Si il y a une constante en saison 2 de la séquence ouverte en 2017 pour le « cher et vieux pays », c’est bien la primauté et la recherche des effets de communication (de surprise diront certains), sur le fond des problématiques, le suspense précédant les annonces avec son lot de fausses pistes pour saturer et accaparer les canaux d’information, avant la délivrance d’un produit final loin de répondre aux attentes ou espérances du public, si tenté qu’il en subsiste encore beaucoup dans le marasme politique actuel. Le remaniement de janvier 2024 était inéluctable après l’épisode peu glorieux pour la majorité relative du vote de la loi sur l’immigration. La seconde Première ministre de la Ve République congédiée sans grande élégance illustre combien ce rôle peut s’avérer ingrat et difficile à remplir quand le Président de la République entend tout maîtriser et ne laisse aucune marge réelle de manœuvre au chef du gouvernement. En dehors de Georges Pompidou et Jacques Chirac, aucun Premier ministre ne sera d’ailleurs parvenu à remporter une élection présidentielle en s’inscrivant dans la foulée de celui qui l’aura désigné pour former un gouvernement et Matignon aura rarement constitué l’antichambre de l’Elysée sous le régime né en 1958. Exit donc celle venue de la gauche qui restera dans l’histoire parlementaire récente comme l’ardente utilisatrice du 49.3 pour faire passer la réforme des retraites la plus combattue par les syndicats et les travailleurs de toute la Ve République, figure expiatoire ayant sans doute cru au « En même temps » originel, qui ne répondait visiblement plus au besoin de clarification et de redressement du cap d’un Exécutif considérablement affaibli par la succession de crises de 2023, l’absence de perspectives d’améliorations rapides de la situation et l’aspiration des Francais à un virage vers la droite dans bon nombre de questions sociétales cruciales ou régaliennes. Au demeurant, son échec à élargir la majorité aura scellé son destin bien plus que le reste de son action à la tête d’un gouvernement qui n’aura pas brillé par sa cohésion et sa solidarité envers sa tête directrice. Le tempo et les conditions théâtrales de la nomination de Gabriel Attal après moultes et fausses supputations sur l’identité du successeur d’Elisabeth Borne, recouvrent des péripéties révélatrices des divisions, luttes d’influences et contradictions qui agitent le camp présidentiel dans la perspective du seul rendez-vous de 2024 où les Français pourront exprimer la sanction ou l’approbation de la politique suivie par l’Exécutif depuis sa reconduction en avril 2022, même si l’objet des élections européennes revêt un enjeu pour l’avenir de la France qui va bien au delà de la survie de l’héritage macroniste. Les maroquins ministériels sont des contrats à durée déterminée précaires, soumis aux aléas d’une pratique du pouvoir encore fortement imprégnée des us et coutumes hérités de l’ère monarchique et curiale en France, plus encore à l’approche d’une fin de règne, et, en dehors des ténors et « poids lourds » dans toute l’acception du terme qui peuvent contrebalancer l’omnipotence présidentielle pour diverses raisons, rares sont les figures qui impriment dans l’opinion et sortent du lot de ministres de plus en plus issus de la technostructure conventionnelle aux manettes et de moins en moins forgés et aguerris au sein du monde politique et de ses combats. Malheur par ailleurs à ceux qui fomentent des complots en tentant de faire entendre une autre voix que celle qui émane du monarque républicain : il faut suivre une seule ligne définie par celui qui se veut l’incarnation du pouvoir, fort du suffrage majoritaire même lorsque celui-ci est loin de refléter le pays profond en raison de la montée spectaculaire de l’abstention et du rejet des urnes par les électeurs. ll est toujours instructif de lire les réactions des observateurs et de la presse hors Hexagone pour mesurer l’impact à l’échelle du monde de nos remaniements ministériels nationaux et nous ramener à nos limites. On y mesure toujours d’une certaine façon le poids réel de notre personnel politique aux yeux de l’étranger. La jeunesse du nouvel occupant de Matignon, après un passage éclair à la tête de l’éducation avec l’application de l’interdiction du port de l’abaya pour bilan principal retenu, est le commentaire central qui ressort des observations sur ce changement majeur bien plus que le signal annonciateur d’une politique marquant une rupture avec les exercices précédents, en dépit de tous les domaines où la France pourrait peut-être apporter une contribution utile si elle bénéficiait encore des vestiges de son aura gaullienne, comme si ce remaniement ne changerait pas grand chose in fine à la marche d’une histoire indéniablement tragique dans un monde en convulsions… Gabriel Attal est perçu comme l’ombre portée du détenteur réel des clés du pouvoir en France, un Président pris au piège de l’impopularité qui se rapproche du terme de son second et dernier mandat, dont la succession va se jouer dans un environnement d’une extrême dangerosité pour la pérennité de nos institutions et de notre démocratie si l’Exécutif ne parvient pas à enrayer le déclassement notable du pays après la tempête sociale non cicatrisée de la réforme des retraites et les émeutes du début de l’été en 2023…
