Les mesures à prendre ne sont pas des mesures provisoires d’urgence, mais des organisations permanentes pour mettre de l’ordre dans notre maison de façon durable.
En janvier 1954, dans le numéro 634, Arnold Toynbee plaide pour l’union de l’Occident face à la menace d’une troisième guerre mondiale.
Supposons, et cela semble une hypothèse parfaitement valable, que la tension et l’anxiété dans lesquelles nous vivons aujourd’hui ne soient pas une phase éphémère de l’histoire devant se terminer demain par la troisième guerre mondiale qui nous menace actuellement. Supposons plutôt que cette situation difficile et pénible, mais qui n’est pas intolérable, va durer une ou plusieurs générations et même plusieurs siècles sans être réglée par le jugement dernier ni par l’âge d’or.
C’est une prévision raisonnable, car la plupart des humains, dans la plupart des pays et des époques, ont vécu et travaillé dans de semblables conditions. Les conditions normales de la vie de chacun de nous ne sont ni catastrophiques ni béatifiques ; c’est tout simplement le petit train-train banal, et nous n’avons aucune raison d’espérer qu’il en aille autrement de notre vie publique. Si nous pouvons nous résoudre à regarder nos difficultés actuelles sous cet aspect-là, nous saisirons notre dernière chance d’être à la hauteur de la situation.
Faisons l’inventaire des difficultés qui, dans notre monde occidental, semblent devoir être nôtres aussi longtemps que nous puissions prévoir l’avenir. Si nous avons lieu de croire que ces ennuis seront perpétuels, ce n’est pas à des remèdes de circonstance que nous devons recourir, mais à des dispositions permanentes qui mettront de l’ordre dans notre maison et l’y maintiendront dans les difficultés qui s’abattent sur notre Occident aujourd’hui.
Supposons que l’Ouest ne soit pas, après tout, à la veille de vaincre ou de mourir dans la bataille suprême, mais qu’il aura à tenir, au moindre coût en argent et en sang, sur de nombreuses frontières militaires comme celle de l’Empire britannique aux Indes de 1849 à 1947, ou comme celle de l’Empire romain, qui partait du nord de l’Angleterre et longeait le Rhin et le Danube, durant les quatre premiers siècles de l’ère chrétienne.
Dans l’esprit des Américains, cette frontière c’est la péninsule de Corée, moderne mur d’Hadrien ; dans l’esprit des Français, c’est l’Indo-Chine et dans celui des Britanniques, c’est la Malaisie ; chaque nation se rend naturellement mieux compte de ce qui se passe dans le secteur de notre forteresse occidentale où elle supporte le poids du siège. Nous devons tous ensemble prévoir que tous ces fronts devront probablement être défendus encore pendant de nombreuses années.
Il y aura des points d’attaque différents, comme les fronts de Grèce et de Turquie aujourd’hui, où il n’y a pas de bataille à proprement parler, mais où cependant il faudra veiller éternellement ; cette nécessité militaire imposera le fardeau économique d’une mobilisation constante.
Il y aura d’autres fronts comme ceux de Corée, de Malaisie et d’Indo-Chine, où le sang coulera. Nous devons nous préparer à répondre à différents appels dans différents secteurs et c’est une erreur économique de continuer à traiter séparément ces problèmes de frontières communes dans un Occident qui va être forcé d’économiser ses ressources ; car pour tenir un périmètre de frontières communes le manque d’union entraîne un gaspillage d’efforts. Il faut encore que nous regardions plus loin que le besoin militaire immédiat de l’équipement en hommes des fortifications de notre monde occidental, pour étudier les moyens financiers et économiques de fournir le nerf de la guerre, nécessaire à la défense de notre frontière commune, et cela aux moindres frais pour notre commune économie.
Là encore nos pays occidentaux se paient le luxe d’essayer de vivre en une quarantaine de compartiments étanches, chacun séparé des autres par des restrictions d’émigration, des barrières douanières, des contingentements qui arrêtent le mouvement des marchandises et par des règlements monétaires qui limitent le mouvement des devises.
