« L’une des conséquences de la nouvelle liberté mondiale de mouvement est qu’il devient de plus en plus difficile, et peut-être même impossible, de réinscrire les questions sociales comme horizon d’une action collective réelle. »
Zygmunt Bauman « Le coût humain de la mondialisation »
Les écarts excessifs entre la rémunération des dirigeants des entreprises transnationales et les salaires perçus aux niveaux opérationnels sont devenus un thème récurrent qui émeut les opinions publiques. Les pratiques actuelles apparaissent en opposition avec l’aspect environnemental (« E »), la gouvernance (« G ») et le social « S », des critères ESG : ce pivot central reste le « parent pauvre » de ce dispositif, en dépit des multiples déclarations publiques. Les entreprises transnationales sont des acteurs majeurs de la stratégie ESG, via leurs chaines de valeurs (« supply chain »), leur politique de sous-traitance, le fonctionnement de leurs comités de rémunération et leurs relations avec les parties prenantes. Pour les macroéconomistes, ces écarts considérables de revenus et de richesses se mesurent par l indices de Gini entre autres.
Face aux critiques médiatisées qui attisent cette rivalité mimétique chère à René Girard, les insuffisances actuelles de la gouvernance des entreprise transnationales et de leurs comités de rémunération ont été mises en cause par certaines instances supranationales (Nations Unies, et PNUE, Banque mondiale, FMI, OCDE, Banques centrales dans le cadre NGFS, EBA, OIT …), ainsi que par de nombreux centres universitaires (Institut Européen d’Ecologie, EBRI …), ou d’influentes ONG. Le Sarbarnes Oxley Act aux Etats-Unis, les lois sur la sécurité financière en France et « Pacte », avaient renforcé le contrôle interne des entreprises, ainsi que la responsabilité des mandataires sociaux et des auditeurs. Les autorités nationales de contrôle des marchés financiers (SEC, AMF, mais aussi BAFIN en R.F.A., FSA au U.K, …) jouent un rôle croissant, bien qu’insuffisant : elles accordent une place minime à la dimension sociale et privilégient le « benchmarking » des rémunérations des dirigeants, sans référence aux critères sociaux. Le « pacte vert européen », « l’Inflation Reduction Act » des US et la planification écologique de la Chine, ne visent pas davantage l’équité sociale.
Le « fonds social pour le climat » limite ses actions en matière d’équité aux « ménages vulnérables du fait de la pauvreté énergétique », à l’intérieur des frontières de l’UE. Les protestations des opinions publiques ont pourtant provoqué depuis deux décennies diverses interventions circonstancielles, partielles, mais parfois incohérentes et toujours technocratiques (règlement « taxonomie » soutenu par l’ESMA-European Securites Markets Authority ; CSRD-Corporate Sustainability Reporting Directive ; SDFR-Sustainable Finance Disclosure Regulation), qui tentent de coordonner la mise en oeuvre des critères ESG. Cas particulier, les comités de rémunération des « prestataires de services bancaires » visent les « principes de rémunérations de l’entreprise » et intègrent les notions de risques et de contrôle interne, dans la ligne de la directive européenne « CRD V » (« MRT : Market Risk takers »). Les rapports des banques sur les politiques de rémunération constituent un progrès pour le personnel du secteur financier européen. Dans d’autres domaines, d’importants objectifs environnementaux (suppression des moteurs thermiques à partir de 2035, norme dite « 7 » de pollution automobile pour 2025, …) sont vigoureusement contestés par les lobbies concernés, remettant en cause le rythme du « green deal », au titre de l’acceptabilité politique et sociale. L’Allemagne et la France, à titre d’exemple, s’opposent sur les stratégies énergétiques et leurs modalités de financements.
En France, une charte de l’environnement a été intégrée dans la Constitution en 2005, mais aucun de ses 10 articles ne fait référence aux questions sociales et à la notion d’iniquité de revenus.
Les contraintes légales et règlementaires françaises, dont les périmètres d’application sont limités, ne suffisent pas à construire une stratégie transnationale ESG. Une stratégie consensuelle en matière de questions ESG est-elle compatible avec les « business models », présents et futurs, des entreprises transnationales pour toutes ses parties prenantes ? Doit-elle contribuer à une meilleure équité sociale dans le monde ? Par quelles voies et moyens pour ce type d’entreprises, en vue de réconcilier leurs objectifs RH et ESG autour du critère « S » ?
Ces défis concernent en priorité les entreprises transnationales d’origines européennes qui affirment défendre certaines valeurs éthiques ; le « verdissement » effectif des rémunérations doit éviter un éventuel « social bashing », petit cousin du « green washing » médiatique. Chaque transnationale définit les exigences environnementales qui leur sont spécifiques en termes d’impacts nets mesurables par échéances. Les options stratégiques cohérentes à long terme sont choisies parmi les nombreuses facettes des enjeux écologiques urgents : protection de la biodiversité, économie de ressources naturelles, limites à la pollution, non-dégradation des préservation des écosystèmes, contrôle des émissions de gaz à effet de serre (zéro carbone, méthane), recyclage de déchets, promotion de l’économie circulaire, qualité sanitaire de l’alimentation, prévention des activités dangereuses-« Seveso », priorité aux énergies renouvelables, reconfiguration logistique… Ces choix stratégiques, restructurent les « business models » de l’entreprise et modifient leurs rentabilités : ils sont destinés à être articulés avec les composantes des rémunération immédiates et différées. De nouvelles recherches académiques et les enseignements correspondants pourraient alors accompagner utilement la rigueur technique du concept de rémunération globale, stock-options et retraite gérée en capitalisation concernant alors l’ensemble des salariés, sur la base d’une gouvernance transnationale.
