Les transformations publiques en cours s’inscrivent dans un vaste mouvement consistant à placer notre pays dans la modernité et à l’adapter aux évolutions de son environnement. Dans ce cadre, la recherche absolue de l’efficacité est essentielle. Aussi, l’article 9 du projet de loi constitutionnelle vient-il à point nommé puisqu’il vise à accroître les capacités du Parlement à évaluer et mesurer les effets réels de l’action publique. Cet accroissement des pouvoirs du Parlement peut-il avoir des retombées positives pour mobiliser autrement l’Administration dans une culture du résultat et de l’efficacité ?
Les Etats font face à de très grands défis qui exigent de plus en plus de la part des Administrations publiques un devoir de clarté dans la compréhension des enjeux et la définition des objectifs et un devoir de rigueur dans la recherche de l’efficacité et des résultats. Une discipline de la pensée et de l’action publique s’impose à elles.
Il se trouve que la réforme constitutionnelle de 2008 (Loi constitutionnelle n°2008-724 de modernisation des institutions de la Vème République) et celle en cours de préparation dans son volet évaluation des politiques publiques peuvent y contribuer puissamment (article 9 du projet de loi).
La loi constitutionnelle de 2008 donne au Parlement, Sénat et Assemblée nationale, des pouvoirs nouveaux pour évaluer les politiques publiques. Elle a posé un socle à partir duquel le projet de loi de réforme constitutionnelle en cours de discussion s’agissant des moyens de contrôle et d’évaluation du Parlement
Ainsi l’article 39 de la Constitution renvoie à une loi organique (imposant notamment la réalisation d’une étude d’impact jointe au projet ou à la proposition de loi) et prévoit une saisine du Conseil Constitutionnel par les présidents des assemblées en cas de méconnaissance de la procédure.
Quant à l’article 4, il dispose que la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du gouvernement. Elle assiste le Parlement et le gouvernement dans le contrôle des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques. Elle contribue à l‘information des citoyens via des rapports publics ; les comptes des administrations publiques doivent être réguliers et sincères et donner une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière.
Dix ans après, les réflexions en cours dans le cadre du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, portent sur une amplification indispensable du dispositif de 2008 qui s’est révélé insuffisant. On se dirige donc vers une réforme majeure qui peut permettre de donner aux parlementaires un rôle beaucoup plus important de contrôle de l’action publique et de vérification du caractère bénéfique ou pas de cette dernière, ceci dans un contexte où la réduction envisagée par un projet de loi organique du nombre de députés et de sénateurs devrait favoriser la simplification et alléger le travail parlementaire et l’activité législative1.
Si ces nouvelles responsabilités sont bien remplies, car elles dépendront également, au-delà des textes, du volontarisme des représentants de la Nation en matière de contrôle et d’évaluation, elles auront progressivement une conséquence majeure sur le fonctionnement même de l’Exécutif et des administrations.
En effet, qui peut mieux que les représentants de la Nation exiger de l’Etat et des autres collectivités publiques une efficacité maximale ?
C’est une attente forte dans le pays que d’obtenir une vraie modernisation des services publics et des administrations publiques et un accroissement de l’efficience publique. Cet investissement des parlementaires dans l’évaluation de l’action publique sera profondément utile aux ministères dont les ministres, à l’instar des exécutifs des autres collectivités publiques, devront ainsi s’engager davantage dans la gouvernance et le management de leurs administrations respectives. Il sera également profitable à un meilleur pilotage des politiques publiques par Matignon et l’Elysée. Mais c’est surtout toute une chaîne de résultat – où les administrations ont une part prépondérante – qui serait ainsi sécurisée par un travail effectif de contrôle et d’évaluation des élus de la Nation.
Les pistes de réforme en matière de contrôle et d’évaluation parlementaire
Face aux mutations en cours dans de nombreux domaines, les institutions doivent se moderniser et s’adapter pour être plus modernes et plus efficaces.
C’est justement cette mesure de l’efficience publique qui est en cause en amont, au moment de la conception des politiques publiques, comme en aval, au moment où à l’issue de leur mise en œuvre.
Dans ce cadre il est cohérent que le Parlement joue une rôle clé. L’évaluation et le contrôle sont en effet au cœur de sa mission comme énoncé dans l’article 24 de la Constitution.
Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace la rationalisation indispensable du travail parlementaire n’a de sens que si, parallèlement aux dispositifs prévus pour y arriver, telle la réduction des délais d’examen des textes financiers, le contrôle de l’exécution des budgets et de l’action publique monte en puissance et qu’intervienne un véritable « printemps de l’évaluation » dont la conclusion sera l’examen de la loi de règlement. Il est prévu à cet effet qu’une loi organique relative aux lois de finances organise le travail des commissions parlementaires avec des outils adaptés.
Déjà un certain nombre de souhaits sont exprimés par les parlementaires tels que : créer une agence parlementaire d’évaluation en appui du travail d’évaluation des commissions permanentes dont c’est la mission principale dévolue ; reconnaître aux rapporteurs pour avis des commissions permanentes ainsi qu’aux rapporteurs des missions d’information les pouvoirs dévolus par la LOLF aux rapporteurs spéciaux des commissions des finances ; pouvoir sanctionner les manquements de l’Exécutif dans les informations insincères ou lacunaires transmises au Parlement. Il en va ainsi du non-respect des délais de réponse aux questions écrites ou du recours abusif du secret-défense.
C’est dans ce contexte que le premier rapport du groupe de travail de l’AN sur les moyens de contrôle et d’évaluation, propose quinze modifications de la Constitution pour répondre aux trois objectifs de renforcer les capacités de contrôle et d’évaluation du Parlement, mieux articuler les activités de contrôles et d’évaluation avec les travaux législatifs et valoriser les activités de contrôle et d’évaluation2.
Quinze propositions sont à l’étude :
- Suppression du plafond constitutionnel du nombre de commissions permanentes ;
- Pouvoirs élargis de communication et de contrôle sur pièces et sur place ;
- L’existence de poursuites judiciaires ne doit plus constituer une limite aux investigations des commissions d’enquête ;
- Accroissement du contrôle des nominations ;
- Nouvelles possibilités pour le Parlement de recourir aux avis du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes ;
- Mission d’assistance exclusive au bénéfice du Parlement de la Cour des comptes dans le contrôle du Parlement ;
- Capacité à mobiliser de manière ciblée les moyens de l’exécutif ;
- Rattachement au Parlement d’une entité administrative ;
- Possibilité pour le Parlement de participer à l’élaboration des projets de loi et donc de renforcer l’obligation pour le Gouvernement d’informer le Parlement de son programme législatif ;
- Mise en œuvre des études d’impact pour les propositions de loi et tous les amendements substantiels car l’amélioration de la qualité des études d’impact est le meilleur levier pour lier élaboration et évaluation de la loi ;
- Possibilité de l’intervention du Parlement dans l’élaboration des textes réglementaires et la capacité de saisir le Conseil d’Etat en cas de manquement du pouvoir règlementaire et d’instaurer dans la loi des mécanismes d’évaluation et de revoyure ;
- Révision du calendrier parlementaire en sanctuarisant les semaines de contrôle et en rééquilibrant le temps consacré à l’examen du projet de loi de règlement et celui réservé au projet de loi de finances de l’année ;
- Attribution au Parlement d’un pouvoir d’injonction en contraignant le gouvernement à répondre à ses recommandations ;
- Droit de suite 6 mois après le dépôt du rapport des instances de contrôle et d’évaluation ;
- Instauration d’un délai impératif de réponse de deux mois aux questions écrites.
Un deuxième rapport a mobilisé les députés avec quatre préoccupations étudiées par le groupe de travail :
- Proposer aux parlementaires des prestations nouvelles de nature à enrichir leurs activités d’évaluation, via la saisine souple d’une instance d’expertise en mutualisant des moyens existants au Parlement et des services de l’Exécutif
- Constituer un projet faisable et crédible d’une structure d’expertise indépendant loyale et objective
- S’appuyer sur les bonnes pratiques existantes pour réussir la réforme
- Prévoir une procédure qui pourrait s’appliquer au Sénat s’il le souhaitait
A l’évidence les parlementaires se sont intéressés aux moyens de leurs compétences accrues de contrôle et d’évaluation.
C’est ainsi qu’ils ont réfléchi aux missions d’une éventuelle instance d’expertise propre au Parlement en amont et en aval des lois.
En amont, les études d’impact actuellement prévues par la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 (premier alinéa de l’article 39 de la Constitution introduit par la réforme de 2008) laissent à désirer.
