En 1929, le tableau peint par Magritte et intitulé « Ceci n’est pas une pipe », voulait souligner l’écart entre le réel de l’objet, sa représentation figurée et les mots pour l’exprimer. Vladimir Poutine est un autre Magritte, tragique, qui qualifie d’élection une manifestation, tenue ces 16 et 17 mars, qui n’a rien à voir avec la réalité que l’on met habituellement sous ce terme.
Le terme « élection » n’a de sens que dans le cadre d’un système démocratique comportant des principes clairs de liberté d’opinion, de liberté d’expression et de pluralité de candidatures. Ce sont là caractéristiques qui n’ont pas cours dans le monde de Monsieur Poutine.
Le montage qui est organisé, affublé du nom d’élection, est un spectacle orchestré pour que le dictateur en place puisse continuer à exercer son pouvoir sans partage pour une durée indéterminée, sans qu’aucune opinion divergente et, a fortiori contestation, ne puisse être tolérée.
Et évidemment, les résultats sont à la hauteur des espérances. Une population endoctrinée et contrainte va entériner le plébiscite qu’on a organisé dans le seul but de la confirmation du tyran. Ceci n’est pas une élection, ceci est une mascarade dérisoire et tragique puisqu’elle s’accompagne de la mort et de l’enfermement de tous ceux qui pourraient vouloir contester cette désignation arbitraire.
Vladimir Poutine n’est pas un président élu, Vladimir Poutine est un dictateur qui sème la mort dans sa propre population et dans les pays qui l’entourent. Il le fait au nom d’une logique nationaliste absolue autour de laquelle il essaie de mobiliser sa population en lui faisant croire que la Russie est menacée par un occident à la fois décadent, pervers et belliqueux.
Une propagande systématique qui ne tolère aucun propos contradictoire amène la population à soutenir ce discours d’agressivité générale. C’est au nom de la défense de la patrie que tout cela est conduit, c’est au nom de sa grandeur et de son affirmation de puissance.
Nul ne peut y échapper sauf à être qualifié de traitre à la patrie et éliminé en totale impunité par un appareil de répression omnipotent. Tous les dictateurs ont toujours agi ainsi maniant à la fois l’arbitraire intérieur le plus absolu pour détruire tout opposant et l’endoctrinement par la propagande pour mobiliser les populations dans un mouvement nationalisto-totalitaire.
Et les peuples se sont souvent laissé aveugler par ces discours et ces politiques qui apportaient l’ordre intérieur et la puissance extérieure. On retrouve tout cela dans la situation d’aujourd’hui, à la solde de Vladimir Poutine. Et ce sont les mêmes qui, en France, soutiennent ce dictateur comme ils ont soutenu autrefois les dictatures fascistes ou la dictature stalinienne et bolchevique et qui viennent nous dire que le taux de participation porte témoignage de la qualité du scrutin organisé !
Vladimir Poutine a deux objectifs, accroitre la puissance et le territoire de la Russie et détruire les ennemis occidentaux qu’il rend responsables de l’effondrement de l’URSS et qui sont porteurs d’une idéologie de la liberté individuelle qu’il méprise.
Pour lui, liberté et individu sont deux mots qu’il s’agit de détruire. L’individu n’existe pas, oblitéré qu’il est par la nation à laquelle il doit se soumettre intégralement et, par voie de conséquence, la liberté individuelle est un concept saugrenu qui n’a pas de sens dans ce contexte.
L’idéologie communiste et l’idéologie nationaliste se rejoignent dans cette approche totalitaire qui nie tout fonctionnement pluraliste de la société et donc toute démocratie. Il n’y a rien au-delà de la nation-puissance sous l’autorité de son dirigeant absolu et inamovible.
Vladimir Poutine est convaincu de son bon droit, il est sûr de sa force et il pense que l’occident n’osera pas lui faire la guerre.
Il est convaincu que la guerre qu’il a lancée, sous l’appellation d’opération spéciale, est légitime car l’Ukraine, comme la Biélorussie et comme diverses autres régions de l’Europe de l’Est relèvent historiquement de la domination russe.
Évidemment, le libre choix des populations concernées n’entre pas, pour lui, en ligne de compte.
Il est sûr de sa force car, malgré les difficultés rencontrées par son armée, il sait pouvoir mobiliser un appareil militaro-industriel considérable et il sait pouvoir jouer de l’énorme puissance nucléaire dont il dispose et sous laquelle il s’abrite pour empêcher que toute attaque contre le territoire russe puisse être envisagée. Il n’hésite pas à en brandir régulièrement la menace pour dissuader toute velléité d’intervention des puissances occidentales et de l’OTAN alors qu’il ne cesse de bombarder la totalité du territoire ukrainien.
De ce fait, il pense que « l’occident global » dont il parle ne pourra lui faire la guerre et ce d’autant que les opinions publiques des pays concernés sont totalement opposées à une telle éventualité. Cette situation conforte son mépris pour cette civilisation décadente, pacifiste, féministe, ayant rejeté toutes valeurs identitaires et de puissance au profit du laxisme et des facilités de l’individualisme.
Il sait, en outre, que le peuple russe, totalement conditionné par une propagande omniprésente, soutient en majorité sa politique nationalisto-identitaire ou, en tous cas, ne pourra s’y opposer.
La logique dans laquelle il s’inscrit est exclusivement une logique nationaliste donc de puissance, donc de rapport de forces. Dans cette logique il ne conçoit pas que des peuples puissent s’exprimer librement et réclamer de participer à un monde de démocratie libérale. C’est à l’aune de cette logique de puissance qu’il interprète les évènements de 1989-1991.
Ce n’est pas pour lui, l’effondrement du communisme et l’échec de l’idéologie marxiste c’est la disparition de l’URSS et de la puissance de la Russie. Il en est de même pour les évènements de 2013-2014 en Ukraine qui ne peuvent être que le résultat d’un complot mené par l’occident pour affaiblir la Russie.
Dans ce contexte, il est clair qu’on ne peut donc avoir de négociations avec lui. La seule perspective est une nouvelle guerre froide qui sépare le monde en deux blocs puisque, désormais, le régime de Vladimir Poutine est adossé à un ensemble continental énorme, dominé par la puissance chinoise qui veut utiliser ces circonstances pour développer et imposer sa propre puissance et mobiliser le plus de pays du monde contre la domination occidentale et, avant-tout, américaine.
Nul, dans ce contexte, ne se préoccupe de l’intérêt général planétaire sauf pour essayer d’en tirer parti à son profit. Situation qui sera encore accentuée si Donald Trump est à nouveau élu à la tête des États-Unis puisqu’il s’inscrit, fondamentalement, dans cette logique d’affrontement exacerbé des nationalismes.
Dans ces circonstances, l’Europe est-elle en mesure de porter un autre discours et de faire entendre une voix de paix et d’approche universaliste des problèmes du monde ?
On peut douter qu’elle soit en capacité de le faire compte tenu de ses faiblesses propres, de ses divisions et de la difficulté à mobiliser ses populations habituées à la paix et à la société de consommation et qui n’envisagent à aucun prix une situation de guerre et tous les sacrifices qu’elle peut comporter.
Il est néanmoins indispensable que l’Europe se renforce afin de continuer à porter l’étendard de la liberté et de la démocratie que souhaitent toutes les populations du monde lorsqu’elles sont libres de s’exprimer autrement que dans des mascarades pseudo-électorales comme celle qui vient d’être organisée en Russie.
Jean-François Cervel