Au-delà des déclarations des principes généraux ou des recommandations d’origines diverses (ONU, OCDE, OFCE, ONG …), les comités de rémunération des entreprises transnationales sont appelés à élargir leurs responsabilités en participant, à leurs niveaux, aux objectifs 8, 9 et 10 des « ODD » (« Objectifs de Développements Durables ») de 2015.
La modernisation des normes comptables internationales traitant des rémunérations différées en termes de coûts et de juste valeur (« fair value »), permettra d’attribuer en toute clarté des rétributions équitables et mesurables. Il s’agit ainsi de tenir compte des pouvoirs d’achats réels des monnaies d’usage local, en cohérence avec les critères ESG déclinés géographiquement par les « boards » des transnationales, notamment d’origine européenne.
Gouvernance sociale, rémunération globale, comités de rémunération rénovés et critères ESG : une cohérence transnationale à construire au XXIe siècle ?
L’appétit pour la création rapide de valeur financière a provoqué, au cours des décennies écoulées, de vastes mouvements de restructuration d’entreprises par croissance externe, modifiant les conditions d’emplois et de rémunération. Ces opérations de « mergers and acquisitions » aboutissent au développement de nouveaux groupes transnationaux, bousculant la composition des « boards » et des comités de rémunération eux-mêmes. Les transnationales répondent à des critères spécifiques : volume d’exportations, délocalisation de la production auprès des marchés consommateurs, multiplicité de pays d’implantation industrielle et commerciale, membres des « boards » et salariés n’appartenant pas à la nationalité du siège social, variété culturelle et professionnelle des membres du « board ». Les actions et obligations de ces entreprises transnationales figurent sur des places boursières, internationales imposant des contraintes règlementaires variées. Les 50 transnationales européennes majeures sont regroupées dans l’indice boursier « eurostock 50 » depuis l’an 2000.
Leurs restructurations soulèvent le délicat problème de la coordination des rémunérations globales destinées aux diverses parties prenantes autrefois concurrentes, suscitant tentations de surenchères pour les dirigeants en place.
A contrario, les concepts exigeants de gouvernance sociale et de rémunération globale imposent de répondre à la fois à des enjeux d’équité interne et externe et à l’harmonisation ex post des politiques RH au plan transnational ; c’est l’occasion d’intégrer les meilleures pratiques ESG, via un code de conduite : « Transnational Benefits guidelines corporate ». L’articulation des performances par projet et des rétributions variables ou différées suppose la mise en place et la maîtrise d’outils transnationaux compatibles avec une stratégie ESG. Les rétributions exceptionnelles liées au succès des opérations de fusion soulèvent des questions spécifiques d’équité aux sommets des entreprises concernées imposant des « due diligences » spécifiques.
Le rééquilibrage humain entre la création de richesses financières et le développement des égalités se présente comme une opportunité stratégique à long terme pour les parties prenantes internes dans les transnationales d’origines européennes de l’« eurostock 50 », dont 15 sont allemandes et 14 françaises.
La difficile réconciliation des impératifs économiques et sociaux constitue un point de passage obligé de ces évolutions, dans un nouveau contexte concurrentiel mondial.
Cette mutation conforme aux critères sociaux des ESG suppose une nouvelle architecture de la démocratie sociale à dimension transnationale, respectueuse des intérêts spécifiques des parties prenantes, actives et inactives. Les entreprises transnationales européennes peuvent en devenir les pionnières, via la généralisation de ces « Transnational Benefits Guidelines », à l’initiative de leurs comités de rémunération « corporate » et « locaux ». La pérennité de ces engagements serait concrétisée par l’ajout de ces « guidelines » en annexe à la charte d’entreprise précisant les écarts maximaux de rémunération et la prise en compte des impacts écologiques dans les composantes variables ou différées.
Au-delà des dispositions techniques, la connaissance de ces « guidelines » à finalités sociales par l’ensemble des parties prenantes portera remède au « pire des maux » que redoutent actuellement nombre d’entreprises transnationales, à savoir la perte de confiance publique, notamment de la part de nouvelles générations et des talents qu’elles véhiculent.
En termes actuels, ce « risque réputationnel négatif » nuit aux recrutements, à la productivité, mais également aux cours boursiers influencés par « l’activisme écologique ».
Il s’agit d’une contribution décisive au lancinant problème des écarts de richesses constatés de par le monde. Une coopération entre la sphère académique et les acteurs de terrain favorisera l’analyse des situations en vue de proposer des concepts nouveaux, intégrant les dimensions psychologiques, environnementales, économiques et sociales, matière à débat sur les urgences et les perspectives à long terme des entreprises transnationales.
Trois types de contre-arguments de nature géopolitiques méritent d’être évoqués : ils visent la gouvernance sociale transnationale, en complément à la question de la sous-traitance qui mériterait de plus vastes développements dans un monde en recomposition. L’acronyme « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, suivant le regroupement proposé par Goldmann Sachs) prend une nouvelle signification en intégrant en 2023 six nouveaux pays : il en résultera de nouvelles approches de la notion d’économies « émergentes », pourvues ou non d’importantes richesses naturelles. La fragmentation croissante des économies provoque une réorganisation des alliances, supposées plus ou moins « friendly », impactant les chaines de valeurs des transnationales.
