Ce qui arrive aujourd’hui à l’Ukraine indépendante n’est pas une surprise au regard de la stratégie d’un homme qui n’a eu de cesse, jusqu’à aujourd’hui et depuis vingt ans qu’il est au pouvoir, de mener à bien sa stratégie géopolitique : reconstituer le glacis de l’ex-Union Soviétique, bien qu’il s’en défende.
Comme le montre la pratique et en vertu d’une règle constante, la politique extérieure d’un Etat commence à la maison. Lorsqu’un pays n’est plus en démocratie, verse dans un premier temps dans la « démocrature » puis, dans un second temps, dans la dictature comme c’est le cas aujourd’hui en Russie, la politique étrangère devient le fait unique du chef, du potentat. La politique étrangère trouve son origine et sa source d’inspiration dans la vision et la conception du monde d’un seul homme qui pense s’identifier complètement à son pays, à son peuple, alors que bien souvent il en devient un corps étranger.
Vladimir Poutine : un homme du passé
Vladimir Poutine, qui aura cette année soixante-dix ans, est un homme du passé, celui qui a commencé sa carrière au sein des services secrets communistes, le KGB. Cette période fut celle de la toute-puissance d’un empire qui a fini par s’effondrer en 1991, année au cours de laquelle le pays explose en plusieurs républiques. Moscou perd le contrôle de plusieurs d’entre elles. Si, dans certains pays, le Kremlin gardera le pouvoir par l’intermédiaire de dirigeants fantoches, dans d’autres pays tels que l’Ukraine, les responsables politiques proches de la Russie finiront pas être renversés pour s’ancrer plus durablement dans le giron de l’Ouest. Ce fut l’objet de la révolution de Maïdan en 2014 en Ukraine, qui a installé à la tête de l’Etat un gouvernement pro-européen. Depuis, ce pays mène toujours une politique pro-européenne, le gouvernement ayant, en 2014, signé un accord d’association avec l’Union européenne entré en vigueur en 2017.
Ce nouveau départ en Ukraine sera aussi celui du début de tous les ennuis et des drames de ce pays, Vladimir Poutine n’ayant jamais accepté ce qu’il considère comme une dérive inacceptable, une menace pour la sécurité de son pays.
Une analyse rapide de son discours après l’annonce de la reconnaissance des républiques séparatistes du Donbass, montre un homme enfermé dans ses rêves chimériques d’une grande Russie, en faisant référence à l’histoire glorieuse de son pays, y compris et surtout de l’ancienne Union Soviétique dont la capitale, Moscou, régnait sur un sous-continent.
En faisant une allocution sans aucun charisme, il a donné l’image des anciens apparatchiks communistes en lisant son prompteur quand les dirigeants communistes lisaient des papiers préparés d’avance, avec à son côté des téléphones faisant penser aux appareils des années 1980. La mise en scène faisait incontestablement revivre des scènes de la guerre froide. On réalise alors que le chef du Kremlin évolue dans un monde parallèle qui fait référence à l’ancienne toute puissance de l’Union soviétique, laquelle est aujourd’hui devenue une chimère, outre la paranoïa manifeste d’un homme qui pense que l’OTAN constitue une menace pour sa sécurité.
La remise en cause de l’existence de l’OTAN
Il est vrai que l’OTAN n’a sans doute pas toujours été, au cours de son histoire, respectueuse de ses principes. On cite à cet égard les bombardements de 1999 en Serbie qui auraient fait plusieurs centaines voire plusieurs milliers de victimes, notamment civiles.
Mais en l’espèce et dans la situation actuelle, l’OTAN ne peut être regardée comme l’agresseur. L’agression extérieure, qui dure depuis plus de vingt ans, est bien celle de la Russie en la personne de Vladimir Poutine. Dès 2014, le dirigeant du Kremlin annexe de fait la Crimée : il s’agit d’une première violation flagrante du droit international. Il soutient depuis 2014 les républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk, qu’il vient de reconnaître officiellement cette semaine : il s’agit d’une seconde violation du droit international.
Les effectifs militaires considérables amassés depuis plusieurs mois aux frontières de l’Ukraine, notamment en Biélorussie, montrent sans aucun doute que le maître du kremlin n’a pas l’intention de s’arrêter là.
Les origines politiques de Poutine, sa formation idéologique et politique, montrent manifestement un homme qui, au fond de lui, est resté imprégné de l’idéologie communiste. Cadre du KGB, il en a gardé toutes les méthodes très fortes, celles d’un homme qui ne fait confiance à personne, qui ruse en permanence pour au final tromper tout le monde, en premier lieu ses ennemis.
