Après sept ans à la présidence de l’Association des maires de France, François Baroin a décidé de ne pas briguer un nouveau mandat. Deux candidats, David Lisnard et Philippe Laurent sont en lice pour lui succéder. L’élection aura lieu lors du 103e Congrès des maires et présidents d’intercommunalités de France qui se tient du 16 au 18 novembre à Paris. Pour la Revue Politique et Parlementaire, Jean-Victor Roux a interviewé les deux candidats. Rencontre avec David Lisnard, maire de Cannes.
Revue Politique et Parlementaire – L’élection à la présidence de l’Association des maires de France, à laquelle vous êtes candidat, se déroule un peu plus d’un an après les élections municipales. Quels sont pour vous les enseignements de ce scrutin, tenu dans le contexte si particulier de la crise sanitaire, et marqué par une abstention record ?
David Lisnard – Il est très difficile de tirer des enseignements d’un scrutin qui a été marqué par une abstention historique de 55 % au premier tour et de près de 60 % au second. La crise sanitaire a bien évidemment été le marqueur essentiel de ces élections municipales.
Elles ont malgré tout permis de constater que dans un moment aussi particulier, les maires conservaient toute leur légitimité, d’abord et avant tout par le travail qu’ils ont réalisé au quotidien pour protéger leur population et tous ceux qui se sont retrouvés en première ligne. Mais si l’abstention lors de ce scrutin peut s’expliquer en grande partie par la crise sanitaire, il n’en demeure pas moins que ce phénomène qui tend à s’amplifier à chaque élection traduit une dévitalisation démocratique à laquelle nous devons répondre justement par davantage de proximité et d’actions concrètes.
À cet égard, le rôle des maires, directement en prise avec les habitants et leurs problématiques doit être défendu et revalorisé. Plutôt que de chercher à entraver notre action en nous imposant une bureaucratie toujours plus contraignante, l’État devrait nous donner davantage de liberté et cesser d’exercer un contrôle a priori qui non seulement ralentit l’action publique mais en plus coûte cher aux contribuables.
RPP – Emmanuel Macron a fait appel aux maires dans le cadre inédit du Grand débat national, au plus fort de la crise des Gilets jaunes. Le gouvernement a également vanté le « couple maire-préfet » pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Pourtant, les sujets de désaccord semblent nombreux entre l’exécutif et les élus. Comment jugez-vous les relations entre les maires et le Président de la République au cours du quinquennat écoulé ?
David Lisnard – Après un début de quinquennat de dénigrement des maires par l’exécutif, jusqu’à lancer #balancetonmaire, de nationalisation de la taxe d’habitation et de tutelle financière par le « dispositif de Cahors », le président a été rattrapé par la réalité des Gilets jaunes puis de la crise sanitaire. Chacun a vu que les communes étaient la dernière institution populaire, et modernes par leur pragmatisme.
Souvent, nous travaillons bien avec les Préfets, mais eux-mêmes ont perdu beaucoup de pouvoir et sont contredits par les Directions et Agences régionales de l’Etat, comme les DREAL et ARS.
Emmanuel Macron avait promis de « renouveler le pacte républicain avec les Maires », nous attendons toujours de savoir ce qu’il entend par là alors que son mandat touche à sa fin.
Clairement, il n’a pas cette sensibilité d’élu local qui lui permettrait de comprendre la nécessité de s’appuyer sur les maires et de les considérer pour ce que nous sommes : les premiers remparts de la République.
RPP – Baisses de dotations, suppression du levier fiscal avec la fin de la taxe d’habitation, transfert de nombreuses compétences à l’échelon intercommunal : ces dernières années, le constat d’une perte de pouvoir des maires semble difficilement contestable. Comment y remédier ?
David Lisnard – Il faut faire en effet ce constat implacable d’un mouvement recentralisateur. Après avoir dévitalisé financièrement les collectivités territoriales devenues dépendantes des dotations de l’Etat, nous sommes de plus en plus privés aussi de notre liberté, donc de notre responsabilité, en matière d’urbanisme, comme l’illustrent les ZAN ou les dispositions récentes empêchant le maire de s’opposer à l’implantation d’éoliennes.
Cette nouvelle forme de tutelle se manifeste également dans la schématisation à laquelle nous sommes soumis pour le moindre projet et dans la multiplication des appels à projets qui enlèvent de la liberté d’action locale et privilégient les grandes collectivités qui ont les ressources en ingénierie pour y répondre au détriment des communes rurales.
L’AMF doit porter la voix des communes et des libertés locales.