Certes leur contenu défini en neuf rubriques est plutôt précis :
- L’articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d’élaboration, et son impact sur l’ordre juridique interne.
- L’état d’application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par la loi.
- Les modalités d’application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées.
- Les conditions d’application des dispositions envisagées dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les terres australes et antarctiques françaises, en justifiant, le cas échéant, les adaptations proposées et l’absence d’application des dispositions à certaines de ces collectivités.
- L’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que les coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques ou morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue.
- L’évaluation des conséquences des dispositions envisagées pour l’emploi public
- les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d’Etat.
- S’il y a lieu, les suites données par le Gouvernement à l‘avis du Conseil économique social et environnemental.
- La liste prévisionnelle des textes d’application.
Mais ces études d’impact constituent un dispositif d’évaluation ex ante incomplet3 et décevant4.
Aussi, aux yeux des parlementaires, et indépendamment des modifications qui seront apportées à la Constitution, la revalorisation des études d’impact passe par le renforcement de l’expertise5 en particulier pour réaliser trois types de travaux :
- L’analyse des orientations des finances publiques présentées par le gouvernement et des hypothèses macroéconomiques sur lesquelles elles sont construites. Bien que depuis la loi organique n°2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, cette expertise soit confiée au Haut-Conseil des finances publiques (HCFP) le Parlement doit disposer de sa propre capacité d’expertise.
- Le chiffrage des conséquences des initiatives législatives pour les finances publiques
- La simulation des effets redistributifs des initiatives législatives sur les ménages et les entreprises
Le groupe de travail s’est naturellement intéressé à ce qui se passe ex post pour évaluer l’impact de la législation et des politiques publiques. Ils l’ont fait avec un parangonnage des expériences étrangères (USA, Canada, GB).
Ils en concluent assez logiquement que l’évaluation des coûts, de l’efficacité (conformité des effets aux objectifs) et de l’efficience des politiques publiques exigent des outils adaptés et des capacités d’expertise. De même l’évaluation d’impact qui couvre l’ensemble des objectifs, notamment économiques, financiers, sociaux et environnementaux assignés à la politique publique demandent un savoir-faire spécifique. Car cette évaluation des impacts des politiques publiques peut notamment consister à mesurer les effets d’une politique publique par comparaison à un groupe témoin, dont il convient de vérifier la représentativité et l’absence de biais de sélection. Elle obéit à des règles définies par des standards internationaux pour en garantir l’indépendance, le pluralisme et la transparence (méthodes de mesures d’impact très élaborées fondées notamment sur la notion de contrefactuel). France Stratégie a acquis par exemple une solide compétence dans l’évaluation d’impact qui est désormais une de ses trois missions à côté de l’analyse prospective et des travaux relatifs au dialogue social.
Conséquemment, le groupe d’études s’est interrogé sur ce qui pourrait être le statut de cette instance d’expertise à créer sous la forme d’une agence parlementaire d’évaluation.
Ils ont formulé trois objectifs :
- Garantir la crédibilité de l’instance d’expertise et en mutualiser les moyens (Cour des Comptes, France Stratégie, Agence parlementaire d‘évaluation) et demandes d’expertise via appels d’offre auprès de l’Institut des politiques publiques (IPP), de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ou du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) rattaché à l’institut d’études politiques de Paris.
- S’inspirer des modèles de gouvernance observés à l’étranger.
- Doter l’agence parlementaire d’évaluation d’un pouvoir d’accès à l’information et aux données. On sait que l’ouverture des données publiques – l’open-data – a fait d’importants progrès ces dernières années, notamment depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique et du décret n°2017-331 du 14 mars 2017. Par exemple, depuis 2011, le Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) permet d’accéder à distance aux données individuelles de l’INSEE, des ministères de la Justice, de l’Education, de l’Agriculture, des finances et de la Santé. Mais la légitime question des parlementaires tourne autour de l’effectivité de l’accès à toutes ces données y compris celles de encore indisponibles des administrations.
Le Sénat n’est pas en reste et contribue également fortement à la réflexion et aux propositions. Le 18 juillet 2018 la chambre haute a entamé un cycle d’auditions sur le projet de loi6.
