Avec plus de 2,7 millions d’habitants, dont 1,2 million d’habitants dans les départements de La Réunion et de Mayotte, un peu plus de 1 million d’habitants dans le triangle Guadeloupe-Guyane-Martinique et 550 000 habitants dans la zone Pacifique, la France est la seule nation au monde présente dans tous les océans et sur quatre des cinq continents. Ces territoires dits d’outre-mer assurent à la France le deuxième domaine maritime mondial, véritable élément de puissance. Depuis quelques années, le personnel politique français semble redécouvrir – ou découvrir – ce rayonnement de notre pays aux quatre coins du monde.
À dire vrai, ces territoires que, par mauvaise habitude, nous nommons « outre-mer » se sont imposés par eux-mêmes dans le débat « continental » : par la dissidence créative d’un Aimé Césaire, aux confluents de la littérature et du politique ; par l’activisme pionnier d’un Paul Vergès dans la lutte contre le dérèglement climatique ; par les grands mouvements sociaux contre la « pwofitasyon » de 2009 en Martinique et en Guadeloupe, qui se soulèvent à nouveau pour les mêmes raisons profondes.
Les références à l’« économie bleue » ultramarine et à la « France des océans » sont devenues autant de figures imposées du discours électoral français. Pour autant, le personnel politique prend-il réellement en compte ces territoires, dont les habitants nourrissent trop souvent le sentiment d’être, selon la célèbre formule d’Aimé Césaire, « des Français entièrement à part », là où la République fait d’eux « des Français à part entière » ?
À nos yeux, il n’existe ni « outre-mer » ni « métropole » : il n’est que la France, c’est-à-dire la République, dont la part européenne ne doit pas être distinguée de ses parts américaine, caraïbe, pacifique et indianocéanique par un énoncé colonialiste. Ainsi, nous ne parlons pas de l’outre-mer mais de la « France-Monde ».
Ma candidature vise à la construction d’une véritable souveraineté française, dans un monde fracturé par une globalisation mise au service de la finance et de la spéculation. Elle revendique résolument l’héritage des Lumières et de l’universalisme français, contre les modèles communalistes et ségrégationnistes d’inspiration germanique ou anglo-saxonne importés depuis plus d’un demi-siècle dans notre pays.
Dès lors, je porte un intérêt accru aux citoyens des terres de la France-Monde. Alors que celle-ci devrait illustrer le triomphe des valeurs des Lumières et de l’égalité, les territoires qui la composent demeurent trop souvent frappés par des inégalités que tout le monde s’accorderait à trouver intolérables sur le continent européen. Certes, les inégalités n’épargnent pas la France métropolitaine – la Corse, par exemple, compte 20 % de pauvres, et un territoire comme le bassin minier de Lens cumule les injustices –, mais même dans les zones les plus touchées, elles n’atteignent pas un tel niveau.
De plus, les économies de la France-Monde demeurent prisonnières de dispositifs monopolistes dont l’emprise se manifeste par un coût de la vie exorbitant, avec des prix très élevés dans la grande distribution, le commerce des carburants, l’approvisionnement en équipements, etc., et un retard structurel dans l’industrialisation. Trop souvent, les liaisons dangereuses entre la haute administration et les monopoles permettent à ces derniers de mettre en échec les dispositions légales qui permettraient à la puissance publique d’administrer les prix.
Pire : la survivance de ce système entrave l’initiative économique locale et empêche la constitution d’un véritable tissu industriel, condition fondamentale pour un développement endogène autonome vis-à-vis de la commande publique et de l’économie de transfert. Ainsi, les contraintes qui pèsent sur ces économies expriment la continuité choquante de l’énoncé colbertiste selon lequel « pas un clou ne doit sortir des colonies ».
Les populations de la France-Monde, qu’elles soient créoles ou natives, participent toutes d’une expression unique et polyphonique de la Francité.
Il est temps de le reconnaître et de rompre définitivement avec la philosophie du soupçon dont est empreinte l’action de l’administration centrale dans ces territoires. Ainsi, les citoyens de la France-Monde doivent être pleinement associés aux décisions qui les concernent sans être suspectés de séparatisme. Les spécificités de ces territoires, notamment linguistiques, devraient pouvoir s’exprimer sans se voir apposer le stigmate du repli sur soi. Les équilibres culturels internes de ces terroirs doivent être protégés, notamment par la régulation des acquisitions immobilières, qui doivent être d’abord l’apanage des autochtones.
