Le psychodrame qui s’est joué ce week-end lors du sommet du G7 en Cornouailles a constitué un nouvel épisode du grave conflit qui oppose l’Union européenne au Royaume-Uni à propos de l’application du protocole relatif à l’Irlande du Nord.
Aux termes de ce protocole, l’Irlande du Nord, où un sondage récent vient encore de montrer que plus de 70% des irlandais du Nord veulent conserver des liens étroits avec l’Union européenne, la règle était simple, en théorie. Le protocole signé par Boris Johnson avec l’Union européenne prend acte du fait que la province britannique reste dans le mécanisme de l’union douanière européenne et bénéficie de ses avantages. Il s’agissait là de faire application de l’accord du Vendredi-Saint de 1998 selon lequel il ne peut exister de frontières entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Une telle frontière eut été inconcevable et de nature à raviver les tensions et les luttes intercommunautaires entre les catholiques et les protestants qui a fait des milliers de morts au cours de la guerre civile.
Pas de frontières entre les deux Irlande, mais une frontière au sein du Royaume-Uni
Séparer de nouveau des familles entre la province et le reste du pays eut été non seulement inconcevable, mais aussi totalement irresponsable, en violation des règles institutionnelles et aurait constitué une négation de l’histoire de l’Irlande.
Mais partant, une autre règle était posée. Afin de protéger l’intégrité du marché intérieur européen, il était non moins indispensable que les contrôles douaniers eussent lieu dans un autre périmètre, afin de s’assurer que les produits du Royaume-Uni ne pénétreraient pas dans l’Union européenne par mégarde, inattention ou simplement par fraude, faute de surveillance au sein de l’Union européenne, via la République d’Irlande. Le risque était grand et il le demeure.
Comme il n’y avait pas d’autre lieu envisageable, il a donc été décidé d’instaurer des contrôles douaniers entre l’Angleterre et la province d’Irlande du Nord, soit de part et d’autre de la mer d’Irlande. En fait, il s’agissait de mettre en œuvre des procédés techniques permettant aux autorités douanières britanniques, sous la supervision de l’Union européenne, de s’assurer que tous les produits arrivant d’Angleterre resteraient bien en Irlande du Nord pour la consommation de la population locale.
Une incompétence doublée d’une mauvaise foi du gouvernement britannique
Le schéma était simple. En outre, une période de transition était prévue, permettant tant aux autorités britanniques qu’aux entreprises de mettre en place toutes les procédures utiles. Cette période transitoire prend fin le 30 juin prochain et Boris Johnson vient de menacer de la prolonger unilatéralement.
En fait, il ressort clairement des évènements plusieurs constats sans appel. Comme les entreprises en avaient déjà averti le gouvernement britannique, ces dernières n’ont jamais été préparées à cette nouvelle procédure. De surcroît, le gouvernement britannique a été complètement défaillant dans la mise en place de ces procédés techniques. Enfin et c’est sans doute le plus grave, les autorités britanniques n’ont en réalité jamais voulu appliquer l’accord signé par Boris Johnson au mois de décembre 2020.
La seule ambition du premier ministre a été de remporter une victoire politique : la sortie effective de l’Union européenne au 1er janvier 2021, quoi qu’il en coûte.
Ce faisant, il a accepté de signer un engagement tout en sachant pertinemment qu’il ne le respecterait pas, car allant à l’encontre de toutes les promesses électorales qu’il avait faites aux unionistes nord-irlandais et à la première ministre démissionnaire Arlene Foster.
Immédiatement après avoir accédé au 10 Downing Street, le nouveau chef du gouvernement s’était rendu à Belfast et avait promis aux unionistes et loyalistes qu’il n’y aurait jamais de frontière avec le reste du Royaume-Uni, alors qu’il a acté du contraire dans le protocole d’Irlande du Nord.
