Surnommé « Doualemn » sur TikTok, cet homme de 59 ans,influenceur au casier judiciaire déjà bien rempli, avait été arrêté dimanche dernier à Montpellier. Il avait quitté la France en avion jeudi, mais Alger l’a immédiatement renvoyé, l’ayant « interdit de territoire ».
On ne compte plus les gestes de déloyauté et d’offense que l’Algérie a infligés à la France depuis des décennies. Et tout cela n’a qu’une seule et unique motivation : la guerre d’Algérie. Resituons un peu celle-ci avant d’avancer quelques moyens de riposter à cette grave crise engendrée par le refoulement de Doualemn Sans oublier, bien entendu, le kidnapping de notre collègue Boualem Sansal.
Le contexte
Le 14 juin 1830, l’armée du roi de France, Charles X, débarque en Algérie qui est alors sous le joug ottoman. C’est là que débuta la colonisation française. Rappelons que le 17 septembre 1860, Napoléon III met le pied sur le sol algérien. Il a un grand projet en tête : un royaume arabe qui s’étendrait d’Alger à Bagdad sous la protection de la France. Un royaume où régnerait l’égalité entre indigènes et Européens. Des centaines de milliers de colons vont s’installer petit à petit.
C’ est dès les années 1930 que la contestation de cette colonisation s’intensifie et oblige les autorités françaises à agir. Le 20 septembre 1947, le statut de l’Algérie est voté par le Parlement : l’Algérie y reste définie comme en 1900, un groupe de départements doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière.
Mais la contestation gronde jusqu’au déclenchement de la guerre de libération nationale, le 1ᵉʳ novembre 1954. La puissance coloniale a dû faire face à la résistance du peuple algérien. Et c’est en 1962 que les accords d’Evian vont permettre de sortir de la crise. Il est clair que cette colonisation n’a pas vraiment été bien ressentie par la majorité des autochtones. Il est certain que certains colons se sont très mal conduits. C’est une évidence. Cela confinait à de l’esclavagisme pour certains d’entre eux. C’est aussi incontestable. Nonobstant cet état de fait, qui est inhérent à toute colonisation, il ne faut pas oublier certains bienfaits que l’occupation française a eus pour les populations colonisées. Personne ne peut sérieusement contester que les colons aient apporté qui de l’instruction (écoles), qui une langue commune à des peuples qui vivaient sur le même territoire. De plus, ils ont amené les soins médicaux et permis un mieux-être à la population. De même, des moyens de transports ont été développés (trains, routes) pour permettre plus de mobilité sur le territoire. La colonisation a transformé le territoire et la société algérienne. La France impose des lois et construit des écoles, des hôpitaux. Il est essentiel de préciser que les entreprises de forage de gaz et de pétrole ont majoritairement été construites et mises en route par la France. On continue même d’assurer la maintenance (gratuite) de certaines.
Et puis, en cette fin des années 50, éclate la « bataille d’Alger » (janvier). Le quadrillage par l’armée française du territoire algérien reste peu efficace contre le terrorisme urbain. Le général Massu se voit alors confier la responsabilité de la sécurité. C’est ainsi que débute la « bataille d’Alger », qui va durer neuf mois. Les combats sont rudes et, bien évidemment, des exactions vont être commises (torture). Mais n’est-ce pas aussi inhérent à toute guerre ? Nous n’avons jamais vu de guerre propre.
Ce serait un crime de montrer les beaux côtés de la guerre, même s’il y en avait !” (Henri Barbusse). Le FLN mène désormais la résistance algérienne.
En France, la IVe République, atteinte d’instabilité chronique, ne permet pas à ses dirigeants d’imposer une solution au conflit algérien. Le 13 mai 1958, un comité de salut public présidé par le général Salan est mis en place suite à une gigantesque manifestation à Alger. L’armée gouverne donc l’Algérie, mais sans en avoir les pouvoirs. Totalement impuissant face à la situation, le président Coty appelle de Gaulle au pouvoir. C’en est fini de la IVe. La guerre d’Algérie est le principal problème politique que doit affronter le général de Gaulle à son retour au pouvoir. Le lendemain de son investiture, il se rend à Alger, où il prononce son très ambigu « Je vous ai compris », qui déchaîne l’enthousiasme des foules. Pragmatique, il n’a pas de solutions, mais sera amené, face à la lassitude des Français du continent et à la pression internationale, à accorder l’indépendance à l’Algérie.