- Les critiques les plus fréquentes visent la superposition de type « soft law » qui alourdirait la gestion courante RH et les travaux des comités de rémunération des transnationales. Cette remarque émane de dirigeants réticents à toutes évolutions sociales, si ce n’est contraintes par les lois et règlements. Ce faisant, ils banalisent l’identité profonde de leur entreprise, sans considération pour ses origines, ses opportunités stratégiques, son éthique et son avenir. Cette attitude passive nuit à la conception autonome et volontariste d’une personnalité morale « corporate », capable d’affirmer ses valeurs, qualitatives et quantitatives, à travers les rémunérations décentes et motivantes de l’ensemble de ses collaborateurs, à long terme, de par le monde.
- Par ailleurs, les risques de faiblesses boursières induites par des lourds et durables surcoûts d’origine RH et ESG peuvent faciliter les prises de contrôle externes non souhaitées. Ce risque est réel pendant une période transitoire, mais une comptabilité écologique sincère et véritable nuirait davantage aux prédateurs financiers ignorant de leurs propres lacunes en matière RH et ESG. La communication financière sur l’impact de ces critères à court terme constitue un contre-feu à ces agressions boursières. Les informations positives qui s’imposent peuvent être appuyées par des agences de notations spécialisées et indépendantes appuyées par l’ESMA. Elles joueront un rôle essentiel dans ce contexte culturel évolutif, au service des fonds de pension, investisseurs institutionnels à la gouvernance rénovée, conscients de leurs responsabilités écologiques. Les enjeux financiers et extra-financiers ont amené des banques centrales, comme la Banque de France, vers des notations de type « indicateur climat » pour les ETI, en cohérence avec le « NGFS » (« Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial Systems »), initié à Paris en 2017 (« One Planet Summit »).
- Enfin, les débats les plus pertinents concernent le rééquilibrage des rémunérations entre catégories de salariés. La recherche de l’équité transnationale passe par un examen approfondi des pouvoirs d’achats relatifs dans les différentes zones d’activité de chaque « business unit » des transnationales. Ce sujet complexe concerne les nombreux pays en voie de développement, selon des stades différents en Afrique, en Amérique du Sud, en Inde et en Orient, sans ignorer les écarts intra-européens. Les transnationales ne peuvent négliger, ni les situations de sous-rémunérations structurelles dans certaines zones, ni les effets concurrentiels induits sur les prix proposés aux consommateurs sur les marchés internationaux. Une analyse des situations locales divergentes fait partie des attendus de la stratégie de localisation dans le monde avec les écarts tolérables de rémunération. Les stratégies transnationale RH des « Keiretsu » japonais et des « Chaebols » sud-coréens apportent certains enseignements en matière de rétributions, malgré de graves dysfonctionnements de gouvernance et d’éthique. En revanche, dans le contexte géopolitique actuel, les pratiques des transnationales appartenant à des régimes non démocratiques comme la Fédération de Russie et ses satellites, la République Populaire de Chine et quelques autres pays à pratiques dictatoriales, ne manquent pas de soulever d’incontournables questions éthiques entrainant de graves désordres financiers et sociaux chez eux et chez leurs partenaires économiques. Les écarts de rémunération et de richesses peuvent y prospérer en l’absence totale de gouvernance sociale, ce qui n’empêche pas des volontés de développements hégémoniques dans l’économie mondiale de marché. Ces « maîtres du monde en puissance », héritiers d’idéologies à prétention universelle, seraient-ils davantage attirés par les théories de Milton Friedman que par les conceptions de Jean Tirole, en matière de « bien commun », pour n’évoquer que deux célèbres prix Nobel attribués par la Banque de Suède à plusieurs décennies de distance ?
L’Allemagne fédérale a été une pionnière européenne en matière de consensus social dans le contexte initial de la « Grundgesetz », puis du « Wirtschaftswunder » d’après-guerre. L’ordolibéralisme allait succéder à l’économie sociale de marché sur un plan transnational. Cette approche originale de l’économie politique repose sur une conception globale de la personne qui refuse la simplification des motivations de l’homo « oeconomicus », réduit à une rationalité matérialiste de court terme : cette conception intègre les principes et l’héritage de la morale kantienne. Cette vertu citoyenne ne devait-telle pas permettre, grâce à la concurrence locale et internationale, d’organiser un « ordre » social plaçant les entreprises face à la question vitale des rémunérations globales ? Cette ambition de l’Allemagne d’après-guerre avait produit ses effets de modération en matière de rémunération dans un contexte spécifique de relations avec les syndicats. Il s’agit d’un processus consensuel, voie originale qui peut inspirer de nouvelles initiatives dans les entreprises européennes transnationales d’origine européenne, en orientant leur développement mondial.
La réussite d’un tel projet de société civile mondiale repose sur le respect de relations consensuelles à long terme entre parties prenantes, conscientes de leurs responsabilités, de leurs capacités d’innovation et de leurs marges réelles de manœuvre, au niveau transnational.
Les rythmes des projets de transition écologiques restent tributaires de l’élaboration de ce type de consensus, parfois encouragés par une tentative de « planification écologique » d’origine nationale, comme en France.
