Après les élections européennes du 10 juin 1979, Jean-Luc Parodi étudie, dans le numéro 881 de juillet 1979, l’impact de la proportionnelle dans un pays dominé par quatre grandes forces politiques.
Première élection commune aux neuf pays de la Communauté Européenne, première consultation française sur un enjeu officiel de politique étrangère depuis le référendum d’avril 1972, premier retour à la représentation proportionnelle depuis l’instauration du système majoritaire en 1958, première mesure enfin, du système de partis depuis son remodelage quadripolaire des années 1976-1978, l’élection des 81 représentants français à l’Assemblée des Communautés européennes pose un problème original, celui du niveau d’explication auquel il convient de se situer pour en décrire le déroulement et en expliquer les résultats.
Quelle dimension, nationale ou internationale, peut-il privilégier ? Européenne dans son ambition, la consultation semble s’être généralement révélée bien française dans ses enjeux. Ne peut-on pourtant déceler des traits communs aux neuf pays considérés et dont cette communauté même dissuade de rechercher l’explication sur le plan national ? Selon quels clivages les électeurs se sont-ils prononcés sur la politique étrangère ou sur les problèmes intérieurs ? Quelle est la part d’explication qui revient au simple changement de mode de scrutin ? Comment enfin expliquer que c’est un système de partis en pleine évolution qui est venu frapper cet événement qu’a constitué la campagne électorale européenne et que cette rencontre accidentelle a contribué à modifier à son tour les données de cette évolution.
Ces quatre dimensions de la consultation du 10 juin ne semblent pas avoir cepen- dant tout à fait la même importance. […]
L’instauration d’un nouveau mode de scrutin, sans précédent dans l’histoire électorale française pourtant riche en lois électorales de toutes sortes, constitue la troisième dimension de l’élection européenne en France. Le recours à la proportionnelle constitue au demeurant une spécificité française, non que le choix de ce mode de scrutin soit une exception en Europe où, Grande-Bretagne exceptée, il constitue sous ses différentes modalités la norme, mais parce qu’il rompt fondamentalement avec le principe électoral qui caractérise le système politique français. Sous cet angle, la France est bien le seul pays de la communauté à procéder à cette rupture.
La quadruple originalité de la nouvelle loi électorale, nationale dans sa dimension et centralisée dans son système de fabrication des listes, proportionnaliste dans son principe, contraignante par la modalité des 5 % et atomisatrice par son absence de second tour rassembleur, ne pouvait pas ne pas modifier les stratégies partisanes et les comportements électoraux.
Le tableau 1 recense de façon sommaire les principales conséquences théoriques que l’on pouvait déduire de ces quatre caractéristiques et met en parallèle les effets pratiques que l’on a pu relever au cours de la campagne. On se contentera alors ici d’en rappeler quelques particularités.
Affrontées au problème des 5 %, les forces marginales ont dû choisir entre la présence et l’absence et envisager sous la contrainte de désagréables regroupements. À l’extrême gauche, la Ligue Communiste Révolutionnaire et Lutte Ouvrière se sont finalement entendus pour présenter une liste commune. De nombreuses et complexes négociations ont eu lieu entre le P.S.U. et les écologistes, entre ceux-ci et le M.R.G., entre les précédents et les partisans d’une liste régionaliste avant que chacun ne finisse par retrouver ses positions traditionnelles, tradition d’alliance socialiste pour le M.R.G., de nébuleuse autogestionnaire pour le P.S.U., d’autonomie pour les écologistes. De la même manière, à l’extrême-droite, les contraintes de regroupement ont conduit les deux frères ennemis du Front national et du Parti des Forces nouvelles à conclure sans enthousiasme un accord provisoire que les problèmes financiers ont rapidement rendu caduc.
Le résultat paradoxal de cette proportionnelle « encadrée » aura été d’ajouter au regroupement obligé des grandes forces politiques hérité du système majoritaire et qui a survécu à cette élection une nécessité de regroupement des petites forces. Il y aura en définitive moins de formations présentes le 10 juin qu’il n’y en avait eu au premier tour de mars 1978 […].
Jean-Luc Parodi
Chargé de recherches à la Fondation Nationale des Sciences Politiques (Centre d’Étude de la vie politique française contemporaine)