En arrivant à la Maison-Blanche le 20 janvier 2025, le nouveau président des Etats-Unis s’est empressé de signer plusieurs centaines d’ordres exécutifs, symboles de ses orientations politiques, sensés mettre en pratique immédiatement sa vision de la société et du monde. Parmi eux, il est impossible de ne pas citer les décisions de retrait des accords de Paris sur le climat, et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont les Etats-Unis sont le principal contributeur financier. Certaines de ces décisions ont pour vocation de marquer une rupture avec le wokisme, dont la fermeture du programme en charge de la diversité aux Etats-Unis et le licenciement de la totalité des fonctionnaires qui y étaient affectés, la classification du genre en une homme et une femme (la fin de la mention binaire dans les passeports par exemple), l’interdiction faite aux hommes devenus femmes de participer à des compétitions sportives. Enfin, parmi les décisions les plus emblématiques, il convient de signaler la fin du droit du sol permettant l’octroi de la nationalité américaine à toute personne née sur le sol des Etats-Unis, la déclassification les informations relatives à l’assassinat de John Fitzgerald et Robert Kennedy, enfin, le rétablissement du leadership américain en matière de technologie financière et numérique.
La portée juridique d’un « ordre exécutif »
En premier lieu, il convient de ne pas se méprendre sur la signification d’un « executive order ». Cette expression a été, à tort, souvent traduite par le mot « décret ». Or, on ne peut l’assimiler à un décret, le plus approchant étant la notion de directive. Un ordre exécutif consiste donc en des orientations envoyées aux services fédéraux, qui ont une vocation limitée en termes fonctionnel et institutionnel. Ils trouvent leur source dans l’article 2 de la Constitution américaine qui dispose que « le pouvoir exécutif sera confié à un président des Etats-Unis d’Amérique ». Les sections II et III de la Constitution prévoient que le président doit fidèlement appliquer les lois. Il s’agit là de la source du pouvoir exécutif qui constitue la base légale des ordres exécutifs et confère une importante marge de manœuvre au président pour appliquer les lois (mais pas les contredire) et gérer les ressources de l’ensemble des services placés sous son autorité, c’est-à-dire dépendants du pouvoir exécutif. Ce faisant, un ordre exécutif ne peut porter atteinte, d’une part à la Constitution et, d’autre part, à la séparation des pouvoirs. Un tel acte peut plus rarement trouver sa source dans une délégation du Congrès des Etats-Unis qui va confier un certain pouvoir discrétionnaire au président des États-Unis, ce qui intervient très peu en raison de la séparation stricte des pouvoirs dans le régime présidentiel américain. Il en résulte que la traduction adéquate de ces actes juridiques serait plutôt des directives qui ont pour vocation d’orienter les décisions des services exécutifs et des agences fédérales, ou, encore, des décrets d’application des lois, ou des arrêtés.
L’intervention inévitable des juges
En second lieu, il en résulte tout à fait logiquement que ces décisions prises par le président des Etats-Unis sont soumises à un contrôle juridictionnel (« judicial review »). De tels actes ne doivent pas être contraires à la Constitution ou un de ses amendements. Ils peuvent être suspendus ou annulés par des juridictions, pouvant aller jusqu’à une décision de la Cour suprême des États-Unis.
Cela n’a pas manqué. Dès la signature de la décision de Donald Trump mettant fin au droit du sol, plusieurs tribunaux ont été saisis. Un juge fédéral de Seattle dans l’Etat de Washington a ainsi affirmé que la décision mettant fin au droit du sol était « manifestement inconstitutionnelle » et a suspendu cet ordre exécutif. Ce juge, qui a affirmé n’avoir jamais vu en quarante années d’exercice de décision violant aussi manifestement la Constitution, s’appuie sur le quatorzième amendement qui dispose dans sa section I que « toute personne née ou naturalisée aux États-Unis et soumise à leur juridiction est citoyen des États-Unis et de l’Etat dans lequel elle réside ». L’administration Trump a immédiatement réagi en estimant que la décision présidentielle ne violait pas ce quatorzième amendement. Vingt-deux Etats américains, dont la Californie et New-York, ont également porté l’affaire devant les tribunaux. Le procureur général de Californie a par exemple expliqué que le président avait « largement dépassé le cadre de ses fonctions avec cet ordre exécutif » ajoutant « nous le tiendrons pour responsable ».