Vers de nouvelles responsabilités au sein des « boards » des transnationales européennes ?
Les comités d’audit et les comités de rémunération sont appelés à jouer au XXIe siècle un rôle croissant au sein de ces entreprises transnationales, garantissant l’orthodoxie de la gestion interne par rapport à des référentiels préalablement acceptés de type ESG ; ces derniers sont également tributaires de la qualité de la communication financière et sociale correspondante, tant sur un plan interne qu’externe. A ce titre, ces deux comités sont conjointement concernés par les données relatives aux coûts et valeurs de la rémunération globale immédiate et différée (y compris stock-options et retraite gérée en capitalisation), ainsi qu’aux passifs sociaux susceptibles d’être générés aux bilans des entreprises. Du fait des normes comptables internationales actuelles, une documentation, nécessaire mais insuffisante, est aujourd’hui fournie aux parties prenantes en rapport étroit avec un contrôle légal externe lui-même peu concerné par les enjeux sociétaux. Les délais de révision de ces normes ne permettent pas de les considérer comme des outils corrects de gouvernance sociale, mais les états d’esprit évoluent, notamment chez les générations plus jeunes ; les adaptations de certaines normes comptables internationales ne manqueront pas de contribuer à lever le voile de l’opacité qui accompagne encore certaines formes de rémunération suite à la mise en place d’un audit social, interne et externe. En raison de la (mauvaise) qualité des dossiers dont ils disposent et de possibilités de contrôle insuffisantes, les comités de rémunération se situent aujourd’hui en aval des décisions stratégiques : leurs membres peuvent difficilement modifier les inflexions nécessaires au plan transnational, si ce n’est par des réactions limitées et inadaptées en matière d’équité salariale.
En revanche, l’action volontariste d’une approche citoyenne et culturelle, de dimension transnationale, pourrait, à l’appui de nouvelles conceptions, accélérer les réformes en faveur des nouvelles ambitions ESG-RH, comparables à celles qui se font jour chez certains « prestataires bancaires » européens en matière de contrôle interne.
Les travaux effectués (Agro-Paris Tech et chaire Comptabilité Ecologique du collège des Bernardins) dans le contexte de la « CARE » (« Comprehensive Accounting with Respect to Ecology ») méritent d’être développés de façon multidisciplinaire pour tous les secteurs, en recherchant une coordination scientifique avec les normes comptables internationales autour d’une notion rénovée de « capital humain » associée aux ESG : les points de vue gagneront à être confrontés et rapprochés sur la base de consensus reposant de fait sur un nouveau langage de communication financière et extra-financière.
Dans le contexte concurrentiel mondialisé, les comités de rémunération sont destinés à rechercher, promouvoir et coordonner les meilleures solutions en termes d’équité et de justice sociale au plan transnational. Les prochaines évolutions concerneront, selon toutes vraisemblances, plusieurs approches, dont les entreprises transnationales pourraient, et devraient, être les promotrices.
- D’une part, les compétences des comités de rémunération seront élargies à de nouvelles catégories de salariés disposant ou non du statut de dirigeant, mais associées aux projets stratégiques de l’entreprise. D’une approche limitée à la rémunération du président et/ou du directeur général, la plupart des groupes ont déjà étendu les fonctions de leurs comités de rémunération aux cadres dirigeants, supérieurs, à leurs équipes et aux jeunes hauts potentiels, via les stock-options et les systèmes de retraite fidélisants. Le périmètre de compétence de ces comités est appelé à s’étendre encore à des catégories plus vastes de salariés. L’affectation d’équipes transnationales composées de diverses catégories de personnels et affectées aux mêmes projets stratégiques, conduit à de nouvelles pratiques d’évaluation reposant sur le triptyque : « attribution de résultats, contribution des équipes, rétribution des personnes ». Cette approche inspirée des modèles de Kaplan-Norton, constitue un outil d’évaluation en faveur des rémunérations respectueuses de l’équité interne et externe.
- D’autre part, les comités de rémunération utiliseront la panoplie complète des solutions possibles en matière de rémunération immédiate, de substitution ou différée. L’articulation entre les rétributions variables (surtout si elles sont à effet de levier de type stock-options) et les performances attendues provoquera l’évolution des différentes composantes de la rémunération globale dans le sens du respect rigoureux de la totalité des critères ESG. La mise à disposition d’outils de pilotage pertinents en coûts et valeurs constituera l’une des avancées essentielles de la décennie en cours pour les comités de rémunération contrôlant l’ensemble des dispositifs.
La consolidation auprès des « comités de rémunération groupe » sera structurée par bénéficiaire afin d’éviter les excès d’aujourd’hui, par défaut d’information des parties prenantes, correctement mesurées et structurée dans le temps. Les critères objectifs d’appréciation de la rémunération globale par rapport aux performances attendues permettront une coordination transnationale, y compris en termes de mobilité et de promotion des salariés de divers niveaux. Ces tendances s’accompagneront de clarifications en matière de pouvoirs relatifs à la rémunération globale aux structures décentralisées disposant de comités locaux. Les principes de gestion des ressources humaines et les limites de pouvoirs hiérarchiques seront précisés de façon formelle, permettant aux comités de rémunération locaux d’exercer leurs fonctions dans divers environnements juridiques, sociaux et culturels. Ces nouveaux rapports se concrétiseront notamment par la délégation spécifique de négociation, au plan local, via les « Transnational Benefits Guidelines », auditables a posteriori, sur un plan externe et interne.