En définitive, des questions se posent encore, tel l’équilibre à trouver entre l’appel à des compétences extérieures et la mobilisation de compétences internes au Parlement existantes ou à recruter, notamment des compétences scientifiques. Sur ce dernier point la question de la formation des personnels et celle des passerelles à développer avec le monde universitaire et de la recherche sont primordiales.
De même, il semble indispensable de développer l’évaluation ex ante et en particulier d’élargir les mesures d’impact sur les conséquences sociales, environnementales et éthiques des politiques publiques.
Enfin en cantonnant l’évaluation parlementaire à l’impact de la législation et des politiques publiques, certains soulignent à juste titre le risque d’omettre tous les domaines où l’action publique est absente. Ils notent qu’il incombe aux parlementaires de se faire le porte-parole des attentes et mécontentement des Français. Ce qui déjà devrait être davantage le cas des administrations qui sont censés être à l’écoute des nécessités des populations sans s’enfermer dans des cadres de pensée existants ou des habitudes.
Et en effet, l’enjeu des transformations publiques en cours est bien de réduire les angles morts de l’observation des réalités pour que l’action publique agisse à bon escient. C’est à ce titre que le Parlement peut dynamiser l’Administration.
Des effets vertueux de cette révolution silencieuse sur l’Administration et l’ensemble de la chaîne de l’action publique ?
La « culture du résultat » n’est pas suffisamment prégnante dans les services publics malgré ces dernières années des efforts louables pour la développer, en particulier le mouvement de modernisation des services publics lancé par Michel Rocard, les SMR, la RGPP, la MAP et désormais les transformations publiques, ou naturellement la LOLF dont l’ambition était d’instaurer une nouvelle culture de la gestion publique. Mais la gouvernance et le management publics restent encore trop marqués par la défiance et la centralisation7.
Par ailleurs, l’articulation entre le Politique et l’Administration est sans doute perfectible. A cet égard, les situations anormales où le Ministre n’est pas suffisamment en direct avec ses services, au pire, favorisent les risques de conservatisme, de corporatisme et l’irresponsabilité. En clair la complexité des dossiers s’accroît et il est nécessaire d’encadrer les tendances technocratiques par un sens politique des réalités et inversement d’étayer les projets politiques par une armature technique solide.
Quoi en effet de plus latent, voire fréquent, que des ministres éloignés de fait de leurs directeurs et de leurs services plutôt que d’être les véritables « patrons » de leur ministère et, inversement, des administrations proposant en continu des mesures dont les politiques ne perçoivent pas tous les effets.
Aujourd’hui, par exemple, où il commence à se dire que le « tout TGV » fut une erreur au détriment des politiques de maintenance et de modernisation de la mobilité dans les territoires, peut-on vraiment imputer la responsabilité à un acteur en particulier ?
Que la classe politique soit de ce fait en situation d’assumer à l’avenir ses propres choix en fonction de ses évaluations sur le réalisé, ne peut être que profitable à l’efficacité publique.
Quant aux ministres, ils auront devant le Parlement à s’expliquer devant le Parlement avec les cadres dirigeants de leurs services, ce qui impliquera préalablement qu’ils travaillent au plus près avec ces derniers.
Trois conséquences positives pourraient alors en découler :
1- un renforcement de la transversalité au sein des ministères sous la houlette des secrétaires généraux et des directeurs travaillant en équipe
2- une enveloppe budgétaire totalement fongible et pluriannuelle attribuée au ministre par Bercy.
3- un vrai pilotage politique par le Premier ministre du fait de ministres plus instruits des enjeux et une capacité d’arbitrage du Président plus en amont de la formalisation des politiques et davantage en alignement stratégique.
Sur la longue période, et dès lors que des actions de transformation publique soient activées en même temps (top down et buttom up), on peut attendre de cet anorgiamento une évolution de l’administration vers une plus grande culture du résultat.
Car le but est là ! Faire en sorte que nos services publics puissent être en capacité de traduire dans des actions cohérentes et efficaces les nécessités et les attentes des citoyens.
Ainsi on mobilise des fonctionnaires sur des objectifs clairs et on redonne du sens à leur métier et à sa noblesse. On les réengage sur des valeurs de service public qui les animent et on les responsabilise tout au long de la chaîne en leur confiant le maximum possible d’initiatives pour arriver aux résultats correspondant aux objectifs préétablis par l’Exécutif et le Parlement qui en outre évaluera.