De plus, actuellement, notre communauté occidentale dépense à peu près les trois quarts de son énergie politique et perd environ la moitié de ses ressources économiques à lutter désespérément pour conserver ces barrières intérieures qui sont devenues non seulement inutiles mais encore dangereuses. Elles sont inutiles parce qu’elles ne nous aident plus à préserver ce à quoi nous tenons le plus dans notre vie occidentale ; elles sont dangereuses parce que, déjà, elles entravent les efforts que nous faisons pour protéger ces valeurs occidentales contre la pression grandissante des attaques exercées par la grande majorité des hommes de l’Est contre l’Ouest, pression qui durera au moins aussi longtemps que vivra notre génération. Nous ne pouvons plus nous payer le luxe, dans notre monde occidental, de maintenir des barrières intérieures qui gênent notre défense commune et qui, par conséquent, menacent de mort nos idéaux communs.
Il nous arrive parfois de voir devant nous un terme inévitable auquel nous ne pourrons pas échapper, quoi que nous fassions : quand nous nous trouvons dans cette situation, nous ne renonçons pas à faire l’effort nécessaire et nous ne marchons pas à l’aventure. Même quand nous apparait un de ces termes inévitables, nous pouvons encore choisir la route pour y arriver et nous savons que ce choix peut grandement modifier notre destinée.
Nous pouvons choisir une route âpre, montueuse qui nous amènera au but inévitable à moitié mort de fatigue, ou nous pouvons choisir une route bien nivelée, bien pavée par laquelle nous arriverons au même terme en pleine vigueur. Cela vaut bien la peine de chercher la meilleure voie, même si nous savons au départ que tous les chemins mènent à Rome ; et c’est aussi vrai sur une grande échelle, dans notre vie publique, dans les domaines politique et économique, que dans nos affaires privées.
Considérant les choses à cette vaste échelle, allons-nous aujourd’hui vers une de ces inévitables étapes, auxquelles on peut arriver par des routes différentes ? Personnellement, je crois que notre génération doit arriver dans un avenir très proche à une inévitable union des peuples de notre Communauté Occidentale, et ensuite, au-delà, à plus ou moins brève échéance, à une union du monde entier. C’est, semble-t-il, l’étape vers laquelle nous achemine, bon gré mal gré, les progrès de la technique. Nous ne pouvons voir aucune fin à ce progrès ; il semble grandir en vitesse et en puissance et dans cette formidable avance nous pouvons percevoir une tendance constante : chaque progrès technique a pour effet d’augmenter l’importance des activités humaines dans toutes les directions : dans le bien comme dans le mal, dans la paix comme dans la guerre, dans la construction comme dans la destruction.
LA DISTANCE EST SUPPRIMÉE
Pourquoi l’Union Occidentale est-elle inévitable ? Premièrement, parce que, tout bien considéré, les nations occidentales constituent seulement une petite minorité de la race humaine, à peine un cinquième. Deuxièmement, parce que la technique a déjà supprimé la distance, de sorte que chaque individu se trouve maintenant à proximité du point de chute d’une bombe atomique. Troisièmement, parce que le secret d’une technique, en grande partie inventée par nous, Occidentaux, est rapidement découvert par les autres peuples, non seulement par les Russes, mais par les Chinois, les Indiens, les Africains et en somme par tous les hommes. Les connaissances techniques donnent la puissance, et comme la grande majorité des non- Occidentaux obtient cette nouvelle puissance, le nombre commence à jouer une fois encore contre la poignée d’Occidentaux que nous sommes.
Au cours des quatre ou cinq derniers siècles, nous, Occidentaux, grâce à notre monopole des secrets de la technique, avons été les seigneurs de la création en dépit de notre petit nombre ; nous nous sommes emparés des meilleurs endroits du globe encore inoccupés (et ils n’étaient pas tous sans occupants) ; nous avons imposé notre ascendant économique et même politique sur la plus grande partie de l’Afrique et sur une plus grande partie de l’Asie. Aujourd’hui nous voyons le courant se renverser. Ce retournement est juste et naturel et nous, Occidentaux, devrions, certes, renoncer à opprimer les autres peuples. Mon propre pays, la Grande- Bretagne, par exemple, a bien agi, à mon avis, en libérant l’Inde, le Pakistan, la Birmanie et Ceylan. Mais il y a une différence entre cesser de dominer les autres peuples et accepter que les autres vous attaquent.
Tandis qu’il se peut que nous, Occidentaux, n’ayons pas le droit de continuer à tenir les peuples asiatiques sous notre dépendance, nous avons certainement le droit de garder notre propre indépendance, et l’Union Occidentale est le seul moyen de la maintenir dans un univers où les quatre cinquièmes du monde se rapprochent des coureurs occidentaux dans le Marathon de la technique humaine.