Le principe du « say on pay » a déjà contraint beaucoup d’entreprises à livrer des informations qu’elles auraient préféré ne pas publier, voire ne pas diffuser en interne. Ces réticences, issues d’une conception traditionnelle du secret des affaires, sont désormais révolues dans les transnationales soucieuses de leurs environnements humains et sociaux. La conjugaison à long terme de stratégies RH et ESG ne permet plus de faire l’impasse sur ces informations essentielles pour toutes les parties prenantes, à condition qu’elles soient complètes, sincères et vérifiables : la qualité des processus consensuels en dépend.
La gestion, en temps réel, de la communication financière et sociale, d’une part, la maîtrise d’outils de rémunération complexes, d’autre part, aboutissent à la nécessaire professionnalisation de la fonction RH : celle-ci retrouvera sa dimension stratégique, qui avait été perdue dans les transnationales depuis plusieurs décennies, grâce aux nouveaux objectifs ESG, conjugués avec une stratégie RH mondiale.
Cet exercice de communication (de type « full disclosure ») ne doit pas tomber dans la tentation de l’ambigüité sémantique que favorisent les usages complaisants de type « novlangue » ou « globish ». Selon les recommandations de la philologue française Barbara Cassin, un recours complémentaire aux langues locales s’impose dans le contexte d’une transnationalisation accélérée : c’est une condition préalable pour promouvoir l’univocité du langage et la compréhension réciproque, au sein des transnationales.
La nécessaire gouvernance sociale des fonds de pension, investisseurs institutionnels majeurs
L’opposition traditionnelle entre capital et travail s’estompera quand la plupart des salariés seront actionnaires de façon indirecte des entreprises via les fonds de pension, déjà en forte croissance en Europe. Sur un plan financier, la diversification des risques de placements s’impose aux fonds de pension qui investissent actuellement sur les marchés financiers des sommes totales supérieures à 20 trillions d’euros, soit un tiers environ de la capitalisation « actions » mondiale. Les fonds de pension délèguent une grande partie de leurs placements à des tiers. Il s’agit pourtant de véritables investisseurs institutionnels à long terme dont les entreprise et leurs salariés doivent récupérer leur légitime « indépendance d’action » et le contrôle effectif de leurs placements, notamment en matière de votes aux Assemblées Générales annuelles des sociétés cotées. Le plus grand de ces gestionnaires de capitaux délégataires, l’américain BlackRock (de l’ordre de 10 trillions $ d’actifs sous gestion courant 2023), prône, certes, la mise en place des critères ESG. Ce conseiller des investisseurs boursiers a cependant introduit au même moment les cryptomonnaies sur ses plateformes « ALADDIN », (« Asset Liability, Debt and Derivative Network »), mises à la disposition de ses clients institutionnels, comme les fonds de pension ; outils de pure spéculation à court terme, sans sous-jacents réels et dépourvus d’utilité financière et sociale dans l’économie, les cryptomonnaies devraient être exclues des placements de fonds de pension. Certains espèrent que cette bévue ne soit qu’un « gambit » du célèbre fondateur californien de BlackRock, Larry Finck…
Pour les experts judiciaires (« forensic »), ces monnaies virtuelles permettent notamment les transferts anonymes et le blanchiment de la « dark economy » et figurent parmi les actifs les moins recommandables.
La faillite retentissante de la plateforme « FTX » en novembre 2022 a conduit son promoteur devant le tribunal de New-York dans le courant 2023 pour escroquerie et blanchiment.
Le britannique Schröders, (600 milliards $ d’actifs sous gestion), a adopté des comportements plus volontaristes : son CEO britannique Peter Harrison a demandé à chaque entreprise cotée de transmettre le plan détaillé de transition écologique afin d’évaluer sur de nouvelles bases les opportunités d’investissements. Las, Peter Harrison a été critiqué pour ses augmentations de sa propre rémunération, en contradiction avec ses déclarations publiques… En pratique, la plupart des gestionnaires de capitaux américains et européens, tels Vanguard, UBS, State Street, Fidelity, Pimco, Allianz, Amundi, …, ont révisé leurs critères d’investissements en faveur des ESG : ils ont créé des instruments de placements spécialisés, y compris des ETF, et ont mis en place des équipes dédiées. Le mouvement « Net Zero Asset Managers », créé fin 2020, regroupe 315 gestionnaires d’actifs : tous s’engagent sur 10 types de « commitments », de type environnemental et non social. Certains d’entre eux ont développé des systèmes de rating internes : de nouvelles priorités de placements n’accordant, pourtant encore aujourd’hui, qu’une place limitée à la gouvernance sociale et à la rémunération globale. D’autres encore ont réintroduit, de façon peu crédible, la notion dépassée de capital humain selon le regretté Gary Becker (1930-2014), représentant de de l’école de Chicago. Le groupe transnational d’analyses financières, d’origine américaine, Bloomberg a pris la décision d’inclure les notations ESG dans les « data » diffusées de par le monde par plus de leurs 350 000 terminaux. Des fonds d’investissements spécialisés se réclament du label ISR (Investissement Socialement Responsable), mis en place en France en 2016. Des indices boursiers spécialisés ESG prolifèrent sur les différentes places européennes et mondiales.
