Au lendemain de l’incendie qui a détruit une partie de Notre Dame de Paris, Laurence Taillade, présidente de Forces Laïques, espère voir dans ce feu destructeur la naissance d’un mouvement inédit.
La vision de désastre qu’offre la destruction partielle de Notre Dame de Paris pousse à la réflexion sur ce qu’elle est à nos yeux. Objet d’art, part de notre histoire, sujet littéraire, ouvrage architectural et lieu de culte, elle est tout à la fois.
C’est cet ensemble qui en fait un symbole fort, porteur de sens au plan humain comme de spiritualité et de transcendance.
Cette vieille Dame, qui se dresse au beau milieu des quartiers historiques de Paris, a été de toutes les époques, ou presque, de la vie de la ville lumière. Lieu de passage, de pèlerinage, elle a aussi marqué les événements importants de notre pays : Te Deum, commémorations, sacrements, ses quelque 850 années ont été émaillées de liens intimes avec ceux, plus ou moins heureux, du peuple de France, faisant d’elle un lieu de recueillement et de mémoire, à de multiples occasions.
Lieu de culture, s’y retrouvent des millions de touristes de passage, des quatre coins du monde, de toutes les nationalités, de toutes les traditions, de tous les cultes, chaque année. Unanimement reconnue, elle a inspiré les écrivains pour de célèbres et marquantes fresques, dont l’emprunte indélébile s’associe à la fibre même de notre mémoire collective. Hugo en avait fait le personnage principal d’un de ses plus célèbres romans, adapté en comédie musicale mondialement reprise. Les illuminations de sa façade, dans des sons et lumières lui redonnaient vie, à diverses occasions, faisant d’elle une entité toute autre, dont l’âme pouvait habiter chaque personne qui avait la chance de l’observer.
Les catholiques en ont fait leur maison commune, le centre névralgique de leur pratique. Tous ont une histoire avec elle, personnelle, à raconter.
Enfin elle est le point zéro, celui d’où partent toutes les mesures. Point symbolisé par un plaque octogonale en bronze.
Au moment où cette cathédrale a été édifiée, les bâtisseurs dévouaient leur vie à la construction d’un ou deux ouvrages de ce type. Hommes de métier, ils vivaient leur travail comme une initiation de soi, une élévation de l’Homme par celle de l’édifice, par la recherche de la perfection du geste, sur la matière.
Et Notre Dame est un grand oeuvre, regorgeant de symboles propres à émerveiller, encore aujourd’hui, tous les maçons du monde, qui sont loin d’en maîtriser la finesse.
Ce temple est aussi majestueux que grandiose et l’impression qui s’en dégage n’y est pas pour rien.
Sa destruction ne peut que prendre une portée symbolique d’importance capitale, fondamentale pour notre Nation.
Il se dit, pour qui s’intéresse à la construction des cathédrales de cette époque, que les maîtres d’œuvre cherchaient à transmettre la méthode alchimique, capable de transformer le plomb en or, à travers les sculptures, les cheminements, les labyrinthes, aux générations futures. Il est plus probable qu’il s’agissait d’une allégorie de l’initiation que l’individu obtient en travaillant sur lui-même à son amélioration morale. Notre Dame comptait parmi ces ouvrages de référence, ces livres ouverts vers l’hermétisme, autre nom de l’alchimie. Ce qui était nommé le grand oeuvre, le passage du plomb à l’or, prenait des années entières, de recherche, de manipulations, faisant appel aux différents éléments, au mercure et au plomb, éléments fortement présents dans la structure des vitraux, filtrant la lumière, mais l’offrant à la fois, celle du soleil – source de chaleur – mais aussi celle de la connaissance – quête de celui qui part sur le chemin initiatique. Les étapes décrivent celles d’une calcination, puis d’un retour à une matière noble, débarrassée de ses aspérités et autres impuretés, que l’on dit transmutée. Elle est la même mais pas tout à fait pareil.
Parce qu’il faut donner du sens à toute chose, l’incendie d’hier doit nous permettre d’y voir un sens plus grand que le seul mouvement des flammes qui tordent le plomb et détruisent la charpente de bois. Ce feu, destructeur, a donné naissance à un mouvement inédit.
L’ensemble des Français s’est senti uni dans la désolation, comme débarrassé de ces petites différences qui ne sont pas grand-chose, comparé à l’importance de ce qui nous agrège.
Lieu de transcendance, Notre Dame est devenue le lieu d’une immanente spiritualité. Il semble que l’égrégore national y soit ressuscité, alors que la fracture régnait depuis des mois, des années, sans qu’aucun chef d’Etat n’arrive à faire renaître ce sentiment de Peuple uni, indivisible.
Je veux voir dans ce terrible événement l’œuvre que des maçons passés ont voulu nous transmettre qui arrive à nous, de la plus étrange des façons : la Nation unie, transmutée dans une pierre de pur métal, un or des plus pur, qui jailli du chaos de ces dernières heures. Nous sommes arrivés au point zéro. Ordo ab chao.
Laurence Taillade
Présidente de Forces Laïques