Dans une tribune qu’elle adresse à la RPP, l’essayiste et présidente de Forces Laïques, Laurence Taillade dessine l’Europe qu’elle imagine et elle appelle de ses vœux.
Les élections européennes présentent un enjeu fondamental pour l’avenir de notre pays. Pourtant, cette campagne est occultée par une communication à outrance d’un gouvernement qui semble refuser d’entrer dans la période obligée de campagne et de débat d’idées, se satisfaisant d’un clip de campagne anxiogène aux allures de fin du monde pour décrire ce qui pourrait nous attendre si nous ne plions pas sous le chantage de « LaREM ou le chaos », pour un vote en forme de blanc-seing.
Le préalable à toute expression démocratique doit être le débat, argument contre argument, pour que les électeurs puissent se faire une idée du projet auquel ils pourraient adhérer. Difficile de savoir à ce stade ce que les uns ou les autres ont décidé de défendre dans nos institutions européennes. Un dessein de paix, d’émancipation des peuples, de rayonnement d’une culture, d’une philosophie qui ont irrigué notre histoire et devraient être les boussoles des orientations politiques de ceux qui auront l’honneur de siéger au Parlement à l’issue du 26 mai prochain, semble peiner à exister. Pourtant, la France doit porter ce qu’elle a de meilleur à cette alliance qui ne parvient pas à dépasser la dimension économique, qu’elle défend d’ailleurs très mal, chaque pays restant focalisé sur sa propre compétitivité.
L’Europe doit laisser la place à une fédération des peuples, une alliance des nations, pour donner naissance à une Europe laïque, démocratique et sociale.
Rêver une Union européenne à visage humain, c’est s’accorder à lui donner les contours d’une collaboration menant à une amélioration matérielle et morale de l’Humanité. Doter le peuple d’une dimension morale, c’est s’accorder sur des valeurs communes, des droits fondamentaux. C’est donc attacher une importance fondamentale à la liberté absolue de conscience, garantie par la laïcité, seul outil adéquat à sa mise en pratique par la mise à distance des cultes sur les institutions européennes. C’est garantir la liberté d’expression et de critique des religions, c’est écarter les procès en blasphème, qui montent en puissance sur le plan international, notamment lorsqu’il s’agit d’Islam.
Enfin, c’est aussi garantir la liberté de pratiquer son culte, sans être inquiété si celui-ci n’est pas celui d’une majorité.
Il n’est pas acceptable que la Cour européenne des droits de l’homme devienne la tribune favorite d’intégristes qui se refusent à voir critiquer leur religion, et que celle-ci en arrive à leur donner raison. Le cas d’octobre 2018, en est un triste exemple. Une conférencière Autrichienne, lors d’un meeting sur les mariages de mineurs forcés, avait évoqué la « pédophilie » de Mahomet, ce qui lui a valu une condamnation pour ses propos dans son pays. La CEDH a rejeté son appel portant sur l’application de l’article 10, garantissant la liberté d’expression, au motif de préserver la « paix religieuse » et la « tolérance mutuelle » dans la société autrichienne. Sur cette base, les caricatures de Charlie Hebdo auraient pu être, elles aussi, condamnées…
Il n’est pas plus acceptable que des associations pro-vie, financées par des lobbies religieux, puissent restreindre nos droits, notamment celui du droit à disposer de son corps et de l’accès à l’IVG, dans les couloirs même de nos institutions, comme le révèlent de nombreux documentaires. Ces pressions ont déjà eu des effets désastreux sur les femmes en Hongrie, en Pologne, en Roumanie et ont lourdement freiné le processus en Irlande et à Malte.
En Italie, 80 % du personnel soignant se refuse à pratiquer cet acte et le pays envisage de modifier la législation pour créer des droits à l’embryon, ce qui revient à revenir sur les droits de la Femme.
Imposer une Europe laïque, c’est faire en sorte que le dialogue institutionnel entre les cultes et nos institutions soit rendu impossible, c’est séparer le religieux du politique, c’est garantir des droits identiques pour tous, par la considération de citoyens, sans distinction de sexe, de religion, d’origine ou d’orientation sexuelle.
Une Europe Laïque, c’est une Europe de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité, dont elle est mère. C’est une Europe porteuse de valeurs universelles, qu’elle fera rayonner par l’exemple de ses comportements vertueux en direction des droits de l’Homme.
