Emmanuel Macron n’est pas candidat… pas encore… ou alors candidat sans le dire, façon François Mitterrand en 1988. Son entourage élyséen a toutefois fait savoir aux journalistes de France info qu’il ne participerait pas aux débats de premier tour. Une stratégie destinée à le placer au-dessus de la mêlée ? Pas seulement…
Emmanuel Macron conserve une avance confortable dans les sondages face à ses plus sérieux opposants du moment, Marine Le Pen et Valérie Pécresse, 25% face à 18% et 16% (Ifop). Il conserve également une avance notable au second tour (56%-44% et 55%-45%). Face au troisième opposant, Eric Zemmour, assez loin derrière les deux premières (évalué à 12%), l’écart de second tour est encore plus net (63%-37%). Où est donc le risque ? Que craint Emmanuel Macron en ne voulant pas se mêler à la mêlée ?
Evacuons d’emblée l’hypothèse d’un plateau façon BFMTV 2017 où Emmanuel Macron serait placé au milieu de 10 autres candidats. Il est bien évident qu’une ligue de tous les opposants tournerait massivement en sa défaveur et ne serait pas équitable. Evacuons également les débats contre la foule des candidats à 2%, de Poutou à Hidalgo en passant par Dupont-Aignan, qui placeraient le candidat Macron face à des options électorales certes légitimes mais non crédibles. Cela ne suffit cependant pas à écarter toute hypothèse de débat de premier tour. Comment imaginer qu’Emmanuel Macron puisse légitimement se soustraire à une confrontation démocratique avec les candidats qui ont dépassé la barre des 10%, c’est-à-dire qui rassemblent sur leur nom entre 4,5 et 8 millions de voix, de Jean-Luc Mélenchon à Valérie Pécresse en passant par Eric Zemmour et Marine Le Pen ? D’autant que plusieurs formats sont possibles, qui assureraient des débats équitables.
Emmanuel Macron n’en veut pas ! Il souhaite jouer la carte de la qualification d’office, une sorte de « fait du Prince » un peu méprisant qui le placerait d’emblée au-dessus des autres candidats.
Ou alors dans l’esprit de la coupe du monde de football : J’ai gagné la coupe la dernière fois, donc je suis dispensé des matchs de poule cette fois-ci. Sauf que la démocratie n’est pas un match de foot ! C’est pourquoi, ainsi que le signale Arthur Berdah dans Le Figaro, depuis la France insoumise jusqu’au Rassemblement National, ses opposants dénoncent un « déni de démocratie ». C’en est un !
Cependant, nous n’avons toujours pas répondu à la question : Que craint Emmanuel Macron ? Pourquoi ne veut-il débattre qu’avec « les Français », de manière artificiellement construite, comme lors du Grand Débat national au lendemain de la crise des Gilets Jaunes, et pas avec ses opposants politiques, comme dans toute démocratie normalement constituée ? La raison est toute simple : Emmanuel Macron craint le débat. Ou plutôt, il sait qu’une série de trois ou quatre débats de premier tour pourrait lui être fatale et le priver de second tour. Certes, Emmanuel Macron est le mieux placé aujourd’hui dans les sondages ; certes il est donné vainqueur face à tous ses opposants, mais la confrontation rhétorique révèle l’homme politique mieux que n’importe quelle interview. Pour preuve, la dernière primaire LR, où Xavier Bertrand et Michel Barnier étaient donnés favoris, avant les débats, et où Eric Ciotti et Valérie Pécresse ont été qualifiés, à l’issu des débats. Magie du verbe !
Comment croire, dès lors, que les débats de premier tour entre les favoris ne rebattraient pas les cartes de la même manière ? Comment croire que la structure défensive d’un bilan aussi fragile que celui d’Emmanuel Macron, entre état d’urgence sécuritaire et état d’urgence sanitaire, entre une gestion brutale de la crise des Gilets Jaunes et une gestion tout aussi brutale de la crise du Covid, entre une réforme des retraites désavouée par les économistes qui l’avaient pourtant théorisée et des réformes régaliennes – laïcité, police, justice notamment – fantomatiques, pourrait résister longtemps au siège massif des principales troupes d’opposants ? La citadelle macroniste risquerait fort d’être investie et pillée en l’espace d’un débat ou deux. Emmanuel Macron ne l’ignore évidemment pas. Son entourage sait également, sans l’avouer ouvertement, même en petit comité, la faiblesse du Président. Il sait que l’amateurisme dont Emmanuel Macron était jadis si fier et dont il invitait ses troupes à se parer pourrait se transformer en boulet. Il sait que la dialectique platonicienne qui est à l’œuvre lors des débats démocratiques conduit à la vérité, une vérité présidentielle que toute la macronie espère maintenir dans l’ombre le plus longtemps possible.
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, Politologue