Cela passera avant toute réforme du schéma institutionnel par la mise en œuvre réelle du principe de subsidiarité. Il faut aller au plus simple et au plus près du terrain : tout ce qui peut être fait au niveau local doit l’être, hormis les grands principes de libertés publiques et les missions régaliennes qui sont du domaine exclusif de l’État.
RPP – L’application du non-cumul des mandats a pour effet de déconnecter la vie politique nationale de la vie politique locale. C’est d’ailleurs le premier Parlement du non-cumul qui a voté la suppression de la taxe d’habitation. Faut-il revenir sur cette réforme afin que les maires, qui sont identifiés des Français et bénéficient d’une place à part parmi les élus locaux, puissent se faire mieux entendre à Paris ?
David Lisnard – Je crois que l’on n’a pas bien pris en compte les conséquences induites par l’interdiction du cumul des mandats.
Le découplage entre le local et le national est aujourd’hui trop important.
On se retrouve ainsi avec des nouveaux députés qui n’ont ni attache locale, ni connaissance de la réalité et du fonctionnement des mairies. D’où des lois hors sol. Les sénateurs ont encore cette connaissance-là mais elle se perd. Et les députés ne l’ont plus.
C’est pourquoi je plaide pour la création à l’initiative de l’AMF d’un Comité législatif local qui regroupera des maires, notamment des maires ruraux, des parlementaires, des hauts-fonctionnaires, pour travailler en amont sur la préparation des textes de loi qui concernent l’organisation des pouvoirs publics ayant une incidence sur les communes, mais aussi sur la rédaction des textes d’application et sur leur évaluation en aval.
RPP – Quarante ans après les lois Defferre, réclamer « davantage de décentralisation » est presque devenu un lieu commun et cette notion semble désigner un processus sans fin. Que recouvre concrètement cette revendication et pourquoi est-elle à même de répondre aux attentes des Français ?
David Lisnard – J’ai en tête cette phrase de François Guizot qui disait en 1821 « Que le pouvoir central renonce à la prétention d’être tout, et bientôt il cessera d’être seul ». La décentralisation n’est pas une fin en soi. Elle doit permettre non seulement à l’État de redevenir fort en se recentrant sur ses missions régaliennes, celles pour lesquelles il a été créé – Justice, Sécurité, Défense, Instruction publique – mais aussi à l’action publique de redevenir performante en garantissant les libertés et les initiatives locales et en desserrant l’incroyable étau de contraintes qui pèsent sur les collectivités et notamment les communes, soumises à un enchevêtrement de normes, de règlements, textes législatifs et services tatillons de l’Etat qui les empêchent d’agir pour l’intérêt général et de répondre ainsi concrètement, directement et efficacement aux attentes et aux besoins des habitants.
Le nouvel acte de décentralisation que j’appelle de mes vœux se trouve en fait dans l’article 72 de notre Constitution qui dispose que « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. ». Or, ce principe de subsidiarité n’est pas respecté.
Voilà ce que recouvre cette revendication : davantage de liberté, donc davantage de responsabilité, et nous retrouverons aussi du lien civique. Il y en a besoin !
RPP – La France compte près de 40 % des communes de l’Union européenne. Faut-il maintenir cet héritage historique, ou au contraire encourager la constitution de communes nouvelles, ce qui tend à se développer y compris pour d’importantes aires urbaines, à l’instar d’Annecy ?
David Lisnard – Les communes françaises sont légitimes, à la fois fruit d’une réalité géographique, démographique et historique. Elles sont aussi modernes car malgré toutes les difficultés, grâce au dévouement des maires et de leurs équipes, elles garantissent partout un service public humanisé, incarné.
C’est aussi le rôle de l’AMF que d’aider les petites communes, et notamment les communes rurales ou montagnardes pour leur donner accès à l’ingénierie nécessaire afin de répondre aux appels à projets, manifestations d’intérêt ou autres complications administratives, pour les soutenir en cas de crise majeure, pour mettre fin aux zones blanches médicales ou numériques, à la fermeture des services publics de proximité.
Quant à la constitution de communes nouvelles, c’est une très bonne approche car elle répond à une volonté locale et non imposée. Dans ce cas, oui, il faut les encourager.
RPP – L’Association des maires de France est une institution importante de notre République. Quel doit être son positionnement vis-à-vis des partis politiques ? Comment concevez-vous le rôle de son président afin de représenter l’ensemble des maires du pays ?
David Lisnard – La plupart des maires de France ne sont pas encartés dans un parti politique. Et ceux qui le sont, pour l’immense majorité, ne gèrent pas leur commune selon leur affiliation politique. À Cannes, je ne suis pas le maire d’un parti, je suis le Maire de tous les Cannois.
