Avec son quatrième roman, Philippe Torreton, acteur et homme de lettres, nous offre une histoire captivante et multiple, explorant les thèmes du mensonge, de l’identité et de l’hypocrisie dans le monde du spectacle et de la société en général.
Philippe Torreton plus que comédien, est un théâtreux1, un saltimbanque, un amoureux des mots. Avec son quatrième roman Un coeur outragé2, il nous offre une histoire à la grille de lecture multiple, un peu comme ces tailleurs de pierre qui, selon la façon dont ils sculptaient la matière entendaient nous indiquer le degré de foi qui les animait. Torreton nous raconte l’histoire d’un homme qui devient un « autre homme ». Inspiré d’un Romain Gary passé dans l’art de s’inventer des vies, ce roman, nous raconte un personnage qui se débat avec le « triple JE », une sorte de triple mue si on préfère. Voulant devenir comédien, on lui suggère de trouver un autre nom, ce qu’il fait en s’appelant Albert Stéfan délaissant ainsi son patronyme d’état-civil, Jean Damiens : première mue. Mais Jean Damiens après un début prometteur tombe dans les oubliettes des casting. Alors il décide de se maquiller le visage de telle manière qu’il devient méconnaissable même pour ses proches. Pascal Pelisson vient de naître : deuxième mue. Je laisse le lecteur découvrir les aventures de ces « trois » personnages pour lesquels on se prend vite d’une affection … en triple exemplaires.
Molière au secours, ton Tartuffe ne cesse de faire des petits !
Torreton nous entraîne tout au long de ces presque 200 pages dans un monde que nous croyons éloigné de nos préoccupations, entendez le monde du « showbiz » On pourrait facilement penser — ça ne mange pas de pain — que le comédien règle ses comptes avec « la-grande-famille-du-cinéma » En fait cet univers du spectacle n’est qu’un prétexte. N’empêche qu’il caviarde grave, pourrait-on dire. Le cinéma c’est sa vie. Il serait couturier qu’il nous entraînerait dans l’univers impitoyable des petites mains. Qui dans son propre milieu professionnel pourrait faire l’économie d’un monde sans tartuferie ? A n’en pas douter, au-delà des personnages qu’il met en scène, c’est notre monde hypocrite et lâche qu’il interpelle par roman interposé3. Il nous parle de nos fantasmes, de nos désirs et de notre mal-être ; bref de ce que nous sommes au quotidien et que nous nous cachons pour mieux survivre.
La gloire n’est rien d’autre qu’une sorte d’onanisme.
La seconde grille de lecture touche — excusez-moi du peu — à ce que j’appelle la philosophie de l’égotisme. Plus nous gravitons les degrés qui nous mènent au pouvoir, et quel que soit le métier que nous exerçons, plus nous devenons de véritables ego sur pattes. C’est comme ça. C’est humain. Philippe Torreton observe ses contemporains et décrit à l’envie combien ils aiment se glorifier et s’auto-caresser. L’auteur d’Un coeur outragé touche au sublime en montrant un homme qui n’existe pas devenir une gloire qui risque de le dévorer. La gloire est mortifère tant il est vrai qu’on n’échappe ni à son identité ni à son destin.
Sans vraiment le vouloir Philippe Torreton est un lanceur d’alerte.
Un roman jubilatoire
Enfin, il y a le livre en lui-même. Son écriture est légère, rafraîchissante, drôle. On écrit comme on vit et Torreton est un bon vivant. Tout au long du livre, il joue avec les mots, son insolence est rabelaisienne. On le lit avec bonheur, parfois un sourire aux lèvres, parfois un plissement de front tant il interpelle mais aussi avec jubilation tant il manie le verbe comme on voudrait que beaucoup qui se disent écrivains le maniassent.
Michel Dray
- Je reprend ici le mot d’un de mes amis Richard Martin, fondateur du théâtre du Toursky à Marseille, hélas parti pour un théâtre meilleur. ↩
- Un Coeur outragé chez Calman-Lévy, 2024, 190 p. ↩
- Philippe Torreton est connu pour ses prises de positions taillées à la serpe comme l’est son visage. ↩