Des résultats insuffisants sont à expliquer certes mais ils auront été atteints sans contrôle tatillon et a priori sans rigidités étouffantes.
On procédera à une évaluation apprenante puisque celle faite chemin courant n’aura pas été suffisante8.
On agira sans dramatisation et on ajustera pour l’avenir.
Si les résultats sont bons, il faudra opérer aussi une évaluation car on apprend aussi des réussites et on n’échappe pas non plus à la nécessité absolue de vérifier leur effectivité et de voir si les finalités sont réellement respectées, si les effets de l’action sont durables ou encore s’il n’existe pas d’effets collatéraux négatifs.
Les Français attendent des solutions à leurs problèmes, c’est la noblesse des Fonctionnaires et des Politiques que de les leur apporter.
La représentation nationale peut contribuer, par son implication dans l’évaluation ex ante et ex post à l’élaboration d’une vision d’ensemble qui emporte l’adhésion et mobilise les acteurs. Encore faut-il la rechercher dans la profondeur des réalités sociales et humaines, dans les besoins ou les attentes, explicites et implicites, ambivalentes ou contradictoires car multiples, des citoyens. Dans le concret, l’utile, le pragmatique, le Réel. A côté des administrations et du gouvernement, les parlementaires, là encore, peuvent apporter leurs connaissances du terrain. Une fois l’objectif défini, faut-il aussi que l’on sache arrêter les voies et les moyens de le réaliser. La décision est un processus continu entremêlé d’actions récursives. Par ailleurs, nous vivons sur le mythe que ce sont les politiques qui fixeraient le dessein alors que l’administration se réduirait à l’exécuter. L’image selon laquelle le politique, les élus, plus exactement le ministre et son cabinet, ordonnent à l’administration, simple exécutant, n’est pas corroborée par l’analyse des faits. L’origine d’une décision peut provenir par mille cheminements individuels ; en règle générale, c’est un acteur pertinent (un individu, un collectif, une entité, souvent l’Administration, à tout le moins des hommes et les femmes au sein de l’administration, capables de porter une vision !) qui apporte l’idée, la promeut et la transmet. Cependant l’Administration, si elle porte en elle-même des valeurs d’impartialité, est également victime de ses propres filtres, dogmes et routines. C’est pourquoi il faut vérifier, renforcer sa capacité d’ouverture au réel. C’est bien parce que l’Etat impartial a été pris en défaut que ces dernières années la classe politique a créé peut-être à l’excès des autorités indépendantes. Ou encore que des décisions majeures ont parfois été prises hors les murs des administrations compétentes, en dépit de leurs prérogatives. De fait, l’on confond le processus formel et linéaire qui fait que, naturellement, le ministre (ou son cabinet) valide la démarche, avec le mécanisme réel des événements qui est beaucoup plus complexe. En vérité, tout un processus humain participe de la construction, sinon de la vision, du moins du contenu des décisions publiques. Ceci rend indispensable une fluidité de l’information et de la connaissance des situations. Bien des échecs patents, petits et grands, proviennent d’une lourdeur des mécanismes de décisions et d’action, entravant la clarté de la pensée et la netteté de l’action. Aussi, faut-il dire clairement que les administrations publiques et leurs dirigeants doivent s’interroger sur leurs propres erreurs et leurs propres dysfonctionnements afin de les corriger. Les tentatives en cours de transformation publique ne peuvent réussir qu’au prix de la lucidité, d’un certain courage et de quelques remises en cause. Lucidité face à des erreurs de diagnostic, de travail insuffisant dans l’analyse et la réflexion sur des réalités de plus en plus complexes ; courage dans l’effort de remise en question des habitudes, des routines et des référentiels qui obscurcissent la vision et remises en cause de quelques principes d’action et de doctrines dépassés. La chance des serviteurs de l’Etat est de se consacrer exclusivement à des missions qui vont prendre à l’avenir de plus en plus d’importance tant le besoin d’Etat apparaît probant et tant l’environnement mute et exige des adaptations permanentes et une culture et une ouverture d’esprit accrues.Cette chance ne doit pas être ratée du fait d’un mauvais management ou d’une gouvernance publique inappropriée. C’est pourquoi cette réforme constitutionnelle ainsi que les circulaires du Premier ministre9peuvent être l’opportunité de renforcer les transformations publiques en cours et, en même temps, la fonction de pilotage du gouvernement et du Président, la transversalité au sein des ministères (incluant les opérateurs publics) et en interministériel, et enfin un rôle plus impliqué du Parlement dans le régime parlementaire dans lequel nous vivons. Cette nouvelle donne nécessitera pour s’organiser de bons outils intellectuels et, lorsqu’ils existent, de les rassembler car ils sont parfois dispersés, réduisant ainsi notre capacité de synthèse. L’open-governement, l’open-data, devront accompagner ce mouvement, en même temps que des moyens d’expertise devront être renforcés. Car, au-delà des lobbies, des logiques de corps, des intérêts et des amitiés qui, de tout temps, constituent les coulisses du pouvoir, l’on observe depuis quelques années une accélération de la dégradation de la qualité de la décision publique. Il ne faut pas en faire porter la responsabilité à un camp politique particulier, mais à quatre éléments au moins :
- La croissance de la complexité que la classe politique veut parfois ignorer, d’un côté,
- Le système de pensée des hauts fonctionnaires et des administrations, de l’autre,
- Le lien perdu entre la dimension territoriale et la dimension globale des problèmes à résoudre,
- L’insuffisante information des citoyens.
