On demandait une clarification. On l’a. Mais pas celle que l’on croyait. Pour ceux qui des romantiques allemands (Friedrich Schlegel) aux psychanalystes freudiens ou lacaniens ont accédé aux promesses du ‘witz’, leur voilà servi sur un plateau un parfait exemple.
Le ‘witz’ cette philosophie du pas de côté du changement de points de vue qui correspond par sa traduction au rôle des lapsus en psychanalyse, ces erreurs qui parlent plus que les mots justes. Depuis les grecs on considérait que l’affrontement des propositions correspondait à un tiers exclu (pas de solution possible hors du choix contradictoire) les propositions du tiers inclus sont venues proposer le contraire – le potentiel de l’émergence ‘autre’. Nul doute que c’est adapté pour les périodes de blocage que nous connaissons.
Ce qui advient n’est plus un errement factuel de la vie politique mais une révolution dans le palais face à u n changement de paradigme. En effet, ce ne serait plus une opposition mais bel et bien une révolution.
Gérard Collomb disait que de côte à côte, les Français se retrouveraient face à face, dans le cas présent on se retrouve dos à dos. En marche, c’est le cas de le dire vers des horizons qui s’éloignent l’un de l’autre, une dérive des continents.
C’est sans doute l’ancien Président, François Hollande, avec son expertise et son habileté politique, qui est venu circonscrire le périmètre du duel. En reprochant implicitement au Président Macron d’être, en la circonstance, plus Macron que Président, était posée une question de posture mais aussi et simultanément une question philosophique, celle de disposer des outils de réflexion adaptés pour fonder une Action publique d’assentiment.
La société est-elle à un tournant nécessaire d’une nouvelle post modernité ou se laisse-t-elle dangereusement éloigner de la syntaxe qui dans le monde entier et depuis des siècles coulait un ciment de cohésion et de repères par des grands textes et des grandes idées partagés. Le chemin est-il inéluctablement accompagné d’un GPS nouveau fédérant des énergies sociales autour de politiques imaginaires ? Ou, au contraire, notre société fragile ne peut répondre au désir d’être agile que par une réassurance des valeurs sur lesquelles République et démocratie se fondent.
Finalement il ne faut pas forcément voir dans l’action actuelle de Macron une malignité politique. Il avait d’emblée montré ses cartes et ses sources. Sans entrer dans une exégèse épistémologique, comment ne pas trouver trace chez son maître Paul Ricoeur de cette espérance pour la société au travers de son imaginaire.
Pour Ricoeur la notion de force créative liée à l’imaginaire permet seule de dépasser la soumission au réel et de fabriquer des nouveaux possibles. Il y perçoit, avec son émule Macron, une capacité de sublimer notre expérience de la réalité. Dans ce contexte, la place et le rôle des symboles tiennent une place décisive. On a là tous les ingrédients de l’influence de l’opinion mais tout autant sa légitimité et sa justification puisqu’il s’agit d’animer des talents effacés ou contraints pour un meilleur résultat individuel et collectif.
N’a-t-on pas dans cette offre les fondements de la démarche macronienne en cours et les JO comme symbole et atout maître pour faire percevoir l’indicible de ‘nouveaux possibles’?
Le Président cherche-t-il ainsi à répondre à un pays que je décris comme ‘Les France ressentimentales’ (ouvrage à paraître premier semestre 2025 aux Editions des Presses de la Cité).
Le contexte né des réseaux sociaux et de la virtualisation de la vie n’aura-t-il qu’accéléré et quelque peu simplifié une telle vision philosophique. Si être moderne est une condition première et si moderne nécessite parfois des ‘disruptures’ face à des traditions établies le débat qui émerge vient mettre les points sur les i’: i comme imaginaire ou comme institution.
Il ne faut pas sous-estimer les soubassements subjectifs de l’opinion à cet instant et à cet endroit. Un sondage Elabe semblerait montrer que 52% des français ne désapprouvent pas un coup de pied dans la fourmilière des ‘choses établies’ qui semblent contraindre une société qui bout sous le feu d’autres pulsions plus individualistes, plus conforme à des structures horizontales qui entendent se libérer des contraintes d’un vertical castrateur pour une créativité sûre d’elle.
Les joutes du XX ème siècle entre tenants d’une forme ou l’autre d’un structuralisme et exégètes d’un imaginaire qui serait l’ambition humaniste d’épanouissement individuel et social trouveraient-elles dans cet affrontement leur lutte finale ? Le marxisme avec la coupure épistémologique d’Althusser avait cru régler son sort à l’idéalisme, le voilà qui regimbe dans un instant où le progrès technologique et l’intelligence artificielle interpellent sur la spécificité humaine, résumons le sur le terme très significatif d’intelligence, celle de la machine et celle de l’homme.
Pour cette raison l’affrontement actuel peut-être éclairé comme un populisme inventif ou comme une proposition politique en phase avec l’opinion et ses conditions de production comme disaient les marxistes.
Une offre imaginaire qui enjambe les vieilles structures et s’adresse directement aux émotions de l’opinion, présente avec de plus en plus de précision les contours de son ambition. Le pari d’une riposte aux formes populistes n’est pas forcément perdu, du moins le temps des ‘ça on ne l’a pas essayé’. Mais au-delà d’une position philosophique et politique, il convient de rappeler que les risques d’une politique imaginaire tiennent dans sa possible précipitation vers le mur des espoirs fous et des violences qui suivent les frustrations générées. La Nature a cette particularité d’accepter longtemps puis de bifurquer de manière irréversible et sans médiation possible comme lorsque l’eau de mer en vient à pénétrer la nappe phréatique.
L’heure est venue de refaire de la politique au niveau des enjeux et des risques encourus. A l’échelle des enjeux essentiels y penser en se rasant ne va pas suffire.
Quel scénario ? Le jeu se referme sur le maître du jeu. Sans doute a-t-il cru que ce serait plus ouvert, lui laissant une apparence de choix. Il est seul et évidemment seul puisqu’il est le scénariste de l’imaginaire, le coach des ‘forces créatives’ de la société. Mais la durée de son mandat et l’ampleur de l’enjeu ne lui laissent que la nomination d’un avatar éventuellement capable d’assurer la continuité ou le repli, avec ou sans lui, sur son Aventin et discourir de l’incompréhension de ce formidable espoir généreux qu’il avait voulu offrir à un pays trop soumis à ses liens et ses peurs.
Reste un choix qui lui procurerait au moins le plaisir de troubler plus encore l’échiquier politique tout en conservant toutes les apparences de la responsabilité et de sa tolérance. Sur ce plan, c’est sans doute la gauche qui serait dans le viseur.
Si la question de la politique imaginaire laisse beaucoup de citoyens en déshérence entre tentation et besoin de protection, les territoires affirment la nécessité de l’innovation dans la considération de leur place et de leurs potentiels. Avec le retour de l’esprit de subsidiarité viendra aussi le thème de l’optimisation de l’action publique locale avec les nouveaux moyens de l’intelligence artificielle générative, des datas patrimoniales et des territoires open source.
Pierre Larrouy