En janvier 1960 éclate la semaine des barricades à Alger. Les pro-Algérie français se déchaînent, car ils estiment que de Gaulle se dirige vers l’indépendance. En avril 1961 éclate le putsch d’Alger mené par « un quarteron de généraux en retraite » ,Salan, Challe, Jouhaud et Zeller. Ces derniers ont préparé une opération militaire en métropole, considérant que le président de Gaulle abandonnait l’Algérie française.
1962 va être une année charnière dans l’histoire algérienne. D’abord, l’OAS entre en jeu avec les plasticages de la « nuit bleue » du 17 au 18 janvier 1962 (17 attentats). Le 8 février 1962, c’est le drame du métro Charonne. La date clef de cette période est le 18 mars 1962 : les accords d’Évian. Ils sont signés le 18 mars 1962, entraînant le cessez-le-feu dès le lendemain, avant d’être approuvés massivement par les Français, le 8 avril 1962 (90 % de oui au référendum), puis soumis aux Algériens (1ᵉʳ juillet 1962). La France reconnaît la souveraineté de l’État algérien, mais conserve un statut privilégié, notamment sur le Sahara et ses ressources pétrolières et en conservant sa base militaire de Mers-el-Kébir.
Juillet 1962 : l’Algérie est indépendante. Le 5 juillet 1962, l’indépendance de l’Algérie, votée le 1ᵉʳ juillet par référendum dans le cadre des accords d’Evian et reconnue par la France le 3 juillet, est officiellement proclamée. Ce qui est important et qu’il faut rappeler dans le contexte actuel, c’est qu’en contrepartie, la France s’engage à aider économiquement l’Algérie en continuant de réaliser le plan de Constantine de 1958 (attributions de terres, construction de logements, scolarisation, etc.). Dans les textes, les Européens d’Algérie (« pieds-noirs ») ont trois ans pour choisir entre la nationalité française ou algérienne. Mais, malgré la fin de la guerre, les violences perpétrées par l’OAS ‒ attentats, politique de terre brûlée ‒ séparent définitivement les communautés musulmane et européenne. C’est dans la panique que les Français quittent l’Algérie pour la France (200 000 Européens de mars à mai). Le jour de l’indépendance même, à Oran, deuxième ville d’Algérie, des centaines de pieds-noirs sont tués par la foule. La plaie n’est pas encore tout à fait fermée.
Les harkis (musulmans ayant combattu auprès des Français), laissés pour compte, sont la cible de violentes représailles. Et quand ils reviennent sur le territoire français, ils sont parqués comme des animaux… L’Algérie, fraîchement indépendante, est en proie aux divisions. Le 25 septembre 1962, Ferhat Abbas, affaibli, proclame toutefois la République algérienne démocratique et populaire. Ahmed Ben Bella en est élu le premier président de la République, le 15 septembre 1963.
Dernière date qui aurait pu être catastrophique, le 22 août 1962 : l’attentat du Petit-Clamart fomenté par l’OAS contre le général de Gaulle.
Et maintenant ?
« L’Algérie cherche à humilier la France », prévient le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Si l’Algérie « continue l’escalade », la France devra « riposter », a prévenu le Quai d’Orsay. « L’Algérie se déshonore » est le seul mot qu’a exprimé, à raison à notre sens, le président Macron. Chacun sait qu’il porte pourtant une lourde part de responsabilité dans cette situation. Fidèle à sa doctrine, il n’a cessé d’entretenir le flou, voire le chaud et le froid entre l’Algérie, le Maroc et même la Tunisie. Si on ne devait prendre qu’un exemple, ce serait le Sahara occidental. En octobre dernier, E. Macron, s’exprimant devant le Parlement marocain, a affirmé que « le présent et l’avenir » du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». L’Algérie a peu goûté ce propos…
« Cette position n’est hostile à personne », a pourtant assuré le président français dans une réponse aux critiques de l’Algérie qui soutient les indépendantistes sahraouis du Front Polisario dans ce territoire disputé. Étant donné le contexte, il va de soi que cette déclaration nous semble aussi bien tardive qu’inopportune, notamment quant au timing. Rappelons que cette ex-colonie espagnole, considérée comme un « territoire non autonome » par l’ONU, oppose depuis un demi-siècle le Maroc au Front Polisario.