Par ce retour en force de l’évaluation des politiques publiques en amont par le biais des mesures d’impact, en aval par la loi de règlement, l’Etat modifiera sensiblement et dans le temps les modalités de la gestion publique et la façon dont il anticipe les situations. Il est de moins en moins possible, face à la complexité, de se contenter d’un processus de décision pseudo-rationnel et en réalité totalement déraisonnable, en tant qu’il décroche des contingences comme des buts à atteindre. Le court-terme prime sur le moyen/long-terme. Les échanges sont trop brefs, peu approfondis, les rapports de force sont peu tempérés par l’écoute et le goût de la démonstration et de la preuve. Les situations qui entrent dans le champ des politiques et décisions publiques ont à la fois une dimension technique et une dimension politique. Si la première dimension correspond à une stricte rationalité et répond aux avis d’experts et aux hommes de l’art, la seconde n’en est pas moins soumise à la raison puisqu’elle conjugue des problématiques sociales, culturelles et donc politiques où les passions humaines et les intérêts s’entremêlent.Les deux dimensions courent le risque de préjugés et de dogmes que notre société rationaliste est tentée de ne craindre que dans la seconde. Car il existe incontestablement une idéologie de la gouvernance où beaucoup voudraient voir réduire le champ politique au risque de la démocratie. En revanche, il est vrai que l’irrationalité peut affecter la politique au détriment d’un fondement scientifique et technique de décisions publiques dont elles seraient largement tributaires. Il existe donc une tension entre ces deux dimensions qui est au cœur de l’Etat démocratique, la notion de gouvernance courant le risque de s’apparenter à une idéologie a-démocratique qui fait son affaire d’un management technocratique ne remettant pas en cause quoi que ce soit, dans son propre environnement, ou dans ses propres référents, n’intégrant nullement les attentes des citoyens. Aujourd’hui le Politique doit retrouver une boussole et prendre le temps de la consulter. Loin de bloquer tout processus de vitesse du changement, la lenteur de la décision doit être une méthode pour aller plus vite et plus loin dans la mise en œuvre. Elle s’accompagne d’anticipation et ainsi favorise la rapidité et l’efficacité de l’action publique. En revanche, les inerties administratives sécrètent du stress et de l’urgence, déconnectent des processus qui devraient être reliés et découragent les citoyens et les chefs d’entreprises, sans parler des fonctionnaires eux-mêmes, qui sont aussi victimes de leur propre impéritie. Tout est changement, car la société a besoin de créer, de se développer ; c’est dans sa nature de pousser continument à des améliorations : en dépit du mythe de l‘âge d’or, l’insatisfaction grandissante des citoyens rend indispensables des réformes de fond dans les hôpitaux, les écoles, les administrations. Un seul but : rendre service aux citoyens avec des prestations de qualité, sûres et continues, pensées et efficaces.
