L’article de Charles-Louis Foulon retrace la remarquable carrière et l’héritage exceptionnel de Philippe de Gaulle, dernier marin de la France Libre à servir activement jusqu’en décembre 1982, dont les contributions ont été saluées lors de son départ et qui recevra des honneurs militaires à titre posthume.
Philippe de Gaulle qui avait été, en juillet 1940, l’un des premiers volontaires au sein des Forces Navales Françaises Libres, a été le dernier marin de la France Libre à quitter le service actif en décembre 1982, avec le grade d’amiral. Dans l’ordre du jour saluant son départ, le ministre de la Défense Charles Hernu tint à le rappeler avant d’évoquer une carrière exemplaire après une guerre courageuse au cours de laquelle il fut blessé six fois et cité 3 fois. Après ses cours à Portsmouth, l’aspirant de marine de Gaulle avait servi sur la corvette Roselys puis dans des escortes de convois sur l’Atlantique. Enseigne de vaisseau en mars 1943, il fut chef du premier peloton des fusiliers marins de la 2è Division Blindée en août 1944 ; il obtint alors, à Paris, la reddition des 400 combattants allemands retranchés dans le Palais Bourbon. Le président Richard Ferrand y a dévoilé une plaque commémorative le 27 novembre 2019.
Même si, à l’automne 1940, le chef des Français Libres avait écrit à sa femme qu’entrer alors dans la Marine française était un choix hasardeux, il avait accepté que son cher vieux garçon poursuive son destin.
Quand il exerça ses fonctions de président de la République, il veilla à ce que Philippe ne puisse tomber dans les mains des putschistes d’Alger en avril 1961 ; la famille de Philippe de Gaulle prit aussi le chemin de Baden- Baden en mai 1968, à l’étonnement du général Massu.
C’est seulement sous la présidence de Georges Pompidou que le capitaine de vaisseau de Gaulle fut promu contre-amiral en septembre 1971. Le président Giscard d’Estaing l’éleva au rang de vice-amiral en 1975. Il commanda l’escadre de l’Atlantique de février 1976 à octobre 1977 avant de présider la commission permanente des essais.
C’est avec le grade d’amiral que, de novembre 1980 à 1982, il fut inspecteur général de la Marine.
Versé dans la 2ème section des officiers généraux en décembre 1982, Philippe de Gaulle obtint d’être élu sénateur RPR de Paris en 1986 et de le rester, dans le cadre de l’UDF, jusqu’en 2004. De 1980 à 1997, avec le concours de quelques collaborateurs, il avait veillé à l’édition, chez Plon, des treize volumes des Lettres, notes et carnets de Charles de Gaulle. Le 22 septembre 1988, il m’avait écrit que « les sujets ne manquant pas sur le fond, on pouvait bien (lui) laisser la forme, c’est à dire son contexte personnel et familial ». Il fit paraître, dans cet esprit, l’album de famille De Gaulle en 1989. En choisissant d’intituler Mémoires accessoires les deux tomes de ses souvenirs publiés par Plon en 1997 et 2000, Philippe de Galle révéla la difficulté d’être le fils d’un personnage de l’Histoire. Il a voulu ensuite, avec le concours de Michel Tauriac, l’humaniser en 2003 et 2004, dans les deux volumes du De Gaulle mon père. Sa vision, selon Pierre Nora (cf. Le Débat, 2005), maréchalisait et pétainisait inutilement le général de brigade à titre provisoire qui avait su dire qu’il n’y avait pas de politique qui vaille en dehors des réalités et qu’il n’imaginait pas la France sans la grandeur.
Philippe de Gaulle est mort à l’Institution Nationale des Invalides quelques semaines après son 102ème anniversaire, dans le service Saint-Jean-de-Luz dont le nom lui rappelait les cités maritimes qu’il apprécia tant 1.
Son corps doit rejoindre le tombeau où repose déjà, depuis 2014, la mère de ses quatre fils, Henriette de Montalembert de Cers qui avait pour parrain Henri d’Orléans, comte de Paris 2. Dans le petit cimetière de Colombey-les- Deux-Églises, leur double tombe et celle où sont inhumés Élisabeth de Gaulle et le général Alain de Boissieu font face à la double pierre tombale sous laquelle, depuis le 8 février 1948, Anne de Gaulle a attendu qu’y soient ensevelis ses parents, à ses côtés – conformément aux vœux formels écrits dès 1952 par le Général -, le corps de Charles de Gaulle le 12 novembre 1970 puis celui d’Yvonne de Gaulle peu après le 8 novembre 1979. La fondation Charles de Gaulle a évoqué l’officier valeureux dans un courriel du 13 mars 2024 après que la présidence de la République ait annoncé un hommage national. Conformément au décret du 13 septembre 1989 dont les dispositions avaient été prises sur instructions du président Mitterrand, les honneurs funèbres militaires seront rendus le 20 mars 2024, dans la cour d’honneur des Invalides, à l’amiral de Gaulle, grand-croix de la Légion d’Honneur et grand-croix de l’ordre national du Mérite fondé par son père en 1963.
Charles-Louis Foulon,
Historien,
Auteur de Charles de Gaulle, un siècle d’Histoire, préfacé par Alain Decaux de l’Académie française (éditions Ouest-France, 1990) et de De Gaulle Itinéraires (CNRS éditions 2010) préfacé par Jean-Louis Crémieux-Brilhac.
- et aussi l’embarquement pour l’Angleterre, en juin 1940, du journaliste Maurice Schumann qui allait devenir le porte-parole du général de Gaulle sur les ondes de la BBC, dans le cadre de l’émission Honneur et Patrie et qui représenta ensuite le département du Nord à l’Assemblée Nationale de 1945 à 1973 puis au Sénat de 1974 à sa mort en 1998. ↩
- Ce parrainage me semble expliquer pourquoi le prétendant au trône de France fut l’une des très rares personnalités admises à se recueillir à la Boisserie avant les obsèques de Charles de Gaulle, « sans musique, ni fanfare, ni sonneries ». A cette occasion, Philippe de Gaulle lui confia : en d’autres temps, mon père aurait été heureux de vous servir. Toutefois, si l’on peut penser, dans une uchronie que le général de Gaulle eut été fait alors Connétable de France et même si Henri de Gaulle, le grand-père de Philippe, avait été un monarchiste de regret, le fondateur de la Cinquième République avait exclu plusieurs fois, devant ses collaborateurs, toute possibilité de restauration monarchique. ↩