Il existe, on le sait, des accords entre la France et l’Algérie qui sont à l’entier avantage de cette dernière.
D’abord, les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962 par les représentants du gouvernement français et du GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne), scellent définitivement le chemin de l’Algérie vers l’indépendance. Après que les Français se sont prononcés par référendum pour le principe de l’autodétermination de l’Algérie le 8 janvier 1961, plusieurs sessions de négociations secrètes, menées près de la frontière suisse, aboutissent un an plus tard aux accords d’Évian. En vue de la constitution d’un État algérien, ces accords prévoient un référendum d’autodétermination qui sera précédé d’une période transitoire pendant laquelle les autorités françaises coopéreront avec un exécutif provisoire algérien. Ces accords règlent aussi les relations entre la France et la future Algérie indépendante. C’est la fin de la guerre en quelque sorte. En 1962, dans le cadre de ces accords de paix d’Évian entre la France et l’Algérie, un premier texte instaure une libre circulation entre les deux rives de la Méditerranée pour tout Algérien disposant d’une carte d’identité. Le problème, c’est que les accords, signés le 18 mars 1962, pérennisent le principe de la libre circulation entre les deux rives de la Méditerranée. Mais ni le départ forcé des pieds-noirs ni l’exode massif des Algériens après l’indépendance n’avaient été anticipés. À la lumière de ce que l’on vit depuis quelques décennies, il est incontestable que l’indépendance algérienne a amplifié l’émigration vers la France.
C’est à cause de cet appel d’air sans précédent qu’en 1968 un nouvel accord est signé entre Paris et Alger. L’accord entre Paris et Alger est signé le 27 décembre 1968. Il est négocié par Abdelaziz Bouteflika, à l’époque ministre des Affaires étrangères et futur président algérien (1999-2019), et accorde un statut particulier unique pour les Algériens, un régime dérogatoire au droit commun français et fondé sur une somme conséquente d’avantages (santé par ex.).
Cet accord du 27 décembre 1968 est « relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ». Cet accord (complété par un protocole) organise l’entrée, le séjour et l’emploi des Algériens en France selon des règles dérogatoires au droit commun. Dans la majorité des cas, les Algériens sont favorisés par rapport aux autres étrangers (notamment en matière de regroupement familial) ; sur d’autres très minoritaires, ils le sont moins (notamment pour les étudiants). Comme l’a relevé lucidement E. Philippe en mars 2023, ce texte « détermine complètement le droit applicable à l’entrée et au séjour des ressortissants algériens, avec des stipulations qui sont beaucoup plus favorables que le droit commun. » C’est une particularité très nette. « Aucun ressortissant d’un autre État ne bénéficie de tels avantages. » G. Attal, le 10 janvier dernier, a estimé à bon droit que ces accords de 1968 constituaient « une filière d’immigration à part entière ».
À noter que cet accord de 1968 a été amendé à trois reprises pour un peu plus de suivi (1985, 1994, 2001). On sait que c’est lui qui a facilité également le regroupement familial (conjoint, enfants, ascendants), au bout de douze mois de présence en France. Rappelons toutefois que ce regroupement a été élargi sous VGE (Chirac étant à Matignon). Comme le note notre collègue P. Vermeren sur la base de cet accord, même renouvelé, « vous pouvez faire venir en France votre conjoint, vos enfants, vos ascendants, voire même vos enfants adoptés (kafala), c’est donc très libéral… » (France Culture, le 23 décembre 2023).