La naïveté des dirigeants occidentaux
Sans doute beaucoup de dirigeants ont-ils fait preuve d’une grande naïveté en croyant que Vladimir Poutine avait au fond de lui-même une certaine honnête intellectuelle. Cela n’a jamais été vrai. Depuis qu’il est au pouvoir, il n’a eu de cesse de vouloir reconsidérer la toute-puissance de l’ancien empire tsariste ou soviétique. Les relations interpersonnelles avec les chefs d’Etat étrangers, notamment la piteuse rencontre avec Donald Trump alors président des Etats-Unis et lui à Helsinki au mois de juin 2018 est sur ce point révélatrice. De la même façon, lors de la séquence diplomatique qui s’est jouée ces dernières semaines, Vladimir Poutine n’a pas vu en face de lui des chefs d’Etat ou de gouvernement responsables, mais de simples pièces sur un échiquier qu’il souhaitait déplacer comme il l’entendait. Vladimir Poutine n’a jamais eu d’autre ambition que de jauger son interlocuteur pour en rechercher les faiblesses ou voir de quelle façon il pouvait le manipuler, tout en sachant au final que le seul interlocuteur possible pour lui était et reste le président des Etats-Unis.
Il ne saurait âtre reproché au président français Emanuel Macron d’avoir tenté une démarche diplomatique. Il en va de même pour le chancelier Olaf Schultz. Mais les jeux étaient faits d’avance et rien ne devait entraver le déroulement de la séquence militaire en Ukraine.
Une violation du droit international
Ce qui est extraordinaire mais pas étonnant est qu’en Europe, notamment en France, certains aient tenté de justifier la démarche de Vladimir Poutine pour des motifs idéologiques. Selon ces responsables politiques ou d’autres idéologues proches de Poutine, l’Histoire conjointe de la Russie et de l’Ukraine -regardée comme une création de Lénine- légitimerait l’action militaire de Vladimir Poutine dans ce pays. L’Histoire deviendrait alors une source de légitimé pour démanteler un pays au motif que l’Etat ukrainien n’aurait aucune consistance historique et politique. Les dirigeants ukrainiens actuels seraient des usurpateurs qui auraient acquis un bien volé à l’ex-Union Soviétique, et qu’ils devraient aujourd’hui restituer à leur ancien propriétaire.
Cette vision des choses est inacceptable car, tout d’abord, il s’agit d’une violation flagrante du droit international et, ensuite, il existe un droit des peuples à l’autodétermination, au respect de la souveraineté d’un pays et de l’intégrité de son territoire.
Certes, les dirigeants ukrainiens ne sont pas à l’abri de criques sur la gestion de leur pays depuis sa création en 1991. On peut penser à la volonté d’affirmer une culture ukrainienne en ayant voulu interdire, sans approche modérée et prudente, la langue russe dans un pays où existe bien évidemment une forte culture russophone, ou encore l’incapacité à amorcer une grande politique d’autonomie territoriale en faveur de territoires russophones. Mais un Etat ne se construit pas en trente ans, et quel dirigeant n’a jamais fait d’erreurs politiques ? En tout état de cause, rien ne vient justifier la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine aujourd’hui.
La solitude de l’Ukraine
Vladimir Poutine n’en a pas fini avec ce pays. Il est clair aussi que son intention ne s’arrête pas aux portes de l’Ukraine, qui apparaît au final comme un pion dans la stratégie agressive globale du président russe. Se tournant vers l’Ouest, il affiche clairement son intention de redessiner et de remettre en cause l’architecture de la sécurité en Europe, comme s’il considérait que l’OTAN était une institution qui n’a plus sa place en Europe. Sur ce point très clairement, les Etats-Unis et l’Europe ne peuvent accepter de transiger sur leur propre sécurité. La diplomatie doit s’arrêter là où commence l’agression caractérisée, ce qui explique l’annulation de plusieurs réunions diplomatiques annoncées, alors que Vladimir Poutine, après avoir avancé ses pions en Ukraine, déclare sans craindre la moindre contradiction, croire encore à la diplomatie.
Mais n’a-t-il pas déjà en partie gagné la partie ? Il est acquis que l’Ukraine n’intégrera pas à court ou moyen terme, voire à long terme, l’OTAN. L’Histoire dira si Emmanuel Macron ou Olaf Scholtz se sont engagés trop loin en évoquant une nouvelle architecture de sécurité européenne.
Les évènements qui viennent de se passer montrent clairement que plus l’Occident est faible, plus le chef du Kremlin avancera ses pions pour tenter un « échec et mat ».
Le grand perdant dans cette affaire est bien sûr l’Ukraine, un pays qui, au cours de ces derniers mois, n’a rien demandé. Poutine n’a cure des positions du président Volodomyr Zelenski, et l’Europe et les Etats-Unis ont allégrement disserté avec le chef du Kremlin sur ce pays sans une seule fois permettre au dirigeant ukrainien de s’assoir à une table de négociation. Aujourd’hui, le président ukrainien a sans doute de bonnes raisons de se sentir un peu seul. Malgré la promesse d’une aide financière très importante, il sait que son pays ne pourra intégrer l’OTAN, d’une part, et, d’autre part, qu’aucun soldat occidental ne viendra à son secours en cas d’invasion russe. Il n’est même pas acquis que l’Ukraine puisse rejoindre rapidement l’Union européenne, alors qu’il devrait s’agir d’une priorité politique. L’Europe elle-même a réagi trop tard, comme souvent, face à ce qui devrait être une exigence politique. Si demain, le gouvernement démocratique de Kiev est renversé par des forces pro-russes, la souveraineté de l’Ukraine ne sera plus qu’un lointain souvenir et la chimère de Vladimir Poutine deviendra une réalité.
Patrick Martin-Genier