À l’époque, aujourd’hui presque révolue, où nous, Occidentaux, nous étions de façon certaine à l’avant de la technique, nous pouvions nous payer le luxe d’être rivaux les uns des autres. Nous le pouvions parce que chaque nation occidentale était à elle seule de force à tenir tête à l’ensemble du monde non-occidental. Mais pour nous ces beaux jours sont passés et la division de notre Occident, un cinquième du genre humain, en 40 États souverains, équivaut au suicide si nous lui permettons de se prolonger à une époque où nous perdons la première place dans la technique et où par conséquent nous sommes obligés de nous défendre militairement et politiquement contre le reste d’un monde formidablement supérieur en nombre.
Quand nous trouvons devant nous un terme que nous ne pouvons éviter, le bon sens nous conseille non seulement de trouver le chemin le meilleur et le plus rapide pour y arriver, mais encore de le prendre. Supposons, maintenant, que nous, Occidentaux, nous ne fassions pas le nécessaire pour opérer le changement, désagréable certes, mais qui s’impose, quel serait notre avenir ? Eh bien ! en refusant de mettre fin à notre désunion, notre grande faiblesse actuelle, les tentations que nous donne- rions à nos ennemis pourraient conduire ceux-ci à des actes qui provoqueraient une troisième guerre mondiale ; alors nous ferions l’unité, sans aucun doute !
Le seul État qui survivrait à une guerre atomique à outrance se verrait condamner au dur labeur d’organiser un gouvernement dictatorial sur un monde en ruines, ruines auxquelles n’aurait pas échappé le dictateur lui-même. Ce monde d’après- guerre devrait avoir un gouvernement dictatorial parce que ce serait un monde de désespérés.
UNION DE GRÉ OU DE FORCE
Un monde qui aurait subi les dégâts de la bombe atomique ne pourrait se permettre le luxe de conserver ne serait-ce qu’un minimum de diversité et de libertés locales. Uniformité et despotisme seraient la rançon que nous devrions payer pour avoir permis que le monde en arrive à cette impasse ; et même si cette sinistre tâche d’imposer l’unité incombait aux États-Unis au lieu d’incomber à l’Union Soviétique, l’unification d’un monde dévasté à ce point est une perspective que ni les Américains ni aucun peuple ne peut envisager sans frémir. Si l’Union est notre destinée, et elle l’est certainement, alors il est clair que parmi les solutions qui se présentent à nous, c’est l’Union aujourd’hui de bon gré plutôt que l’Union demain par la force.
Cette idée est déjà chose acquise dans l’esprit américain ; car elle a déjà été appliquée depuis longtemps dans la vie de tous les jours par les pays à Constitution fédérale. Le travail de pionnier que l’Amérique, le Canada et les États fédérés ou non encore fédérés de notre monde occidental ont à entreprendre ensemble aujourd’hui, c’est de faire un projet d’Union Occidentale et de le faire réaliser par un monde qui, ayant subi deux guerres mondiales, ne s’est pas encore mis dans l’obligation d’en faire une troisième qui serait de beaucoup la plus terrible. Certes la forme que doit revêtir cette Union est discutée par les hommes d’État et les fonctionnaires des différents gouvernements occidentaux ; mais nous savons tous que la seule coopération des représentants des gouvernements nationaux ne suffit pas à établir et à maintenir notre unité politique et économique. Du moins ceci ne suffit pas dans des pays démocratiques comme les nôtres, parce que d’après leurs Constitutions le dernier mot appartient aux électeurs des corps législatifs. Dans les pays occidentaux à Constitutions fédérales et démocratiques c’est un axiome que toute unité politique sur le plan gouvernemental reste précaire, et souvent même illusoire, si elle n’a pas été ratifiée par l’ensemble des organes de la représentation populaire. C’est pour notre Communauté occidentale l’occasion de reprendre l’initiative en marquant la prochaine étape de l’histoire.