Enfin, l’immense patrimoine culturel et matériel de la France-Monde doit échapper tant à l’effacement trop souvent inscrit dans le passé qui ne passe pas de la relation coloniale, qu’à la marchandisation-récupération induite par la mondialisation. Il doit aussi être protégé des déplacements incontrôlés de populations qui, plus encore qu’en Europe, mettent en danger les fragiles écosystèmes sociaux et culturels de ces territoires, comme c’est actuellement le cas en Guyane.
Ces orientations se déclinent au travers d’une série de propositions.
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Il faut organiser une mobilisation d’ampleur nationale pour l’égalité réelle devant le service public. Dans la France-Monde, comme dans la France continentale, nous nous engageons à mettre en œuvre un grand plan destiné à combler le déficit de services publics qui frappe les territoires les plus mal dotés. Ce plan passe notamment par un recrutement local accru au sein des administrations et par un accompagnement redoublé des demandes de mutations des fonctionnaires originaires de ces territoires qui souhaitent retourner au pays.
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La réalisation de l’égalité réelle par l’économie réelle passe par le déploiement d’un vaste plan d’industrialisation des terres de la France-Monde. Celui-ci doit valoriser les productions locales, notamment en développant des manufactures de pointe dans les créneaux où ces territoires disposent d’un avantage comparatif : agroalimentaire de luxe basé sur la production de la canne à sucre, de la vanille, des ananas, de la banane ; pêcheries et transformation des fruits de la pêche ; industrie textile appelée à être notamment alimentée par la demande d’uniformes scolaires, dont le programme de République souveraine prescrit le rétablissement au sein des structures d’éducation.
L’industrialisation, qui devra être respectueuse des hommes et de la nature dans une logique de transition écologique, doit aussi mettre à profit les atouts géopolitiques dont disposent ces territoires : ainsi, les territoires insulaires seront dotés d’infrastructures de construction navale civile et militaire, susceptibles d’outiller des compagnies maritimes locales. Le patrimoine végétal de ces territoires, notamment en Guyane et à La Réunion, doit être mis au service d’une industrie pharmaceutique locale fondée sur la convergence de la science et des savoir-faire traditionnels.
- L’égalité réelle en matière d’équipements rend nécessaire le lancement de grands projets d’aménagement du territoire, afin de poursuivre le rattrapage engagé par la France-Monde dans le domaine des infrastructures. Ici, deux ruptures avec la pratique contemporaine doivent être envisagées.
D’une part, la définition de ces projets doit répondre aux spécificités locales et aux enjeux locaux : ainsi, les ouvrages de transports doivent rompre avec le tout-automobile, inadapté aux territoires insulaires exigus ou, dans le cas guyanais, incompatible avec les impératifs posés par la protection de la forêt amazonienne. Une attention toute particulière devra être portée au développement du rail, en reprenant par exemple les idées de Paul Vergès en la matière pour la Réunion.
D’autre part, la réalisation de ces projets doit favoriser les acteurs économiques locaux et les entreprises françaises et non plus constituer des niches aménagées au profit des multinationales.
Les chantiers sont innombrables et à même d’assurer une relance économique, tout en créant de bons emplois pour de nombreuses années : réhabilitations et constructions de logement écologiquement responsables, remise en état des réseaux d’eau, de canalisation et d’électricité, routes, ponts, usine de désalinisation, industries navales, industrie de transformation des aliments.
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Les impératifs de relocalisations de l’économie, de création d’emplois, les impératifs écologiques et d’autonomie, incitent à renforcer et développer l’agriculture paysanne afin de renforcer la diversité de la production agricole. Celle-ci existe déjà comme les jardins créoles ou mahorais, ou encore l’agriculture dans les îlets de la Réunion, mais cette agriculture doit être soutenue, en ne répétant jamais le crime de l’usage du chlordécone dans les Antilles dont les victimes devront être légitimement dédommagées et les responsables poursuivis. Il en va de même pour les filières du bois, en Guyane en particulier.
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L’égalité réelle dans le domaine des transports implique le rétablissement d’une continuité territoriale véritable : celle-ci sera reprise en main par l’État, qui s’est trop longtemps déchargé de sa compétence en la matière, en réduisant par exemple drastiquement les coûts des billets d’avion.