Le droit du sol remis en cause
L’affaire risque de durer pendant plusieurs années, peut-être même pendant toute la durée du mandat de Donald Trump. Certains, faisant preuve d’un pessimisme manifeste, font valoir que la majorité de la Cour suprême étant acquise aux idées réactionnaires de Donald Trump, celle-ci pourrait valider l’ensemble des décisions qu’il prendra, notamment celle remettant en cause le droit du sol contrevenant au quatorzième amendement de la Constitution. Il est en effet avéré que les juges nommés par Donald Trump lors de son premier mandat (soit trois sur neuf), épousent la même vision rétrograde de la société que le président. On peut citer à cet égard la décision historique du 24 juin 2022 remettant en cause le droit à l’avortement qui avait été consacré par la décision du 22 janvier 1973 Roe versus Wade. Toutefois, les sujets de société ne sont pas de même portée que les questions d’ordre constitutionnelle. Comment la Cour suprême accepterait-elle de remettre en cause aussi frontalement un droit issu de la Constitution sauf à scier elle-même la branche sur laquelle est assise et détruire complètement l’indépendance du pouvoir judiciaire ? Celui-ci repose sur la section 1 de l’article 3 de la Constitution qui dispose que « Le pouvoir judiciaire des Etats-Unis sera conféré à une Cour suprême et à telle cours inférieures dont le Congrès pourra de temps à autre ordonner l’institution ».
En d’autres termes, en multipliant des instructions par le moyen des ordres exécutifs outrepassant ses pouvoir exécutifs, Donald Trump prend le risque que le sort de son second mandat dépendra tout autant des électeurs que des juges, malgré ses tentatives passées et à venir destinées à déstabiliser le pouvoir judiciaire.
Un début chaotique de politique étrangère
Si la marge de manœuvre du Président est plus importante en matière de politique extérieure, ses premiers pas sur la scène internationale suscitent de nombreuses inquiétudes. On peut citer en premier lieu son intention réelle ou feinte de vouloir reprendre le contrôle du Groenland, par un simple appel téléphonique à la Première ministre danoise Mette Frederiksen (le Groenland dépend de la souveraineté du Danemark même si ce territoire bénéficie d’un importante autonomie). Selon des sources concordantes, cette conversation fut pour le moins agitée à la limite de menaces exercées à l’encontre de la Première ministre. Malgré ses pressions, Donald Trump ne pourra mettre en œuvre sa volonté de reprendre le contrôle de ce territoire riche en pétrole, en gaz naturel et autres ressources naturelles et donc essentiel pour la sécurité nationale des Etats-Unis. De la même façon, sauf à dénoncer le traité sur le canal de Panama qui avait été signé par Jimmy Carter, on ne voit pas comment il pourrait en tout état de cause en reprendre le contrôle par la voie militaire dès lors que ce canal est sous la souveraineté d’un Etat indépendant, le Panama. Mentionnons aussi sa décision unilatérale de changer la dénomination du golfe du Mexique en golfe d’Amérique.
Enfin, les propos pour le moins irresponsables sur la nécessité de faire « le ménage à Gaza » en envisageant la perspective de relocaliser les Palestiniens de la bande de Gaza vers l’Egypte et la Jordanie n’est pas envisageable, cette proposition ayant reçu une fin de non-recevoir de la part des autorités de ces deux pays. Toutefois, cela pourrait renforcer le clan des jusqu’au-boutistes extrémistes qui siègent dans le gouvernement d’Israël qui appellent de leurs vœux l’annexion pure et simple de la bande de Gaza pour y installer des colons.
Une nouvelle guerre commerciale annoncée
Quant à l’annonce de l’arrestation de l’expulsion massive de migrants, le nouveau chef de la politique migratoire Tom Homan autrement dénommé le « tsar des frontières », vient d’essuyer un refus du gouvernement mexicain d’accueillir les deux premiers vols militaires à destination du Mexique, lequel est finalement parti vers le…Guatemala.
Au final, on constate que les mesures les plus emblématiques par Donald Trump II risquent d’être largement inapplicables. Donald Trump n’étant pas un homme d’Etat mais un homme d’affaires, il voudra sans doute montrer à ses électeurs qu’il est dans un système où il est gagnant, dans la perspective des élections de mi-mandat (les « midterms ») qui auront lieu en 2027. Reste alors le levier des taxes à l’importation dont l’effet pourrait laisser à désirer et qui pourrait amener certains dirigeants étrangers à négocier, notamment en Europe dont on sait qu’elle ne pourra pas faire face de façon unie la nouvelle guerre commerciale qui s’annonce. Quant à l’Ukraine, on attend toujours le remède miracle du nouveau président pour y mettre un terme définitif sans aucune garantie de respect de l’intégrité territoriale de ce pays.
Patrick Martin Genier
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