Lors de son discours célébrant les 150 ans de la proclamation de la République par Léon Gambetta, Emmanuel Macron a mis à l’honneur Jean Bodin. Par Thomas Flichy de La Neuville.
Lassé par l’artifice des mélodrames sans dénouement et détendu par ses lectures estivales, le chef de l’État a rappelé aujourd’hui avec un brin d’espièglerie que Jean Bodin (1530-1596), théoricien de la monarchie tempérée, comptait au premier rang des pères fondateur de toute régime politique. Lorsque l’on interrogeait ce jurisconsulte sur la nature politique profonde de la France, ce dernier répondait : « L’état de la France est simple et pure monarchie »1. Pour Bodin en effet, la souveraineté ne peut se perpétuer que si elle s’enracine dans la majestatem antique. L’une des leçons politiques les plus intéressantes que nous livre Jean Bodin est peut-être la suivante : si le pouvoir veut pacifier en profondeur, il doit consentir à gouverner non en fonction de règles artificielles mais en respectant les lois de la nature :
« Le Monarque Royal est celui, qui se rend aussi obéissant aux lois de nature laissant la liberté naturelle, et la propriété des biens à chacun. C’est donc la vraie marque de la Monarchie Royale, quand le Prince se rend aussi doux, et ployable aux lois de nature, qu’il désire ses sujets lui être obéissants (…) Si donc les sujets obéissent aux lois du Roi, et le Roi aux lois de nature, la loi d’une part et d’autre sera maîtresse, ou bien, comme dit Pindare, Reine : car il s’ensuivra une amitié mutuelle du Roi envers les sujets, et l’obéissance des sujets envers le Roi, avec une très plaisante et douce harmonie des uns avec les autres, et de tous avec le Roi : c’est pourquoi cette Monarchie se doit appeler royale et légitime »2
Jean Bodin exalte ainsi le juste Prince fondant son gouvernement sur la droite justice et respectant les libertés inaliénables des individus. Ses lois sont rares et concises, en effet : « plus les édits et ordonnances ont été multipliés, plus les tyrannies ont pris leur force : comme il advint sous le tyran Caligula, qui, à propos et sans propos, faisait des édits, et en lettre si menue qu’on ne les pouvait lire, afin d’y attraper les ignorants »3. Pour ce théoricien politique :
« La Monarchie légitime, comme un corps fort et puissant, peut aisément s’entretenir, mais l’état populaire et l’aristocratie, comme faibles et débiles et sujettes à beaucoup de maladies, se doivent gouverner par diète et régime. »4
L’état populaire est donc éminemment sensible à la maladie. La plus grave étant que le sage pilote abandonne le gouvernail à ceux qui manœuvrent pour s’en emparer. Jean Bodin note à ce sujet avec un soupçon d’amertume :
« Ils s’en font toujours maîtres, et le peuple ne sert que de masque »5
Thomas Flichy de La Neuville
Agrégé de l’université, habilité à diriger des recherches en histoire
Titulaire de la chaire de géopolitique de Rennes School of Business