Enfin, certaines autorités de marchés comme la SEC US infligent depuis peu des pénalités en cas de « greenwashing » avéré : ce fut le cas courant 2023 pour la filiale de la Deutsche Bank « DWS » aux USA, à titre d’exemple.
Les graves accidents financiers survenus au cours de la décennie 1990-2000, puis en 2008 (crise d’hyperspéculation dite des « subprimes » US), militent en faveur d’une attitude beaucoup plus active des fonds de pension en matière d’actionnariat responsable de type ISR (Investissement Socialement Responsable), à l’initiative des salariés et retraités des transnationales qui en sont les véritables bénéficiaires. Aux Etats-Unis, le fonds de pension californien CALPERS s’était engagé en pionnier dans cette voie depuis plusieurs décennies. C’est davantage le cas en Europe, dans d’importants fonds de pension hollandais et norvégiens, notamment.
Ainsi peut-on conjecturer que la gouvernance sociale n’en est qu’à ses débuts en Europe, à condition que les moyens concrets des acteurs financiers à vocation sociale accompagnent les options stratégiques de type ESG avec rigueur et professionnalisme : il appartient à une nouvelle génération de dirigeants d’entreprises et de partenaires sociaux de mettre en œuvre les choix et les arbitrages de placements financiers des fonds de pension, dans l’intérêt social de toutes leurs parties prenantes, sous leur responsabilité directe.
Selon « PensionsEurope », le total des placements gérés par ces fonds européens (y compris britanniques) avoisinait 5 trillions € en 2022 (contre 20 trillions pour l’ensemble des fonds de pension dans le monde), mais près de la moitié de ces actifs ont été confiés à des « investments funds » dans le cadre d’une gestion déléguée orientée vers la rentabilité à court terme. Une reprise en main de leur propre politique actionnariale s’impose donc en faveur du respect des ESG dans les sociétés cotées où les fonds de pension investissent leurs actifs de placements à long terme. Ce discernement sélectif leur imposera les recrutements d’analystes financiers « buy side », experts dans chacun des 3 critères ESG. Les sociétés appartenant à l’« eurostock 50 », sont d’origine allemande et française, suivies par les entreprises hollandaises, italiennes et espagnoles : elles représentent une capitalisation boursière de l’ordre de 3 trillions €. Ce sont ces transnationales qui subiront en priorité la pression actionnariale des fonds de pension en faveur des ESG et de leurs volets « S » et « G », en pratique les moins promus. Le recours à des agences de notation indépendantes, spécialisées et compétentes sur ces thèmes essentiels d’avenir, s’imposera sur les principales places financières, avec possibilité d’exclusion éventuelle de certains titres.
Ces évolutions devraient favoriser l’identification et la compréhension des risques partagés par les entreprises cotées, leurs dirigeants et leurs salariés dans le cadre d’une gestion quantitative et qualitative de type « Passifs/Actifs » (« LDM) « : « Liabilities Driven Management ») des fonds de pension. La gestion socialement responsable des placements, implique que les engagements sociaux priment sur les opportunités de marchés et non l’inverse, comme c’est le cas avec la gestion « Actifs-Passifs » (« ALM » : « Assets Liabilities Management »). L’optimisation durable des performances financières et sociales serait alors, via un activisme actionnarial et partenarial, à rechercher sur des bases consensuelles et transnationales : les fonds de pension-actionnaires favoriseraient ainsi la répartition équitable de l’ensemble des rétributions au sein des transnationales (notamment différées : stock-options et retraite gérée en capitalisation), dans le respect de critères ESG et RH, compatibles avec leurs équilibres économiques.
Une nouvelle mondialisation financière et sociale serait placée sous le contrôle vigilant de puissants acteurs, grâce à l’intégration des principes de la gouvernance sociale au cœur des fonds de pension, investisseurs institutionnels majeurs.
D’ailleurs les autorités de contrôle européenne (EIOPA : European Insurance and Occupational Pensions Authority) en paraissent désormais convaincues, avec les derniers projets d’une nouvelle directive sur les fonds de pension (IORP II : Institutions for Occupational Retirement Provisions), soutenus par l’ESMA (European Securities Markets Authority).
La gouvernance sociale exige des rémunérations équitables compatibles avec l’intégralité des ESG : des perspectives éthiques exigeantes pour les transnationales européennes
Les principaux dysfonctionnements actuels persistent au sein des entreprises transnationales, dès lors que la coordination des comités de rémunération (centraux et locaux) ne se trouve pas garantie sur un horizon de moyen et long terme par l’affirmation d’une stratégie cohérente de rémunération globale impliquant à la fois les perspectives RH et ESG : ces engagements ne visent pas aujourd’hui à garantir les pouvoirs d’achat des salariés en termes réels par rapport à l’inflation, au regard des compétences et des performances attachées à chaque projet au sein des multiples « business units » ; de fait, ces attitudes négatives entretiennent l’exploitation abusive d’effets de rentes transnationales, sources d’iniquités majeures, par défaut de gouvernance sociale.
Les critiques visant les comités de rémunération en termes de « clientélisme », d’« échelle de perroquet », voire de « renvois d’ascenseur », ne sauraient rester sans réponse de la part des parties prenantes responsables, au sein ou à l’extérieur des entreprises. La recherche d’une réelle représentativité des parties prenantes s’impose à l’égard des salariés.
