On pourra trouver étonnant que malgré l’actualité de l’agitation-propagande d’extrême-gauche, de ses appels séditieux, de son soutien plus ou moins explicite au terrorisme et aux mouvances anti-occidentales, y compris jihadistes, cet ouvrage n’ait pas été accueilli en France comme il le devrait.

Professeur à l’Institut des Sciences Sociales de l’Université de Lisbonne, José Zúquete fait ici œuvre éminemment utile en étudiant l’extrémisme de gauche dans le cadre de deux volumes totalisant près de 800 pages, grâce aux contributions d’une cinquantaine d’auteurs de pays différents. Cet ouvrage est d’ores et déjà une référence et constitue une somme répertoriant à la fois des faits et des idées, dans leur diversité historique, géographique et idéologique. Du Pérou (Martín Tanaka) à la Chine (Barbara Mittler), de la France (Isabelle Sommier) au Venezuela (Margarita Lopez Maya et Neller Ochoa Hernandez) en passant par les États-Unis (Richard Bach Jensen), la Grèce (Lamprini Rori et Vasiliki Georgiadou) ou l’Allemagne (Eckhard Jesse), les articles proposent de parcourir des aires très variées et ne sont pas loin d’être exhaustifs.

Ces études spécifiques alternent avec d’autres thématiques plus larges, comme le féminisme, l’écologie, le concept d’avant-garde ou de guérilla, la radicalisation du monde universitaire ou la banalisation de l’extrémisme (« the mainstreaming of Left-Wing extremism »). La dimension théorique n’est pas oubliée avec des réflexions méthodologiques comme la quantification des attitudes idéologiques (Sebastian Jungkunz) ou les protocoles de recherche en ligne (Arije Antinori). Les concepts de gauche et d’extrémisme sont évidemment développés avec soin. De fait, dans le débat public, la notion d’extrémisme est rarement problématisée à sa juste mesure et reste souvent réduite à une classification paresseuse, à un usage comme invective ou même à un préjugé allant de soi. Pierre-André Taguieff signe quelques lignes introductives à cet ouvrage, ce qui est cohérent avec son propre texte Qui est l’extrémiste ? (Intervalles, 2022) qui abordait la question de la conceptualisation politique de cette notion souvent diffuse.

Les notions de violence, d’antiparlementarisme et de populisme sont ici largement sollicitées ainsi que l’articulation des discours idéologique et de la violence physique, de l’incitation et du passage à l’acte qui sont partie intégrante de la dynamique révolutionnaire. L’anarchisme vert est également l’objet d’une analyse : dans un article puissant, Zúquete y voit d’ailleurs « une guerre contre la civilisation » puisque ce sont les techno-structures mêmes de la civilisation qui sont envisagées comme devant être abattues. L’anarchisme insurrectionnel finit ainsi par voir dans toute organisation sociale une oppression justifiant une lutte pour la détruire.

De fait, l’horizon strictement déconstructionniste des mouvances post-modernistes qui sont l’avatar contemporain du gauchisme ne propose aucune issue positive à ce qu’il dénonce. Une fois constaté le truisme selon lequel « tout est une construction sociale », la volonté d’abattre ce qui existe ne fait qu’ouvrir la voie à une autre construction sociale, mais issue de la violence et de l’autoritarisme. On peut en effet trouver que l’extrême-gauche contemporaine, par son simplisme revanchard, ne présente pas véritablement une doctrine porteuse de justice sociale tant son discours est vindicatif et non constructif et entend se substituer au processus démocratique.

À cet égard, la déstabilisation sociale qui se trouve encouragée par l’extrémisme de gauche mérite d’être étudié dans ses fonctionnements structurels, dans son évolution historique et dans ses expressions locales — ce qui est une des grandes forces de cet ouvrage qui permet un regard large sur les manifestations d’une idéologie volontiers internationaliste. Le souci de documentation, d’analyse et d’objectivité critique honore la démarche érudite de José Zúquete et fait de cette masse de données un outil essentiel pour comprendre le projet ainsi que les ressorts sociaux et idéologiques de l’extrême-gauche.

Jean Szlamowicz

The Palgrave Handbook of Left-Wing Extremism
dirigé par José Pedro Zúquete
Palgrave-MacMillan, 2 vol., 2023