* * *
Ces changements permettront de fournir un travail administratif plus rapide dans l’exécution des décisions et induiront des exigences nouvelles à l’égard des hauts-fonctionnaires. Ce constat permanent de l’Exécutif sur la nécessité d’accélérer les processus de décision publique ne peut être partagé qu’assorti de l’analyse des causes véritables précitées du rythme actuel de ces processus. Il y a concomitance entre la dictature de l’urgence pour analyser et prendre les décisions et l’extrême lenteur de la mise en œuvre. Osera-t-on dire qu’une décision publique bien préparée et associant ceux qui vont la mettre en place ou en bénéficier sera exécutée à un rythme pertinent ? Au temps de l’Open-Governemt, le Parlement peut accomplir ce miracle de réconcilier le court et le long terme.
Enfin, puisque l’on évoque l’Open-Governement, il ne faut pas passer sous silence le rôle des citoyens et l’importance des débats publics dont l’organisation bien en amont d’une décision publique peut aider à en évaluer l’opportunité. A cet égard, les ordonnances d’avril et d’août 2016 (à la suite des travaux de la commission présidée par Alain Richard) ont ainsi créé un droit d’initiative citoyenne, et prévu que les débats portent aussi sur les plans et les programmes et plus seulement sur des projets. De même elles prévoient l’existence d’une expertise indépendante et la constitution de viviers de garants. Au-delà de la démocratie représentative qui conserve un rôle essentiel, la démocratie participative est également un moyen indispensable du renforcement de l’efficience publique.
Francis Massé
Président de MDN Consultants, essayiste et conférencier
Ancien élève de l’ENA, ancien administrateur général
Secrétaire général du Cercle de la réforme de l’Etat
Son dernier livre Urgences et lenteur – Quel management public à l’aube du changement de monde ? est paru aux Editions Fauves. Il est préfacé par Anne-Marie Idrac
- Il est prévu de passer de 577 à 404 députés et de 348 à 244 sénateurs. Les premières simulations montrent qu’il en résulterait que 30 départements auraient un seul député et 53 un seul sénateur. Source : Observatoire de la vie politique et parlementaire et Public Sénat. Le vecteur essentiel de l’amélioration du travail parlementaire viendra naturellement surtout de la limitation du cumul des mandats dans le temps. ↩
- Rapports présentés le 13 décembre 2017 et le 20 juin 2018 sur les moyens de contrôle et d’évaluation du Parlement, par Jean-François Eliaou, rapporteur. Groupe présidé par Jean-Noël Barrot. ↩
- Il n’est pas applicable aux projets de loi constitutionnel, aux projets de loi de programmation, ni dans une certaine mesure, aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, aux projets de loi autorisant la ratification ou l’approbation d’un accord international, etc. ↩
- Cf le rapport n°2268 du 9 octobre 2014 de la mission d’information sur la simplification législative présidée par Laure de la Raudière et les rapports publics du Conseil d’Etat 2010,2011,2012 et 2013. ↩
- A l’instar du Congressional Budget Office aux Etats-Unis (1974) ou Bureau du directeur parlementaire du Budget (DPB) au Canada (2007) ↩
- Cf. Par ailleurs les travaux de la commission d’enquête du Sénat sur les mutations dans la Fonction publique et notament le compte rendu de l’audition d’Emanuel Roux, directeur général du groupe ASIO sous la présidence d’André Vallini, vice-président (séance du 18 juin 2018) qui met en évidence le poids du Parlement dans la co-construction de la loi. ↩
- SMR, stratégie ministérielle de réforme sous le gouvernement Raffarin ; RGPP révision générale des politiques publiques sous le gouvernement Fillon ; MAP, modernisation de l’action publique sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et la notion de transformation publiques sous le gouvernement Philippe. LOLF, loi organique de 2000 sur les lois de finances ↩
- Une évaluation bien menée est construite avec la participation des acteurs et des bénéficiaires, dans un processus d’apprentissage collectif. C’est la notion d’ « évaluation apprenante », qui est porteuse d’une logique d’amélioration permanente de la démarche-même d’évaluation, au service de la performance de l’action. Si elle était davantage développée pourrait contribuer positivement à recréer le lien entre la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques. (Source : Cercle de la réforme de l’Etat) ↩
- Circulaire du 24 mai 2017 relative à une méthode de travail gouvernemental exemplaire, collégiale et efficace et les circulaires du 24 juillet 2018 sur la déconcentration et l’organisation des administrations centrales et celle sur l’organisation territoriale des services publics. ↩