L’élection au sein du Parti libéral-démocrate (LDP) que nous vivons est différente de toutes celles que les précédentes ont pu connaître. Partout, le pouvoir politique résulte du maintien, indispensable, de l’autorité de son chef. Au Japon, les factions déterminent jusqu’à présent comment le parti choisit son Premier ministre. Mais de l’intérieur aussi, l’autorité peut être menacée par des façons de penser et des façons de faire, de manière autoritaire. À cet égard, le Premier ministre Kishida a failli, à la suite du scandale lié aux violations de la loi sur le contrôle des fonds politiques concernant le financement, lequel peu à peu est devenu un scandale beaucoup plus important.
Ainsi donc, il a décapité tous les membres de la plus grande faction du parti, la faction “Seiwaken” du défunt Shinzo Abe, et a retiré leur adhésion à deux des figures les plus en vue. Ses tentatives de consolider le pouvoir et d’abolir les factions ont conduit à un vide politique qui a créé une confusion concernant son leadership et la gouvernance du parti. Le Premier ministre n’a même pas passé un seul appel aux personnes les plus lourdement punies.
Une telle attitude inhumaine envers des camarades avec qui il avait combattu sur le plan politique pendant de nombreuses années a finalement suscité un fort sentiment d’hostilité à son égard.
Cet édifice politique ébranlé, voilà comment nous sommes dans ce qu’on appelle, selon le vocabulaire,
« un changement d’ère politique ».
Ainsi apparaît sur l’échiquier politique neuf candidats à la présidence, un processus ouvert sans précédent où le système qui a généré les premiers ministres du passé est dépassé. Désormais, tout le monde a une chance, et tout le monde entre dans The Match. Avec neuf candidats, le défi de l’élection est précisément celui de l’opposition divisante, compte tenu des possibilités offertes par la diversité des candidats et leur dynamique propre, qui tend à dire que même si vous avez un faible niveau de soutien, vous pouvez sortir en tête au premier tour de vote et devenir le Premier ministre. Ce faisant, même si une faction, au cœur du processus de choix politique, n’avait pas choisi un candidat, soit parce qu’il ne faisait pas l’unanimité ou se heurtait à des conceptions morales comme d’être trop jeune, une femme ou un outsider, il n’en reste pas moins que le nouveau processus permet au candidat de contourner les barrières habituelles au rôle de leader du parti et, de facto, à celui de Premier ministre.
Un œil sur Shigeru Ishiba
Dans mon article de Shinzo Abe, j’avais évoqué le lien entre l’un des plus grands politiciens japonais du XXe siècle, sinon le plus grand, et celui-ci. Shigeru Ishiba, connu pour son idéalisme, a su anticiper les impasses du monde politique moderne. S’il se dit libre, c’est avant tout sur sa résilience politique et sa détermination incroyable qu’il compte. Les vexations des échecs vont au-delà de sa personne, prenant son courage à deux mains pour cette cinquième et dernière tentative à l’élection du 27 septembre.
Les autres candidats cherchent leurs marques : certains sont assez courageux, tandis que d’autres agacent. Cependant, Shigeru Ishiba, avec son aura de vétéran politique, évoque l’exigence de l’action. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’homme politique, motivé par un sens de l’obligation envers les autres, un sens de l’humanité et la recherche d’une satisfaction spirituelle plus profonde. Issu d’une famille catholique marquée par le protestantisme, la figure de Shigeru Ishiba est familière des Japonais ruraux, en raison de son attachement aux territoires.
C’est un homme politique tangible auquel le public peut s’identifier, et un recours crédible si le soleil médiatique de Shinjiro Koizumi palissait avant l’heure.
Une élection à la barbe des médiatiques du parti, comme le député Taro Konno, plus reconnu à l’international, montrerait, par-delà le jeu des personnes et des circonstances nouvelles, que les réflexions de Shigeru Ishiba sont marquées par le pragmatisme. Tout geste interprété comme une philosophie du vécu, un recul actif et volontariste face aux questions de l’histoire, qui n’oublie ni la réflexion active ni l’exigence du combat politique, reposant sur la rectitude, l’abnégation et la fidélité, puisque son thème est la fierté nationale.
Du bon usage des alliances
Au-delà des défis sécuritaires fondamentaux auxquels le Japon est confronté, Shigeru Ishiba est largement reconnu comme un expert au sein du parti. Déroulant l’héritage intellectuel d’Ishiba de Takuei Tanaka (Premier ministre de 1972 à 1974), son mentor, et son attachement à Michiyo Watanabe (vice-Premier ministre de 1991 à 1993),
il est idéologiquement opposé à la Chine communiste et favorable à Taïwan.
Au-delà même de ces rappels qui s’étendent à la sécurité nationale et à la politique étrangère, Shigeru Ishiba partage le principe qu’une alliance est un instrument et non une fin. Ishiba n’est pas nécessairement un « faucon » dans le sens où Shinzo Abe et ses alliés l’ont été en matière de sécurité nationale. Pour lui, hors de question de dépendre des États-Unis,
mais il est également mal à l’aise face à la menace chinoise.
Avec son sens profond du peuple et son esprit dialectique, l’importance pour Shigeru Ishiba réside dans l’interdépendance avec les deux pays dans de multiples directions, et qui doit s’appuyer sur nouveau rapport des alliances pour continuer à s’élargir, tenant compte des défis de sécurité du Japon. En questionnant cet objectif, on devine que l’un de ses nouveaux défis, auquel il ne saurait se renier, est de définir les capacités de défense du Japon, lui permettant d’agir en tant que partenaire à part entière dans la relation Japon – OTAN. Ses écrits en fournissent la preuve.
L’ère nouvelle du Parti libéral-démocrate commencera-t-elle avec celle de Shigeru Ishiba ? La question appelle une réponse pleine d’aléas mais fondamentale. À la suite de plusieurs conversations, parfois sommaires, c’est ma perception que son avènement au poste de Premier ministre, accompagné de la prière de toute sa préfecture natale de Shimane au sein des missions religieuses, que son seul nom suffira à remplir tambour battant dans toutes les églises du Japon en ce nouveau jour.
Hervé COURAYE 1
- Hervé Couraye, « Rivalité sino-américaine en Indo-Pacifique » VA Éditions, 2023, disponible en ligne : Hervé COURAYE – Boutique (va-editions.fr) ↩