L’AMF se doit de représenter l’ensemble des maires, en dépassant les clivages politiques et en ne se souciant que de l’intérêt communal et des libertés locales.
Il faut garantir l’indépendance de notre association vis-à-vis du pouvoir, quel que soit le pouvoir.
C’est pour cela que les listes que nous avons composées avec André Laignel sont des listes transpartisanes qui comprennent beaucoup de maires sans étiquette et des maires qui reflètent l’arc politique allant des communistes aux LR, en passant par le Centre.
C’est en agissant de la sorte, et non en composant des listes faisant la part belle aux proches de l’exécutif que nous préserverons cette indépendance, gage de la crédibilité et de la légitimité de notre institution. L’enjeu aujourd’hui est de préserver l’indépendance de l’AMF par son pluralisme. Elle ne doit pas tomber dans les mains d’un clan.
RPP – L’AMF est présente aux côtés des autres associations d’élus dans le cadre de la démarche « Territoires unis ». Entendez-vous poursuivre cette orientation d’un front commun face à l’Etat pour demander davantage de décentralisation ?
David Lisnard – Oui. Ce qui favorise le dialogue et le travail en commun entre nos associations ou entre nos collectivités est pertinent. Territoires Unis a été une démarche innovante et a traduit la volonté des trois niveaux de collectivités d’agir ensemble pour proposer une vision commune de l’avenir de la décentralisation, des libertés locales et de l’organisation des relations institutionnelles, financières et fiscales entre l’Etat et les pouvoirs locaux.
Il faut continuer, dans le respect de notre diversité et avec la conviction qu’unis nous pèserons toujours plus. L’élargissement à d’autres associations s’inscrit dans cette logique mais il doit reposer sur des convictions partagées.
RPP – Le mandat municipal est souvent présenté comme le plus beau des mandats. Pourquoi avez-vous souhaité l’exercer ? Quelles sont les qualités d’un bon maire ?
David Lisnard – J’ai acquis cette expérience auprès de Jacques Pélissard, ancien Président de l’AMF et Député-Maire de Lons-le-Saunier, dont j’ai été le directeur de cabinet, dans le Jura avant de retourner dans le privé et d’être élu local dans ma commune de Cannes depuis 20 ans. Oui, c’est le plus beau des mandats car il permet d’être directement au contact de ceux qui nous font confiance pour gérer la commune et pour rendre la qualité de vie meilleure, le cadre de vie plus agréable. Quand on est Maire, on est confronté à la réalité du quotidien. Nous sommes des praticiens pragmatiques.
La passion de nos villes et de nos villages nous rassemble.
Un bon maire, finalement, c’est celui qui, sans oublier qu’il n’est qu’un citoyen parmi d’autres, sans oublier d’être à l’écoute de ses administrés, sait protéger et projeter sa commune et ses habitants vers un avenir meilleur.
Nous avons chaque jour à recoudre le tissu social.
RPP – Pourquoi êtes-vous le mieux à même de présider l’Association des maires de France ? Quelles seront vos priorités une fois investi de la confiance de vos pairs ?
David Lisnard – La réponse appartient aux autres maires qui auront ce choix à faire au congrès de l’AMF. Mon expérience auprès de Jacques Pélissard, auprès de François Baroin comme vice-Président de l’AMF depuis 2017, comme maire d’une ville comme Cannes, une ville contrastée, bien loin des clichés que certains essaient de véhiculer, une ville qui connaît un taux de pauvreté de plus de 20 % contre 13,8 % en moyenne nationale, une ville qui comme de très nombreuses autres villes françaises connaît des problèmes d’insécurité du fait notamment d’un affaiblissement des moyens de l’État, une ville qui doit se battre au niveau mondial pour assurer son développement économique et attirer les plus grands congrès internationaux mais qui parallèlement est la quatrième ville des Alpes-Maritimes en taux de logements sociaux et cherche avant tout à préserver son identité et son environnement.
Bref, Cannes est une ville qui rassemble beaucoup des caractéristiques des communes de France.
Mes priorités figurent dans mon programme : je souhaite une AMF unie, renforcée, dynamisée et indépendante de tout pouvoir, quel que que soit ce pouvoir. Mais aussi une AMF utile et force de proposition. Utile aux maires de toutes les communes, rurales comme urbaines, petites ou grandes, quelles que soient leurs spécificités. Force de propositions pour insuffler un nouvel acte de décentralisation afin de retrouver notre liberté d’action au niveau local. Je souhaite une AMF qui agisse concrètement au service des maires et de l’intérêt communal.
David Lisnard
Maire de Cannes
Propos recueillis par Jean-Victor Roux