L’Académie des sciences d’outre-mer (ASOM), renommée pour sa connaissance pluridisciplinaire du continent africain, ses recherches qui privilégient les études ethnographiques et sa compétence dans le déchiffrage des manuscrits, témoins de l’histoire vernaculaire du continent, a rejoint à ce titre le programme de recherches « Fontes historiae africanae » (FHA), conçu pour publier les sources inédites de l’histoire africaine. Avec l’aide des éditions spécialisées Geuthner, elle a lancé la collection Sources africaines en 2019. Deux études sont publiées par an. Le présent volume inaugure cette série.
Les anciens manuscrits, trésors précieux, cependant menacés, dévoilent leurs secrets à des chercheurs persévérants, acharnés à déchiffrer ce que révèlent ces témoins des temps lointains. À travers des écritures griffonnées, souvent illisibles, sont scrutées les profondeurs de l’histoire des peuples, leurs civilisations, leurs croyances, leur quotidien.
Le présent volume est réalisé par Philippe Beaujard, ingénieur agronome, anthropologue, historien, directeur de recherche émérite au CNRS, membre de l’Institut des mondes africains (IMAF), auteur de nombreuses publications sur Madagascar. Il présente l’édition critique d’un manuscrit de la bibliothèque de l’ASOM, complétée par des recherches sur le Sud-Est antemoro : le manuscrit arabico-malgache MS HB2, et comparée avec d’autres sources.
À partir du Xe siècle et tout au long du XIe et XIIIe siècle, les côtes Nord de Madagascar voient se développer des ports cosmopolites qui accueillent des musulmans venus de diverses régions de l’Océan indien. Ils s’installent à l’embouchure du fleuve Matatàna dans le Sud-Est de l’île. Vers la fin du XVe siècle, ils se « malgachisent » et constituent au XVIe siècle l’aristocratie d’un royaume dit antemoro qui se développe au fil du temps, mais perd son indépendance au XIXe siècle gardant toutefois son autonomie et l’essentiel de ses structures. Il disparaît dans la deuxième moitié du XIXe siècle à la suite des guerres civiles entre nobles et roturiers.
Les premières transcriptions de la langue malgache sont le fait de ces populations islamisées ayant émigré à Madagascar (originaires notamment d’Oman, du Yémen, de Sumatra..) et utilisé les caractères arabes. Une abondante littérature écrite, dite arabico-malgache, dont une grande partie reste à découvrir, s’est développée dans le temps. Même si leur datation semble encore incertaine, le contenu historique du Ms HB2 apparaît similaire à d’autres manuscrits comme le A6 d’Oslo à quelques épisodes près.
Ces textes, tous manuscrits, sont appelés « Sorabe » : mot composé de soratra « écriture », venant lui-même du mot arabe sourate, et de be « grande » (grande écriture).
Les aristocrates antemoro se sont attachés à conserver et à se réserver la connaissance et la transmission des Sorabes à travers les siècles. Cette stratégie visait à marquer le caractère identitaire de leur ethnie, à en maintenir la cohésion, à maîtriser l’écriture et la connaissance du contenu des manuscrits et bénéficier ainsi d’une supériorité et d’un pouvoir sur les autres
ethnies malgaches.
Le manuscrit se compose d’un grand nombre de parties puisées dans différents grimoires ou transcrites de traditions orales. Il est comparable au Ms d’Oslo traduit par Munthe (1982). Parmi les principales catégories des textes on recense : la généalogie thème particulièrement important des manuscrits dont Philippe Beaujard établit une liste des Anteony qu’il compare à d’autres listes. Il souligne les difficultés rencontrées dues à la multiplicité des noms identiques et liées notamment à la coutume consistant à donner un premier nom en rapport avec le destin astrologique de la naissance, l’autre difficulté dérive du fait que les princes ont plusieurs noms : nom avant de régner, nom de règne et nom posthume.
Les manuscrits recensent également les expéditions notamment celle du Français La Case en pays Antemoro (1659-1663). À travers les différents épisodes relatés, on perçoit en partie le fonctionnement du royaume, avec des groupes Anteony exerçant le pouvoir politique, des Antalaotra détenant le pouvoir religieux et des roturiers qui, tout en étant des sujets, ont encore une importance, qu’ils perdront en grande partie au XIXe siècle. Philippe Beaujard souligne également l’importance majeure du champ « magico-religieux » dans l’établissement du calendrier et de sa concordance avec l’astrologie. Le pouvoir de la noblesse est fondé en effet en partie par le savoir ésotérique transmis par les sorabes et par voie orale. Les différentes guerres montrent l’importance de l’astrologie dans la prise en compte des périodes fastes et néfastes. Les manuscrits antemoro anciens ne connaissent pas de datation par rapport à l’Hégire. Les datations sont données à l’intérieur de semaines, d’années, elles mentionnent des noms de mois soit d’origine arabe (dérivant des noms de zodiaque arabe), soit d’origine sanskrite (passées par l’Indonésie).
Toute la divination ainsi que l’essentiel de la médecine traditionnelle malgaches trouvent leur source en pays Antemoro. Certains manuscrits détaillent l’étiologie des maladies graves (interventions des ancêtres, des génies, d’un sorcier, ou encore de dieu-zanahary), et les stratégies thérapeutiques à mettre en place (talisman, remèdes et charmes, rituels de guérison et de conjuration du mauvais sort, sacrifices).
Philippe Beaujard cherche à montrer qu’une transcription et une traduction de sorabe historique ne peuvent être réalisées que dans le contexte d’une comparaison entre manuscrits et qu’une connaissance des traditions orales et des généalogies se révèle parfois utile pour éclairer certains passages du texte. Il fait notamment remarquer la nécessité de poursuivre plus avant un travail de terrain, à la découverte de bien d’autres manuscrits historiques et d’élargir les travaux à la recherche de nombreux manuscrits à contenu « magico-religieux » que renferment différentes bibliothèques malgaches et européennes.
Traditions historiques du Sud-Est de Madagascar
Le manuscrit arabico-malgache HB2
Philippe Beaujard
Préface Pierre Gény
Académie des sciences d’outre-mer Sources africaines 1
Éditions Geuthner, 2019
316 p. – 38 €
Katia Salamé-Hardy