Des résultats singulièrement faibles pour la majorité présidentielle, qui n’obtient que 245 sièges à l’issue du second tour, auxquels s’ajoutent une union inattendue des gauches sous la bannière NUPES qui s’installe massivement à l’Assemblée nationale ainsi qu’une percée véritablement historique du Rassemblement national, qui obtient 89 sièges, font de ce scrutin un véritable séisme politique. Quelques enseignements.
Tout d’abord, une question : Qui se souvient du Jean-Luc Mélenchon claironnant fièrement sur le plateau d’Apolline de Malherbe qu’il attendrait lundi matin le coup de fil du président Macron pour être nommé Premier ministre ? C’était il y a deux jours seulement… autant dire, une éternité. En ce lundi matin, à 9h00, les médias annoncent 147 sièges pour la NUPES ; le site du ministère de l’Intérieur en annonce 131. On est loin des 245 sièges obtenus par Ensemble. Premier enseignement donc : Jean-Luc Mélenchon réalise un score honorable, il réussit à imposer son parti au sein d’une coalition des gauches, mais il échoue en revanche à l’imposer au sein du pays. Ayant fait le choix de ne pas être candidat, il devrait en tirer les conséquences, et notamment tirer sa révérence.
Deuxième enseignement : Ce qui est historique dans la victoire de la NUPES, nous avons eu l’occasion de le dire, ce n’est pas le score, car l’union des gauches a été bien plus massivement représentée au sein de l’Assemblée nationale par le passé. Ce qui est historique, c’est le renversement des alliances. Désormais, ce sont les gauches radicales qui donnent le « la ». Or, au sein de cette coalition, LFI domine effectivement ; cependant, son score demeure inférieur à celui du RN. LFI n’est donc pas le premier parti d’opposition.
C’est véritablement le score du RN qui a fait de cette élection un inédit de la Ve République.
Un bouleversement institutionnel majeur dont les commentateurs auraient tort de minimiser les conséquences politiques.
Troisième enseignement : La lecture des résultats ne doit pas être opérée parti par parti ou coalition par coalition, car une telle lecture n’offre aucune information autre que technique. Elle ne doit pas non plus être opérée au travers d’un bloc élitaire opposé à un bloc populaire, car si cette lecture n’est pas fausse, elle ne permet pas de comprendre ce qui se joue réellement à un niveau politique fondamental.
Comme en 1789, imaginer que le peuple est d’un côté et les élites de l’autre, c’est ignorer qui sont les véritables acteurs politiques, et dans quels courants s’inscrivent leurs idées forces.
Notre monde est à l’aune d’un basculement historique, et il semble, avec ce scrutin, que la France soit bien décidée à prendre sa part. L’ancien monde, libéral, aujourd’hui incarné par la macronie, tarde effectivement à mourir ; le nouveau monde, illibéral, aujourd’hui incarné par le bloc composite RN-NUPES, tarde à naître, mais le travail a commencé. A tel point que le bloc libéral n’est probablement plus majoritaire dans ce pays. C’est le bloc illibéral, malgré son caractère composite, et donc politiquement inefficient, qui a pris le dessus. (En réalité, pour affirmer cela de façon certaine, il faudrait sonder en détail la composition de LR où les deux mouvances, libérale/illibérale, cohabitent.) Si les députés, et plus largement les responsables politiques, parvenaient à comprendre que c’est la grande problématique du libéralisme, et donc du fondement même de notre Modernité politique, qui est en question actuellement – une question posée, et imposée, non par le RN ou LFI, mais par le PCC de Xi Jinping – une véritable clarification idéologique et institutionnelle pourrait en résulter.
Quatrième enseignement : Les Républicains occupent une place absolument décisive au sein de l’échiquier politique, dont les commentateurs ont trop peu parlé. Ils sont l’unique garantie de gouvernement d’Emmanuel Macron, et à ce titre les véritables faiseurs de roi. Ce parti historique, devenu un caillou dans les chaussures d’Ensemble comme du RN, détient entre ses mains l’avenir de ce quinquennat – disons l’avenir de cette assemblée législative, jusqu’à ce que les immanquables blocages à répétition rendent toute gouvernance impossible et contraignent le président de la République à risquer une dissolution, et donc une cohabitation.
Cette position de faiseur de roi n’est pas sans conséquences, car on reprochera également à LR ses refus d’alliance avec le bloc libéral, et donc le chaos potentiel qui en résulterait immanquablement.
Cinquième enseignement : Nous ne sommes ni dans une situation d’ingouvernabilité ni dans une crise de régime. En revanche, nous en sommes proches, et, pour éviter la première, et surtout la seconde, il faudrait un président doté de qualités particulières. Or, Emmanuel Macron est un tacticien de court terme qui n’a aucune compréhension des enjeux profonds posés par la philosophie politique au fil des âges, et donc de ce que cela signifie réellement gouverner (son impuissance régalienne l’a démontré magistralement pendant cinq ans).
Il n’est pas non plus un stratège ; il se contente d’aligner les formules – hier disruptives, aujourd’hui creuses – et de chercher à opérer des coups tactiques au fil de l’eau.
Pour voter ses lois, il n’a plus que LR, nous l’avons dit. Comme LR est majoritairement Macron-compatible ; cela ne devrait donc, en théorie, pas poser trop de problèmes. Sauf que ce parti de droite orthodoxe pourrait aisément refuser de copiner avec un président sociétalement woke qui a nommé Ndiaye à l’Education nationale et Abdul-Malak à la Culture, avec un président européo-fédéraliste qui dépouille la France de ses atouts stratégiques industriels, avec un président budgétairement laxiste qui laisse, à l’issue de son premier quinquennat, une dette augmentée de 600 milliards d’euros dont plus de la moitié n’est pas imputable au Covid, sans parler du déficit record de la balance commerciale. Si à cela on ajoute son impuissance inavouée en matière de sécurité, d’immigration et de laïcité… il est possible que LR ne souhaite pas s’associer à une fin de règne qui risque de rapidement tourner au fiasco. D’où le dernier, et peut-être le principal, enseignement de ces élections législatives : La fin de ce feu de paille politique qu’aura été le macronisme.
Frédéric Saint Clair