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La nécessité de la justice et la reconstruction d’un bien vivre ensemble devra passer par un vaste débat organisé par les acteurs locaux, suivis d’actes garantis par l’Etat pour assurer une redistribution des richesses, en particulier foncières, qui sont trop souvent concentrées dans quelques mains. La non-résolution des problèmes d’injustices sociales ne conduirait qu’à plus de ressentiments, et par voie de conséquence à plus de violences sociales, voire de volonté d’indépendance.
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L’égalité réelle passe aussi par une lutte déterminée contre l’immigration clandestine. Les frontières de la France-Monde sont soumises à une intense pression migratoire ; elles doivent être sécurisées et force doit rester à la loi en matière d’immigration. Cependant, la loi doit s’appliquer avec humanité, ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas, notamment aux frontières françaises de Mayotte. Il est illusoire de prétendre régler le problème de l’immigration par le seul recours à la répression. Si celle-ci est indispensable, ce sont avant tout les causes de l’immigration qui doivent être ciblées : il faut mettre fin à l’impunité des négriers modernes, dont la plupart des immigrants clandestins sont les victimes. De plus, une véritable politique de co-développement et de coopération internationale avec les États frontaliers doit être mise en œuvre, afin de tarir la source d’un exil qui ne profite ni aux migrants ni aux territoires d’accueil.
Pour maintenir l’indépendance de la France et assurer le contrôle de notre vaste domaine maritime, une flotte souveraine des douanes devra être déployée dans tous les territoires de la France-Monde. Il y va de la capacité de la France à tenir son rang et à défendre son sol et ses mers dans un contexte international de course aux ressources exacerbée.
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L’égalité réelle doit prendre en compte la diversité des patrimoines de la France-Monde. L’universalisme républicain n’exclut en rien les cultures et les langues régionales ; il se borne à neutraliser leur dévoiement sécessionniste.
Il est tout d’abord nécessaire de faire un effort massif pour l’éducation de la jeunesse de la France-Monde, que trop de gouvernements ont accepté de laisser dépérir.
Une égalité réelle doit assumer le bilinguisme des territoires de la France-Monde, et cela dès l’école car, comme l’écrivait Jaurès, « puisque les enfants parlent deux langues, pourquoi ne pas leur apprendre à les comparer et à se rendre compte de l’une et de l’autre ? Il n’y a pas de meilleur exercice pour l’esprit que ces comparaisons ; cette recherche des analogies et des différences en une matière que l’on connaît bien est une des meilleures préparations de l’intelligence ».
De même, parallèlement au nécessaire rétablissement des humanités, scandaleusement sacrifiées dans les universités françaises et plus encore dans la France-Monde, les enseignements universitaires doivent être adaptés aux identités des territoires. Ainsi, des diplômes spécifiques doivent pouvoir être délivrés dans les domaines littéraires et artistiques, mais aussi dans les domaines scientifiques, afin de préserver par l’institution les savoir-faire traditionnels, notamment les connaissances uniques des populations locales en matière de botanique. Il y va de la résilience de la France dans son ensemble, car il y a là matière à renforcer le pôle national public pharmaceutique que nous souhaitons mettre en place.
Il faudra également renforcer les formations et les structures d’aide à la personne , au risque si ce n’était fait, de voir exploser les problèmes liés à la dépendance compte tenu de l’augmentation du nombre de citoyens du troisième et du quatrième âge.
Les patrimoines biologiques, agricoles et culinaires doivent faire l’objet d’une protection renforcée, notamment via les appellations d’origine contrôlée (vanille, ananas, rhums, etc.).
Enfin, la protection des équilibres sociaux fragiles de ces territoires passe par la lutte contre la spéculation immobilière et les transformations brutales de l’habitat. Ainsi, nous proposons, dans la France-Monde comme en Corse, de soumettre toute acquisition de foncier ou de logement à une preuve de résidence continue depuis cinq ans.
Les chantiers sont vastes, mais la perspective d’une vie digne partagée, enthousiasmante. La France est mondiale ; il est temps qu’elle l’assume.
Georges Kuzmanovic, candidat à l’élection présidentielle et président de République Souveraine
Geoffroy Géraud Legros, conseiller France-Monde de République Souveraine