons seulement quelques expressions de leur communiqué commun.
D’abord, la raison pour laquelle elles sont revenues rapidement sur leur refus initial de se rendre à la réunion du 8 septembre : « Territoires Unis a obtenu l’assurance d’être reçu à échéances régulières, au moins deux fois par an, par le Président de la République pour travailler sur les perspectives d’amélioration de la décentralisation et fixer un cap aux discussions d’ores et déjà engagées avec le gouvernement sous l’égide d’Élisabeth Borne, dans un esprit de construction commune et de confiance mutuelle, qu’il convient une nouvelle fois de saluer ». Il s’agit donc bien d’une poignée de riz eu égard au mépris dans lequel les collectivités, donc leurs habitants, sont tenues depuis des années et aux atteintes à leur pouvoir politique, notamment fiscal. De la « décentralisation » dont il est question ici, on ne retiendra que l’absence de référence à la dérisoire loi du 21 février 2022, dite « 3 Ds », laquelle, pourtant, était censée avoir créé une nouvelle étape décisive dans cette voie-là. Il est vrai qu’à part les technocrates publics et privés, personne ou presque n’y avait rien compris ni appris ; en tout cas, les citoyens l’ont ignorée et n’en ressentent aucun effet positif.
La seconde citation du communiqué des associations d’élus n’en est que plus savoureuse puisqu’elles signalent qu’elles ont rappelé « la nécessité de lancer un vrai chantier de décentralisation, pour laquelle le Président de la République les a assurés de son souhait d’avancer. Emmanuel Macron a par ailleurs réitéré son engagement à maintenir les moyens financiers des collectivités locales. »
Doit-on en rire ou en pleurer, ne serait-ce que parce ces dernières ne disposent pratiquement plus de liberté fiscale autonome, du fait des réformes imposées ces dernières années, ainsi que les mêmes organisations ne manquent pas de le rappeler régulièrement, à juste titre ?
Il convient, toutefois, de relativiser l’importance de la déclaration et de la démarche puisque lesdites associations ne représentent pas les collectivités, mais seulement certains de leurs élus et que, de ce fait, elles n’ont aucune légitimité institutionnelle ; d’ailleurs, si certains élus locaux ne partagent pas l’optimisme soudain exprimé dans ce communiqué, ils pourront le faire savoir en refusant de voter les futures subventions pour ces organismes, à l’occasion de l’adoption des budgets de 2023…
Au contraire, il faut encore et toujours rappeler l’évidence énoncée dans le texte de notre Constitution, à savoir que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Or, son président a justement refusé de participer à cette nouvelle instance officieuse puisque tous les moyens républicains existaient déjà pour faire face aux « défis » du moment, depuis le Conseil économique, social et environnemental, jusqu’aux deux chambres du Parlement. Tout cela, c’est la règle républicaine, la seule qui vaille, quoi qu’en pense certains esprits chagrins, telle que l’auteure de la tribune du Monde du 7 septembre, selon laquelle « la palme de la mauvaise foi » reviendrait à Gérard Larcher. Or, si les votes parlementaires ne coïncident pas avec la volonté de « l’exécutif », ce n’est pas parce que « participer, c’est trahir ; dialoguer, c’est se salir les mains ; s’engager c’est s’exposer au partage du fardeau des responsabilités. Il est tellement plus commode de critiquer sur l’air de “tout va mal et tout va aller encore plus mal” en attendant l’alternance.»
Mais c’est tout simplement le résultat du fonctionnement normal de la démocratie ; or cela est inacceptable aux yeux du futile microcosme médiatique qui ne comprend plus le peuple.
Et l’auteure de considérer que le « grand débat et (…) la convention citoyenne pour le climat, (…) ont été les deux innovations démocratiques du précédent quinquennat. » Nul doute que les 80 % de citoyens français qui n’ont ni voté pour le candidat sortant, ni même se sont déplacés, au premier tour de l’élection présidentielle, n’avaient pas su apprécier la qualité de ces « innovations démocratiques ».
Parmi la poussière de ces mots que le temps balaiera, retenons-en deux qui illustrent la dérive de l’analyse de la réalité politique actuelle. D’abord, celui utilisé dans le communiqué des associations d’élus quand elles manifestent la volonté de s’entendre avec « l’exécutif » et le Parlement. Si le second est sacralisé par un titre entier de la Constitution républicaine, le premier n’y est jamais cité et, comme tel, il n’existe pas dans nos institutions. C’est une invention faussement commode qui évite d’avouer que, de force et sans base légale, la pratique présidentielle est devenue telle que les fonctions du Président et du Premier ministre sont fusionnées, au seul bénéfice du premier ; lequel, comme ses deux derniers prédécesseurs, se mêle quotidiennement de tout et de rien, même si la Règle commune ne l’y autorise pas.
Participer notamment à cette nouvelle Assemblée des notables, c’est se faire ouvertement le complice de cette grave dérive.
Le second terme marque le titre de la tribune du Monde, où on lit « Mais de quoi ont peur les oppositions ? ». Le site officiel de l’Assemblée nationale ne mentionne pourtant que « Les groupes d’opposition ». Alors pourquoi « les » oppositions ? Pourquoi ce pluriel ? Habituellement, on parlait de la « majorité » et de « l’opposition » et puis voilà qu’une mode, lancée depuis l’été, tend à remplacer ce dernier singulier par un…singulier pluriel ! Pour bien faire remarquer au bon peuple que les partis qui ne soutiennent pas la politique présidentielle sont divisés, donc « pluriels », évidemment. Alors qu’il n’en est pas de même pour la « majorité ». Tiens donc ? Mais alors, pourquoi est-elle composée de trois, voire quatre, groupes différents ? Ne s’agirait-il pas, aussi, tout bonnement « des majorités » ?
Brisons-là et souhaitons qu’un jour, le plus prochain puisse-t-il être, on en revienne au respect des règles républicaines élémentaires afin de permettre, enfin, des débats politiques sains et directs, sans faux semblants ni détournements de procédure, seuls susceptibles d’apporter les réponses acceptables aux enjeux actuels.
Last but not least, alors que la réunion du 8 septembre était censée ouvrir une ère nouvelle de la démocratie participative, on constate que la presse n’y est pas admise, sauf pour porter la parole de l’initiateur de l’opération. Pas « d’exposition médiatique maximale », donc, contrairement à l’attente de l’auteure de la tribune du Monde ; exit la presse, or, comme elle l’a conclut elle- même : « Les absents ont toujours tort »…
Hugues Clepkens