Une trahison aux conséquences politiques graves
Le premier ministre a dupé ses propres troupes qui l’avaient jusqu’à présent soutenu. Cette trahison n’en finit plus d’emporter de graves conséquences sur la vie politique de la province. La première ministre Arlene Foster a été contrainte à la démission après avoir été accusée d’avoir trop cru aux promesses de Boris Johnson, alors qu’elle avait systématiquement voté contre l’accord commercial post-brexit proposé par l’ancienne première ministre Theresa May. Elle a été remplacée par un de ses ministres, Edwin Poots, qui est sur une ligne politique manifestement plus dure et radicale, lequel a clairement déclaré qu’il ne voulait plus du protocole sur l’Irlande du Nord. Arlene Foster avait elle-même indiqué qu’elle le déférait devant la Cour suprême britannique. Bref, en réalité, ce protocole d’Irlande du Nord était déjà mort au moment de sa signature.
Aujourd’hui, Boris Johnson ne sait plus comment se sortir de ses propres mensonges politiques qui ont largement contribué à relancer la violence des unionistes paramilitaires ces derniers mois, lesquels avaient pourtant prévenu que tout en ne prônant pas la violence généralisée, ils n’hésiteraient pas à dynamiter les éventuels postes frontières de part et d’autre de la province et de l’Angleterre, voire de l’Ecosse.
La faute à l’Europe
La tactique du premier ministre consiste aujourd’hui à faire porter la responsabilité de cette piteuse situation à l’Europe, voire la France. Ainsi, l’Europe serait trop rigide, idéologue, voudrait casser l’intégrité du Royaume-Uni. Le premier ministre a clairement dit, de façon menaçante, à ses partenaires lors du sommet du G7 : « Mettez-vous bien dans la tête que le Royaume-Uni et l’Irlande ne forment qu’un seul pays ».
Cette phrase vient après l’épisode connu désormais sous le nom de « guerre des saucisses » suite à des propos d’Emmanuel Macron qui semblent avoir été mal interprétés.
Il est un fait que les approvisionnements de produits alimentaires venant du reste du Royaume-Uni vers l’Irlande du Nord ont subi des difficultés ces derniers mois, dû à l’impréparation totale des autorités douanières incapables d’appliquer les clauses du protocole signé au mois de décembre 2020. Parmi les produits en cause figure la viande, dont les saucisses. Pour évoquer la circonstance, inenvisageable selon Boris Johnson, que l’approvisionnement en saucisses puisse être interrompu, le premier ministre a évoqué une métaphore en s’adressant à Emmanuel Macron et lui a alors dit : « Imaginez-que le transport des saucisses soit interrompu entre Toulouse et Paris… » Et Emmanuel Macron de répondre : « Cela n’a rien à voir, Toulouse et Paris c’est le même pays (ou territoire selon les échos diplomatiques). » Le premier ministre a alors monté en épingle cette maladresse verbale. Dominique Raab, ministre des affaires étrangères, est allé jusqu’à évoquer le cas de la Corse de l’Italie du Nord et des ports flamands qui pourraient être bloqués par des frontières internes dans leurs pays respectifs.
La surenchère nationaliste a ainsi conduit à une situation délétère dont Boris Jonson, par ses dangereuses manipulations et ses mensonges, est le seul responsable.
Mais en disposant aujourd’hui, d’une part, d’une majorité absolue lui ayant donné un pouvoir quasi-présidentiel et, d’autre part, d’un soutien massif des électeurs, il semble pouvoir faire ce qu’il veut. Personne ne semble en mesure de l’arrêter sur le plan intérieur, jusqu’au jour où son irresponsabilité totale le conduira peut-être à devoir se retirer suite à une rébellion interne du parti conservateur.
Aujourd’hui, l’Europe doit rester ferme. Les représentants de l’Union européenne et du gouvernement britannique se réunissent de nouveau cette semaine. Il s’agit sans doute de la dernière chance d’éviter une guerre commerciale et une crise majeure avec l’Union européenne.
Patrick Martin-Genier