La démocratie sociale exige moins de corps intermédiaires « historiques » et plus de suffrages directs et actuels conduisant à une véritable « éthique de la discussion ». Les Etats s’avèrent impuissants face à ces pratiques qu’ils ne sont pas à même de maîtriser.
En raison de délocalisations massives, les gouvernements sont sensibles, dans les économies à représentation démocratique, aux réactions de leurs électeurs victimes de « l’iniquité » sociale subie sans contrepartie acceptable. L’accumulation législative et réglementaire risque d’être contreproductive dans une économie globalisée mais fragmentée, résultat d’une mondialisation débridée. Il est urgent de mettre un terme aux « pires pratiques » en matière d’emploi et de rémunération dans les groupes transnationaux, en construisant le cercle vertueux d’une création de richesse partagée et équitable ; les recherches académiques et les réactions des autorités de marché s’avèrent tardives et insuffisantes face à ce constat alarmant. Il ne s’agit pas de rêver, en dépit de leur brillant « esprit de géométrie », avec les philosophes grecs, à l’avènement d’une « justice distributive » spontanée, mais d’organiser un système économique concurrentiel, efficace et innovant pour le XXIe siècle, en renonçant aux rentes financières construites sur des écarts salariaux injustifiables. Les nécessaires mutations d’états d’esprit au sein des « boards » des transnationales répondent à plusieurs urgences qu’imposeraient les graves périls d’une mondialisation qui resterait ignorante des ESG et du nouveau partage de valeurs qu’elles impliquent, à savoir :
- Adapter, les normes comptables internationales en matière de rémunérations différées (stock-options et pensions gérées en capitalisation) dans le sens de la « full fair value ». Certaines ont le mérite d’exister, mais s’avèrent, dans le contexte d’une économie globalisée et de marchés financiers mal contrôlés peu significatives, bien qu’elles donnent l’illusion de mesures exactes ; les normes actuelles pèchent par défaut évident de réalisme sur le plan social et financier. De nouveaux processus d’élaboration, à l’abri des lobbies, doivent être adaptés, dans l’intérêt bien compris des parties prenantes, pour corriger ce défaut majeur de mesure.
- Elargir les notions de risques pour les parties prenantes, au-delà des concepts techniques aux horizons étroits, assimilés à des dogmes intangibles et associés à la supposée efficience des marchés financiers. Ces concepts traditionnels ont eu le mérite, dans une « économie de convention », d’accompagner de substantiels progrès en matière d’évaluation financière et de gestion de capitaux. Ils s’avèrent aujourd’hui réducteurs par rapport au fonctionnement des marchés financiers mondiaux et aux pratiques spéculatives de ses opérateurs. Les conditionnalités des rémunérations différées (stock-options et retraite gérée en capitalisation) tributaires des critères ESG impactant la performance – quantitative et qualitative – de l’entreprise, ouvre de vastes champs de réflexion. Ces ouvertures sur un horizon de moyen terme contribueront à relever les défis d’une mondialisation orientée vers des finalités sociales grâce à l’engagement actionnarial des fonds de pension. Des réponses concrètes aux niveaux de partage des risques et des richesses entre parties prenantes, au sein des « business units » des entreprises transnationales, sont attendues en amont des efforts nationaux de redistribution fiscale.
- Identifier, reconnaître et faire comprendre les niveaux opportuns de mutualisation de risques à partager par chaque partie prenante concernée par les divers régimes de retraite. En France et dans plusieurs pays d’Europe, la quasi-totalité des salariés se trouve prisonnière d’un système de retraite par répartition imposant une mutualisation démographique étroite, rigide et peu prometteuse ! Au plan mondial, il n’est pas concevable d’imaginer un système équitable de répartition où les jeunesses africaines, indiennes ou brésiliennes financeraient les pensions des retraités européens, japonais ou nord-américains… Une minorité privilégiée a accès aujourd’hui à la mutualisation des opportunités offertes par les marchés financiers : ce dispositif permet, via des fonds de pension bien gérés, de compenser le coût de l’allongement de la durée de la vie humaine grâce à l’innovation et la productivité entrepreneuriale. Cette perte de chance pour le plus grand nombre des salariés est en contradiction avec l’interaction des réalités économiques et sociales. D’une mutualisation démographique vers une mutualisation financière et sociale reposant sur des outils de mesure auditables, le chemin à parcourir parait « naturel » : c’est celui de la gouvernance sociale intégrant la rémunération globale ; cette solution implique les partenaires sociaux et contribuera au contrôle effectif des marchés financiers, via les fonds de pension engagés au plan actionnarial. Ce progrès reste pourtant bordé de multiples obstacles, tout aussi « naturels ». Ce sont ceux qui sont générés par l’esprit humain, lorsque celui-ci succombe à une « greedy attitude » : déchainement d’hubris-arrogance, appétit de pouvoir sans limite, mimétisme rivalitaire, corruption active et passive, mensonges et fake-news … Ces comportements abusifs se trouvent exacerbés chez certains dirigeants peu soucieux de l’avenir de leurs équipes, lors des opérations de fusions-acquisitions. Il leur appartient de coordonner et nourrir de plus grandes ambitions en s’opposant à ces dérives toujours menaçantes, dans le contexte international concurrentiel et fragmenté du XXIe siècle.