NOUS DEVONS TENIR COMPTE DE LA DÉMOCRATIE
Nous, Occidentaux, affirmons que nous sommes démocrates. Nous affirmons que le gouvernement démocratique est l’élément le plus caractéristique et le plus précieux de notre mode de vie. Si nous le pensons sincèrement, nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de la démocratie, telle que nous l’entendons, au moment de prendre des dispositions pour un long avenir afin de préserver les intérêts vitaux de notre Communauté occidentale. Laisser l’organisation de nos affaires les plus importantes entre les mains des fonctionnaires et des chefs d’État serait contraire non seulement à l’esprit américain mais aussi à l’esprit occidental.
Ainsi donc, quel premier effort pouvons-nous faire afin de conduire la démocratie occidentale à l’action pour sa propre défense ? En partant des institutions nationales démocratiques qui sont déjà des organismes actifs, nous adopterons ces commissions de toute sorte au moyen des- quelles les corps législatifs nationaux ont appris, par expérience, à conduire leurs affaires.
C’est au moyen d’une combinaison de commissions permanentes et de commissions ad hoc désignées que nos corps législatifs nationaux travaillent efficacement. La plupart des corps législatifs nationaux ont aujourd’hui des commissions permanentes bien établies pour leur faire des rapports sur les affaires les plus importantes, telles que Affaires Extérieures, Défense Nationale et Finances ; toutes s’occupent, en outre, d’autres affaires pour lesquelles il n’existe pas de commissions permanentes. Pourquoi les corps législatifs de tous les États occidentaux, membres de l’OTAN, ne chargeraient-ils par leurs commissions permanentes des Finances, de la Défense Nationale et des Affaires Extérieures (ils pourraient même former des commissions ad hoc quand il n’en existe pas) d’avoir régulièrement des réunions en commun pour étudier, discuter et recommander une politique occidentale commune, un système de défense commune et des moyens financiers communs pour entretenir ces services communs ?
Si nous prenions, dès maintenant, cette première décision de convoquer des délégations des corps législatifs nationaux de tous les pays de l’OTAN pour traiter, de cette façon, les affaires communes auxdits pays, nous nous apercevrions peut-être que nous avons créé un organisme d’où sortirait petit à petit une Communauté Occidentale à gouvernement démocratique.
Le premier article à l’ordre du jour de la convocation des délégations des corps législatifs nationaux serait d’établir une entente sur les règles de procédure. Chaque délégation devrait-elle voter en bloc au nom du corps législatif qu’elle représente ? Ou chaque délégué serait-il libre, comme il l’est dans son Assemblée nationale, de voter selon sa conscience et son jugement personnels ?
La tradition et l’esprit de l’histoire constitutionnelle occidentale seraient en faveur de la seconde de ces propositions. Qui songerait à suggérer que tous les représentants de Pennsylvanie, par exemple, doivent toujours, à la Chambre des Représentants à Washington, voter de la même façon ou que les deux Sénateurs de chaque État doivent toujours agir au Sénat comme s’ils étaient des frères Siamois ? Ce qui est inadmissible dans une Assemblée nationale doit l’être aussi dans une Assemblée commune ; et nous pouvons donc espérer que, si un corps législatif occidental est fondé, les membres ne voteront pas par pays, mais prendront leur responsabilité personnelle pour s’unir et se diviser par groupes selon leurs sentiments politiques et non seulement selon les États qu’ils représentent.
Cette Assemblée, cependant, ne sera probablement pas le terme du développement constitutionnel occidental, car les électeurs occidentaux ne tarderont pas à se demander pourquoi ils n’éliraient pas ce corps législatif commun à l’Occident, comme ils élisent leurs Assemblées nationales. Si démocratie veut dire contrôle du gouvernement par les corps législatifs élus par le peuple, alors la démocratie devrait demander l’élection directe du corps législatif commun, chargé de la responsabilité suprême de contrôler les services exécutifs communs de la Communauté Occidentale.
ORGANISATION GRADUELLE
Ce serait le moyen d’établir cette Union Occidentale inévitable sur une base particulièrement démocratique. Une des raisons en faveur de cet arrangement, c’est qu’il conduirait graduellement notre Communauté Occidentale à un gouvernement démocratique commun en répondant à une suite de besoins concrets. Si l’Ouest pouvait ainsi devenir une démocratie unie au lieu de rester l’agglomération de 40 États souverains qu’il est actuellement, nous pourrions alors, nous, Occidentaux, regarder l’avenir avec une confiance nouvelle.