On pourrait multiplier par dix les exemples d’avantages concédés aux Algériens. Ainsi, il faut savoir qu’une carte de résidence de dix ans est acquise de plein droit au bout d’un an de mariage avec un Français ou une Française (la disposition ne concerne pas les autres étrangers). Également, un Algérien peut s’inscrire au registre du commerce ou à un ordre professionnel afin d’obtenir un certificat de résidence, sans qu’il ait à justifier de la viabilité de son affaire.
« L’Algérie, c’était un beau pays », chantait Serge Lama. Si les décors naturels le restent, l’administration de ce pays confine de plus en plus, qu’on le veuille ou non, à une dictature militaire. Il n’est qu’à prendre un seul exemple : Boualem Sansal. Emprisonné depuis 2 mois avec comme seul crime d’avoir osé penser différemment de la junte au pouvoir. Et puis bien entendu l’épisode de cet influenceur délinquant récidiviste, dit Doualem, que l’on envoie chez lui et que les autorités algériennes renvoient au mépris de toutes les règles diplomatiques.
Les chiffres ne sont pas toujours très clairs, mais on sait que la France consacre environ 200 millions d’euros par an à ce pays. Comme le souligne Sarah Knafo, on a divorcé en 1962, mais on paye toujours la pension… On est toujours dans la repentance et cela devient insupportable.
Alors que faire ? Les ministres français se sont payés de mots. Or, chez ces gens-là, pour être respecté, il faut riposter d’emblée. Sinon, on est déconsidéré, et c’est un euphémisme. Il aurait dû y avoir une suspension sine die des relations diplomatiques avec rappel de notre ambassadeur à Paris (l’Algérie a rappelé le sien voici quelque temps déjà). Il faut procéder à la suspension de tous les visas en cours et de tous les titres diplomatiques et de séjour.
M. Darmanin souhaite, avec raison, « supprimer » l’absence de visa dont bénéficie la nomenklatura. Et qui, disons-le, lui permet d’être chez elle en France ainsi que chez leurs proches et de venir commercer à leur guise.
Frapper aussi là où ça fait mal : gel de tous les avoirs fiscaux des caciques algériens, gel de leurs biens également. Faire également le point sur la dette des Algériens qui viennent se faire soigner gratuitement en France. Puis faire payer ce qui est dû. Par exemple, Bouteflika est mort avec un arriéré de centaines de milliers d’euros. Pourquoi le contribuable français doit-il payer pour ces gens-là ? Repentance encore ? Elle dure depuis 1962. Dès lors, comme Spinoza, nous pensons que “le repentir est une seconde faute”.
Frapper où ça fait mal, disons-nous. En sus de réduire le rôle du poste Expansion économique (PEE, ex-cons commerce extérieur) , il faudrait aussi suspendre les échanges culturels et éducatifs… Actionner les leviers dans tous les domaines. 200.000.000 visas accordés en 2024… 40 % en plus. L’ambassade d’Algérie, sciemment, ne filtre rien. Et, comme nous l’a dit un ex-conseiller du Quai d’Orsay, la plupart du temps, ce n’est pas la crème du peuple algérien qui vient chez nous.
Comme nous l’a confié un ami, ancien officier du renseignement intérieur, en matière de sécurité, on sait qu’un grand nombre de terroristes passent encore par l’Algérie. Il faut rapatrier nos officiers de liaison DGSI et autres diplomates (postes économiques, conseillers culturels, etc.) en poste à Alger, par exemple. Cela afin de couper la coopération policière et terroriste et d’arriver au moins à un moratoire. Comme il nous le confie encore, il conviendrait aussi de lister tous les échanges qui se font avec l’Algérie et de faire le tri. Ainsi, suspendre les stages d’étudiants en médecine et regarder qui fait quoi dans nos universités, grandes écoles… Selon lui, l’Agence française de développement, créée en 1941, doit être revue et corrigée. Les temps ont changé !
L’Algérie est un problème de la quatrième dimension qui ne peut être résolu que par un personnage de la quatrième dimension. (Edgard Faure)
Raphaël Piastra, maître de conférences en droit public des universités