- Former les parties prenantes et les partenaires sociaux, aux nouveaux outils de gouvernance sociale et de rémunération globale, à commencer par les membres des comités de rémunération. Cette ambition suppose l’adoption de perspective à long terme élargissant l’approche locale au profit d’une vision transnationale équitable. Les expériences déjà engagées – et souvent réussies – en matière d’épargne salariale constituent un point de départ encourageant en France et en Europe. La mauvaise gestion de certains fonds de pension, enclins à déléguer leurs responsabilités actionnariales à des tiers, nuit à leur gouvernance sociale sans exercer activement leur puissance financière, en Europe comme dans le monde. Les représentants des salariés et des retraités n’ont pas, jusqu’ici, pris conscience de leur rôle décisif au sein de ces organismes institutionnels à vocation paritaire qui leur sont dédiés : un contrôle efficace des marchés financiers devrait dépendre, en partie, de la vigilance de leurs représentants démocratiquement élus, correctement formés, à l’abri des dérives éthiques.
- Eviter que les comités de rémunération restent le « maillon faible » de la gouvernance d’entreprise par une attitude passéiste face à l’urgence des enjeux des ESG en leur reconnaissant le périmètre de responsabilités, les moyens concrets de décision et le prestige attaché à leur dénomination. Les membres de ces comités d’un nouveau genre devront faire preuve, comme leurs collègues des « boards », de « Weltbürgerlichkeit », de « citoyenneté mondiale » : vaste sujet humaniste à intégrer dans la communication transnationale des grandes entreprises. Les conditions d’accès, les modalités d’action et les finalités des comités de rémunération se trouveront renouvelées au service des parties prenantes, sur la base d’une éthique partagée. Le rajeunissement par des membres issus des métiers exercés permettra d’utiliser les marges de manœuvre de chaque transnationale concernant le pivot central « S » des ESG. A ces connaissances techniques devront s’ajouter, pour chacun d’entre eux (- elles), de réelles ouvertures d’esprit, en vue de traduire les impératifs culturels induits par cette nouvelle forme de gouvernance sociale. Les principaux attributs des comités de rémunération assumant leur responsabilité élargie seraient alors structurés autour des 3 objectifs majeurs des « Transnational Benefits Guidelines corporate » : définition et coordination des principes de rémunération globale pour chaque catégorie de salariés au plan transnational, précisant les échelles et écarts tolérables ; utilisation d’un outil fournissant les coûts et valeurs actualisées des différentes composantes de la rémunération globale pour chaque partie prenante en cohérence avec les performances financières et extra-financières ; informations vérifiables de type « full disclosure », explicitant leurs « due diligence », leurs moyens d’action et leurs responsabilités.
L’orthopraxie qui incombe aux membres des « boards », aux partenaires sociaux et aux dirigeants se doit d’être respectueuse de l’univocité sémantique de la communication, évitant toute forme de polysémie ambigüe concernant à la fois chacun des critères ESG et les responsabilités des comités de rémunération : leurs messages et les actions correspondantes doivent avoir la même signification et être compris de façon identique dans les milieux financiers et sociaux.
Cette attitude sincère (« true and fair ») exige une vision éthique au service des stratégies RH et ESG, à l’opposé du comportement frileux et obscurs, trop répandu aujourd’hui dans les comités de rémunération dociles et peu innovants, au sein des transnationales européennes.
Il revient par ailleurs à la responsabilité des « deans » et des professeurs de business-schools et d’université d’introduire les enseignements correspondants, sur des bases multidisciplinaires, à l’appui de cas pratiques et de concepts théoriques, sans négliger l’ampleur des novations ainsi induites en termes de vision et de maîtrise intellectuelle : de l’actuariat financier pour les RH et du social mesurable à intégrer dans les cours de finance. Leurs contenus doivent être validés par les données « acquises » en sciences de gestion, dans leurs divers environnements scientifiques, culturels et éthiques. Les enseignants en gestion d’entreprise sont encouragés dans cette voie par le « COBS » (« Council on Business and Society »), fondé en 2011 et engagé dans l’affirmation d’un « responsible leadership » des futurs dirigeants et acteurs d’entreprises transnationales. Cet organisme, encore embryonnaire, regroupe actuellement 14 campus sur les 5 continents, dont l’ESSEC à Cergy-Pontoise.
La bonne information d’importantes associations d’épargnants-assurés a précédé en Europe celle des cotisants et retraités d’entreprise dont les représentants s’opposent dans de stériles et violents conflits de générations : ces confrontations idéologiques mettent en péril les aspirations légitimes à une réelle démocratie sociale utilisant à son profit les ressources des marchés financiers, tout en veillant à en limiter activement les abus et excès. Au-delà de ces considérations techniques, le rééquilibrage des pouvoirs et des moyens au sein de l’économie mondiale relèvera de consensus « généralement admis » de types culturels, éthiques et politiques : ils refléteront la répartition transnationale des efforts financiers et humains induits par le respect effectif de critères ESG, intrinsèquement associés aux objectifs de gestion sociale RH à moyen et long terme.
Gérard Valin
Expert judiciaire honoraire près la Cour d’Appel de Paris
“La logique financière se clôt sur elle-même et deviant auto-référentielle :
la rationalité économique, faute d’être ancrée dans une médiation sociale
qui en détermine la finalité,
dégénère en rationalité mimétique”
André Orléan :
“Le pouvoir de la finance”