Le président de la République a entrepris la transformation du château de Villers-Cotterêts en Cité internationale de la langue française, marquant un important chantier culturel et patrimonial. Ce projet, célébré lors de son inauguration en octobre 2023, vise à revitaliser le site, créer des emplois, et positionner la langue française comme un atout stratégique dans le contexte mondial de défis culturels et scientifiques.
Le choix du Président de la République de transformer le château de Villers-Cotterêts en Cité internationale de la langue française traduit une double audace. Celle d’abord de renouer avec la tradition des grands travaux présidentiels sous la Vè République, avec la décision d’un grand chantier pour la première fois en province. Celle ensuite de consacrer ce projet à la langue française, et donc à la francophonie, alors qu’on lit souvent qu’il n’existe pas de concept équivalent dans le monde hormis un musée de la langue portugaise à Sao Paulo.
Ce grand chantier fut le plus important chantier culturel en France ces dernières années, si l’on excepte celui exceptionnel lié à l’incendie de la cathédrale de Paris, à hauteur de 210 millions d’euros.
Il eut d’abord un objectif patrimonial, avec la restauration du palais royal érigé par François Ier dans la forêt de Retz, avec son architecture Renaissance, et notamment une chapelle qui fut parmi les premières à rompre avec la tradition gothique. Cet objet précieux du patrimoine fut aussi un lieu de l’Histoire, lorsque les séjours de la Cour en faisaient une capitale éphémère de la France. Et il n’est pas besoin de rappeler qu’y fut signée en 1539 l’ordonnance faisant du français la langue des actes administratifs et juridiques, ordonnance par laquelle « François Ier nous rassemble comme Nation », selon les mots du Président de la République.
D’autres décisions importantes y furent prises, par exemple du temps d’Henri II, pour ce qui était cependant un lieu de fêtes et de loisirs avant tout, que son inspirateur, amateur de chasse, surnommait Mon Plaisir. Ainsi, Molière y fit jouer Le Tartuffe en 1664 pour Louis XIV, qui y donna aussi un bal masqué en 1680. Bien national après la Révolution, devenu caserne puis dépôt de mendiants puis maison de retraite, avec des aménagements qui l’ont dégradé, le château faisait peine à voir lorsque je l’ai visité il y a quatre ans à mon arrivée comme préfet de l’Aisne, avec un chantier à ses débuts et les traces encore de sa dernière occupation jusqu’en 2014, comme ces papiers peints à moitié arrachés ou cette pantoufle qui traînait au hasard d’un couloir un peu glauque.
Il faut rendre hommage à la vision d’un trésor du patrimoine non seulement rénové, mais retrouvant une nouvelle vie, et à l’engagement de tous ceux qui ont œuvré, de la conception à la réalisation, à ce nouveau destin, à commencer par les équipes du Centre des monuments nationaux (CMN), maître d’ouvrage, et tous les compagnons impliqués. J’ai pu les observer à l’œuvre avec l’enthousiasme du sens de leur travail et la conscience de participer à quelque chose qui les dépassait.
Grâce aux clauses d’insertion sociale, 150 personnes de ce secteur géographique seront salariées dans le chantier, qui sera lui-même générateur d’emplois pérennes, directs ou indirects, liés au fonctionnement du site, alors que l’Aisne est un des départements de France qui compte le pourcentage le plus élevé de chômeurs (plus de 10% au deuxième trimestre 2023 contre 7% au niveau national).
A côté de l’aspect patrimonial, il y a l’aspect culturel d’un projet ambitieux qui n’est pas un simple musée mais une cité vivante autour de l’aventure de la langue française. Lors de l’inauguration le 30 octobre 2023, le chef de l’État célébrera cette « langue française qui nous rassemble dans notre unité et notre diversité », avec « tous ceux qui l’ont reçue et tous ceux qui l’ont choisie ». J’ai fait partie de ces deux catégories, quand je l’ai reçue à Beyrouth par l’enseignement des écoles françaises, et quand je la choisis, par la force du destin, après notre exil familial en France afin de fuir la guerre. Ce don du génie français éclaire le sens profond de ma volonté de servir notre pays.
Notre langue si vivante, pour peu qu’on en respecte les fondements, est un atout exceptionnel, la cinquième la plus parlée au monde, pouvant réunir 88 pays et 320 millions de personnes.