Ce constat prouve la relativité de la portée prêtée à ce qui se veut un grand rendez-vous avec la nation et l’amorce d’un rebond rédempteur après une succession de crises inaugurée par les Gilets jaunes en 2018, profondément marquée par la pandémie de la Covid 19 et creusée par le déclenchement de la guerre d’attrition en Ukraine, alibi mortifère pour l’esquive d’un débat de fond sur les projets de société lors de la présidentielle de 2022. La jeunesse peut être un atout tout comme un handicap que l’on saura vite reprocher au nouvel impétrant de la lourde charge du poste de Premier ministre, une fois la courte période d’état de grâce passée, déjà entachée par la polémique suscitée par la ministre qui lui a succédé à la tête de l’Education nationale, à la suite de la maladresse de ses propos en réponse à une attaque personnelle sur la scolarisation de ses enfants au Collège Stanislas… Inexpérience ou mauvais procès quant à rallumer la vieille lune d’une guerre scolaire, peu importe, les défis à relever dans le domaine de l’éducation se trouvent bien sûr ailleurs, mais l’incident souligne combien ce nouveau gouvernement resserré plus sur la macronie que sur l’ouverture à droite est attendu au tournant par ses oppositions dans un climat éminemment délétère et peu propice à la reconstruction. Le débauchage de deux figures de l’ex droite de gouvernement, Rachida Dati et Catherine Vautrin, ne constitue qu’une surprise toute relative dont l’effet également s’émoussera probablement rapidement dans la mesure où leur proximité avec leur ex mentor en politique, Nicolas Sarkozy, prônant le soutien/ralliement au pouvoir actuel est notoire. Si « trahison » il y a, elle est plus significative d’une conception de la politique où le parcours individuel et les calculs personnels l’emportent sur les convictions profondes qu’autre chose et parler de prise de choix reste largement à démontrer dans le long terme. L’inflexion à droite ne se vérifiera en fait que dans les instructions données par le Président de la République à sa nouvelle équipe dont il faut attendre encore les contours définitifs avec la nomination à venir des ministres délégués et/ou secrétaires d’Etat nécessaires pour rendre réalistes en termes d’objectifs et de capacités de résultats des périmètres ministériels considérablement élargis et périlleux par la masse d’enjeux à relever. Ce qui restera des mesures adoptées à travers la loi sur l’immigration au sortir de son examen pour conformité au Conseil constitutionnel sera de toute évidence le principal marqueur à retenir des évolutions dans la gouvernance de la France au sortir de ce remaniement et aussi celui de l’avenir des LR, bien plus que l’entrée de la Maire du 7e arrondissement de Paris dans le gouvernement Attal…
« Action, action, action, résultats, résultats, résultats », l’incantation doit dépasser l’exercice de communication, aussi maîtrisé soit-il pour convaincre une opinion publique dubitative, échaudée par un bilan de la macronie au pouvoir peu probant et la perspective de temps encore plus difficiles dans leur vie au quotidien. L’augmentation de 10 % au 1er février du tarif de l’électricité en rattrapage des dépenses du bouclier tarifaire, celle des mutuelles complémentaires de santé, la certitude que les prix dans l’alimentaire ne reviendront pas à leur niveau antérieur à la guerre en Ukraine et bien d’autres sujets d’anxiété devant la paupérisation de facto d’un nombre croissant de personnes seront des écueils redoutables à contourner dans le laps de temps très court qui sépare le remaniement du rendez-vous électoral de juin…
Quant à formuler comme certains médias que la nomination d’un très jeune Premier ministre constitue l’antidote idoine à la montée dans les sondages d’un encore plus jeune président du principal parti d’opposition, le RN, c’est faire preuve d’une singulière conception de la maturité politique des Français : une fois de plus c’est donner la primauté à la forme plutôt qu’au fond et c’est laisser la communication et ses artifices prendre le pas sur la gravité d’une impasse politique qui ne se résoudra qu’en redonnant la parole aux électeurs à un moment donné sur les sujets de première importance à leurs yeux comme l’immigration, à condition toutefois de respecter leur bon sens et leurs aspirations. Il en ira de même sur le choix du type de souveraineté que l’on entend donner à l’Europe dans la lutte entre Empires à laquelle on assiste en de trop nombreux foyers de tensions et d’embrasement potentiel échappant aujourd’hui totalement à la régulation onusienne du Moyen-Orient jusqu’au détroit de Formose…
L’histoire du « cher et vieux pays » est riche de ces épisodes où le changement suscite une excitation fébrile, exutoire aux difficultés du moment et leurre pour oublier l’amoncellement dans le ciel des nuées inquiétantes. Dans un contexte qui n’est pas sans rappeler celui de la fin de l’Ancien Régime, où la comédie s’est muée inexorablement en tragédie refondatrice d’un tout autre monde, il faut, s’il en est encore temps, juger aux actes à venir le remaniement ministériel de janvier 2024, une fois la déclaration de politique générale du nouveau gouvernement déclinée devant le Parlement, idéalement assortie d’un vote de confiance, pour autant que la feuille de route et le cap soient clairement définis et lisibles au regard des Français.
Leur résilience a fait que jusqu’à présent la maison France ne s’est pas totalement effondrée à l’issue d’une succession de crises qui aurait pu avoir raison de notre démocratie sans la force des racines du « cher et vieux pays ». Est-ce cela que recouvre la terminologie d’agenda des fiertés qui devrait selon la rumeur médiatique agitant le théâtre du soir de cette mi-janvier constituer un des points forts du rendez-vous présidentiel annoncé avec la nation ?
Le pays le saura en renouant avec la tradition des conférences de presse, jadis moments forts de la respiration politique sous la présidence du Général de Gaulle, en espérant que cette mise en scène de la parole de l’Exécutif ne se mue pas en enième exercice de communication habituel, vite oublié sous la pression des embûches d’un second mandat dont l’entame aura été si conflictuelle, obérée par l’absence d’une majorité solide, regardant dans la même direction et par l’ouverture du bal des prétendants à la succession qui se dessine à travers toute cette agitation, digne des interrogations et des doutes du Guépard sur les changements de gouvernance en d’autres temps ô combien révolus…
Eric Cerf-Mayer
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