Nous pouvons donc espérer que la prochaine étape de l’histoire sera la création d’un organisme aux germes prometteurs d’avenir pour l’Union Occidentale à base démocratique ; mais, naturellement, cet espoir soulève d’autres questions. En créant l’Union Occidentale devrons-nous mettre les Nations-Unies au rebut ? En unissant un cinquième des humains sous un seul système de gouvernement, di- minuerons-nous les chances d’union à l’échelle mondiale ? À ces deux questions une seule réponse suffit et cette réponse est bien familière aux Américains parce qu’elle touche à une question que tout peuple ayant un gouvernement à forme fédérale a été obligé de considérer.
La réponse c’est que, pour amener un certain nombre de peuples à une union politique il ne suffit pas de rédiger une constitution fédérale et de l’appliquer. La fédération ne sera effective que si les peuples qu’on veut unir sont déjà assez rapprochés les uns des autres par leur mode de vie pour pouvoir vraiment coopérer. Nous, Peuples d’Occident, paraissons être assez semblables pour que soient possibles des institutions politiques communes et il n’y a aucune raison pour que le cercle des États compris dans l’OTAN ne s’étende pas progressivement, comme les treize États de l’Union américaine sont devenus quarante-huit par l’accession graduelle de différents territoires au rang d’États.
Nous devrions nous assembler sous le signe de la porte ouverte pour l’admission d’États qui auront donné la preuve de leurs qualités démocratiques. Par exemple, la Turquie, qui est déjà dans notre cercle occidental, a clairement démontré en 1950 qu’elle avait les qualités requises quand elle a accompli l’action démocratique remarquable de passer, sans effusion de sang et sans révolution, d’un régime de parti unique à un régime bipartite, par des élections générales réellement libres, qui ne furent ni manipulées ni influencées par le seul parti alors au pouvoir.
La Turquie ne sera certainement pas le seul pays non-démocratique qui sera qualifié pour l’admission ; Ceylan par exemple pourrait bientôt être un excellent candidat. Cependant, bien que notre Communauté Occidentale pourrait, devrait même, adopter la politique de la porte ouverte, il n’est malheureusement pas encore possible de prévoir aujourd’hui le moment où les pays de démocratie parlementaire et les pays communistes pourront se fédérer ; et c’est là qu’apparait l’importance capitale des Nations-Unies.
LES NATIONS-UNIES, PRÉCIEUSE TRIBUNE POUR L’OPINION PUBLIQUE
Le statut des Nations-Unies n’est ni fédéral ni confédéral. En fait, les Nations-Unies ne sont pas un organisme politique, c’est une tribune politique où les questions peuvent être débattues et les opinions exprimées, mais d’où ne peut sortir aucun acte de gouvernement. Cependant nous ne pouvons nous passer de cette tribune, quelle que soit l’importance du développement de l’OTAN, tant que les Nations-Unies resteront le moyen par lequel les États-Unis et l’Union Soviétique se trouvent en relations ; car se rencontrer et même se disputer à une tribune, c’est beaucoup mieux que ne se rencontrer jamais.
Le statut des Nations-Unies offre au moins la chance de maintenir le contact de peuples qu’un voisinage physique laisse spirituellement très éloignés les uns des autres.
Mais serait-il possible à une Union Occidentale de vivre côte à côte pendant un laps de temps indéfini avec un groupe de nations communistes, dans un monde qui se rapetisse tous les jours, sans être à un moment donné conduite à la guerre ? La seule réponse qu’on puisse donner à cette question, c’est qu’il a existé dans le passé quelque chose de ce genre. La dernière génération avant le commencement de l’ère chrétienne vit un monde gréco-latin, s’étendant des côtes de l’Atlantique en Europe aux rives de l’Océan Indien, divisé d’un commun accord entre deux puissances : Rome et les Parthes ; en dépit d’incidents de frontières ils réussirent à coexister pendant 250 ans.
Pourquoi Occidentaux et Russes ne pourraient-ils pas s’arranger à vivre l’un à côté de l’autre sans plus de dégâts ? Si, au prix de ce minimum de longanimité mutuelle, nous pouvions gagner au moins cinquante années sans une troisième guerre mondiale, la perspective d’un monde uni, qui semble si lointaine aujourd’hui, pourrait rentrer dans le domaine des possibilités politiques.
En attendant, la prochaine étape est l’Union Occidentale sur une base démocratique, car cela est du domaine des possibilités politiques d’aujourd’hui.
Arnold T. J. Toynbee
Historien