La francophonie en est l’expression, avec un sommet en octobre 2024 qui reviendra pour la première fois en France depuis 1991, précisément à Villers-Cotterêts, dont le château et le parc sont désormais reconnus, depuis un décret du 17 juin 2022, domaine national. Il nous faut plus que jamais garder conscience de cet atout et user de cette richesse de manière aussi stratégique qu’affective. Notre temps ne manque pas de défis à cette fin, parmi lesquels ceux de l’influence culturelle et scientifique, confrontée par exemple aux enjeux capitaux de l’intelligence artificielle et du numérique en général, qui doivent aussi être d’inspiration francophone face, notamment, à la puissance anglo-saxonne.
Comme préfet de l’Aisne de 2019 à 2021, une de mes missions prioritaires était d’accompagner l’avancée du grand chantier de deux manières. En premier lieu, il fallait veiller à sa bonne inscription territoriale. C’est pourquoi le préfet présidait régulièrement un comité de pilotage des principaux acteurs locaux, au premier rang desquels les élus, ainsi que des porteurs du projet national.
Outre un état des lieux régulier et attentif, notamment au regard des objectifs ambitieux de calendrier fixés malgré les perturbations liées à la crise de la Covid, des travaux pratiques importants étaient conduits, en particulier dans des groupes dédiés à la desserte multimodale : desserte ferroviaire, transports urbains, déplacements en mode doux avec des projets de véloroutes, déplacements en véhicules avec la question complexe du stationnement. La signalisation à l’approche du site comme autour a également fait l’objet de décisions dans ce cadre. Le sous-préfet de Soissons était engagé sur les différents volets.
Outre l’aspect concret de ces travaux, qui peut être parfois trop négligé dans les phases de conception, il existait un réel enjeu d’accès à un site certes proche de Paris mais loin de la capitale, dans ce sud axonais souvent mal connu. Des financements de l’État ont donc été légitimement mobilisés dans certains cas, dans le cadre des priorités des politiques publiques, de même, le cas échéant, que des interventions au niveau préfectoral pour accélérer l’aboutissement de certains dossiers.
J’avais également fait dès mon arrivée de la lutte contre l’illettrisme une grande cause départementale. En effet, 13 % de la population axonaise était en situation d’illettrisme contre 7 % pour la France entière.
Un plan départemental avait été signé le 15 mars 2021 avec le Conseil régional et le Conseil départemental, comprenant vingt actions et s’appuyant notamment sur les possibilités qui seraient ouvertes par la Cité internationale de la langue française.
En second lieu, il importait que ce projet fasse l’objet d’une inscription dans une dynamique géographique plus globale, et serve ainsi de levier à l’attractivité et au développement de l’Aisne, département disposant d’atouts mais en réalité méconnu et dont la population est en moyenne parmi les plus défavorisées. La Cité internationale de la langue française constitue donc une formidable opportunité pour un département qui manque de leviers internes, sous réserve de parvenir à valoriser son impact. Des réflexions ont été ainsi émises à l’époque sur :
– la perspective d’une forme d’articulation entre châteaux du même secteur, incluant celui au potentiel remarquable de Coucy-le-château (château fort médiéval qui possédait avant 1917 le donjon le plus imposant d’Occident, et représentait un des sites les plus visités de France, consolidé par Viollet-le-Duc au XIXè siècle), celui de La Ferté-Milon (vestige impressionnant d’un château médiéval), et du côté de l’Oise ceux de Pierrefonds et Compiègne. Ils dépendent déjà du CMN ;
– la perspective d’une structuration d’une forme de circuit des grands écrivains, avec en particulier le trio exceptionnel du sud de l’Aisne constitué de Racine (La Ferté Milon), La Fontaine (Château-Thierry) et Alexandre Dumas (Villers-Cotterêts), mais aussi Paul Claudel à Villeneuve-sur-Fère ;
– l’aménagement éventuel d’infrastructures, en premier lieu l’étude de la question de la virgule ferroviaire qui permettrait de relier la ligne Laon-Paris à l’aéroport de Roissy et de décloisonner ainsi toute l’Aisne.
Enfin, reste ouverte la question des perspectives pour la partie du château ne relevant pas de la Cité internationale. En effet, celle-ci occupe une partie du site seulement (logis royal, jeu de paume, etc), mais une seconde phase est prévue, dans une logique de valorisation économique plus que culturelle, pour le reste du lieu (communs, séchoir, cuisines, cour des offices, etc). Des idées ont été avancées, notamment par un rapport de l’ancien directeur général du domaine national de Chambord, mais il semble que les décisions restent à prendre.
La nouvelle vie du château de Villers-Cotterêts ne fait donc que commencer, dans le but de contribuer au rayonnement de l’Aisne comme de la France.
Ziad Khoury
Préfet