Une Europe des droits de l’Homme, c’est aussi une Europe qui garantit la dignité de ses citoyens.
Seulement, il n’y a de dignité que lorsqu’un individu peut vivre de son travail, à contrario de ce qui se déploie : les salariés se retrouvent enchaînés dans un système qui broie les humains les plus faibles.
Il est donc nécessaire, urgent, de donner à notre Union une forte résonnance sociale, trop longtemps repoussée.
Réaliser cela, c’est se donner les moyens d’aller au-delà des déclarations de principe, trop souvent constatées ces derniers temps. Il faut des actes forts, des volontés courageuses pour imposer un virage sans retour aux nations qui ont décidé de s’unir.
On ne peut plus se satisfaire d’un marché ouvert aux quatre vents, où le dumping fiscal fait la loi et dépouille lentement notre économie, cause le chômage et limite nos perspectives à long terme, face à un marché mondial puissant économiquement et technologiquement. Nous devons nous montrer forts et solidaires, plutôt que de favoriser les accords bilatéraux qui nous affaiblissent collectivement.
L’Europe doit protéger ses emplois, ses entreprises, ses technologies. L’Europe doit, avant tout, protéger les Européens. Or, cette protection passe d’abord par la protection de nos marchés intérieurs, par des normes, sociales, évidemment.
Nous ne pouvons plus continuer à nous laisser concurrencer, sur nos marchés, par des produits fabriqués à bas coûts, qui ne respectent pas nos normes sociales, environnementales, sanitaires, par des travailleurs en situation de quasi esclavagisme, souvent des enfants, sans réagir.
Hausser nos normes intérieures devient une priorité absolue, pour mieux imposer aux autres pays qui veulent pénétrer nos marchés d’offrir des garanties sociales au moins égales. Nous pouvons être ces locomotives du monde, de l’OMC, si nous nous montrons à la hauteur de notre histoire et des enjeux sociétaux et écologiques que nous impose notre qualité d’humains.
La France doit être, encore une fois, le porteur de ce modèle sociétal, qui a fait sa réputation. Nous devons proposer un véritable SMIC européen. Pas juste un outil au rabais, ni un salaire minimum par pays, mais bien faire en sorte que tous les pays de l’Union européenne, à l’aube de 2030 soient en capacité de se hisser à un niveau de rémunération comparable au nôtre.
S’intéresser, en la compartimentant, à la seule question des travailleurs détachés c’est faire une politique sans vision, peu courageuse, et surtout peu vertueuse au regard de notre ambition d’emmener le reste du monde sur la voie de l’émancipation humaine. La question, néanmoins, du dumping fiscal sur les entreprises sera au creux de cette préoccupation, si nous voulons que les mécaniques s’avèrent efficaces. Les mesures sociales doivent donc s’accompagner de mesures d’harmonisation fiscale, de démantèlement définitif de toute forme de zone d’exception faisant figure de paradis pour les optimisations en tout genre.
Enfin, une Europe respectueuse de ses peuples ne peut qu’offrir un visage plus démocratique.
Or, nos institutions semblent poussiéreuses, peu lisibles et manquer cruellement de transparence. La technostructure a pris le pas sur le politique. Nous avons le devoir d’y remédier, sans quoi le désintérêt pour les urnes finira par être un désaveu pour l’institution elle-même.
Il faut rendre au peuple sa souveraineté, cela passe par l’élection au suffrage universel direct d’un Président de l’Union européenne, une définition de son rôle réel, et la mise en place d’un véritable gouvernement.
Ainsi, le peuple pourrait se sentir uni, symboliquement, par l’incarnation gouvernementale, délibérant pour l’intérêt général, accompagnée d’un Parlement aux pouvoirs législatifs élargis, force de proposition de textes de loi, de grands projets, faisant sens pour l’ensemble des Nations y siégeant.
Imaginons cette Europe, renouant avec ses ambitions premières, célébrant l’union de peuples dans un destin commun pour l’avènement d’une Humanité plus éclairée, qui fait sens, qui prend en main son destin et emmène avec elle l’ensemble de l’humanité.
La France doit être le principal architecte de cette nouvelle page de l’histoire à écrire. Nous rêvons tous d’une Europe sociale, d’une Europe des peuples, d’une Europe de l’Humain. Nous devons aujourd’hui avoir le courage d’exiger cette Europe-là et de nous imposer d’y travailler ensemble.
Laurence Taillade
Présidente de Forces Laïques