La profonde crise de confiance des Français envers la politique n’est pas une fatalite. Et, il n’est pas dans les gènes du Parlement de répondre que « la démocratie représentative ne peut pas mieux faire » !
Pour contribuer à sortir de cette crise et rester fidèle à son irremplaçable mission, le Parlement doit mettre en œuvre la démocratie représentative qui va avec l’ère numérique. Le coeur de la mission démocratique du Parlement, c’est d’assurer le plus large débat contradictoire possible, pour préparer et éclairer les décisions législatives dont il a la lourde responsabilité.
Jusqu’alors, ce débat contradictoire était organisé par le Parlement en son sein : en commission ou en séance publique.
Le numérique permet aujourd’hui au Parlement d’organiser, en ligne, un débat contradictoire ouvert à tous les citoyens, pour « co-préparer la loi » : le « débat législatif citoyen ».
Il ne s’agit pas d’empiéter sur le pouvoir de voter la loi, pouvoir de décision que la Véme République réserve au Parlement – sauf les exceptions du référendum et des ordonnances-.
Il s’agit d’augmenter la légitimité et l’efficacité du débat contradictoire préparant la loi, en donnant aux citoyens la possibilité de rendre publiques, et « discutables » directement avec les législateurs, leurs analyses et leurs propositions.
À l’ère du numérique généralisé, il est temps de mettre la méthode collaborative et l’intelligence collective au service du « débat contradictoire » qui prépare la loi.
Comme dans tout débat contradictoire, ce qui fait la force d’un argument n’est pas le nombre de fois où il est exprimé ou répété; mais c’est la pertinence de cet argument. On ne connaît pas de progrès sans idée originale, disruptive, donc initialement singulière !
À l’issue de ce « débat législatif citoyen », les parlementaires gardent leur pleine responsabilité de juger de la pertinence des arguments échangés, comme ils le font aussi face aux arguments exprimés par les expertises gouvernementales, le débat médiatique ou en réseaux, et les sondages d’opinion.
C’est le sens de la proposition de loi organique que j’avais déposée, sous le titre de « consultation publique en ligne », avec le soutien d’une cinquantaine de députés issus de plusieurs groupes politiques, en avril 2016, et re-déposée – après un travail… forcément « collaboratif » ! – en octobre 2016. 1
Le choix est simple : à l’heure du numérique, le débat contradictoire parlementaire classique est soit court-circuité par la concurrence des débats sur les réseaux, soit enrichi et relégitimé par l’instauration d’un débat en ligne organisé par le Parlement lui-même.
L’Assemblée nationale et le Sénat ont, ces dernières années, ouvert la porte à des consultations en ligne ponctuelles ( sur certaines études d’impact, ou sur un aspect d’un probleme …).
Le Parlement doit maintenant aller plus loin en actualisant notre logiciel démocratique par l’instauration de ce « débat législatif citoyen », ouvert à tous, avant le vote des projets (PJL) et des propositions de loi (PPL).
Les raisons d’instaurer ce débat législatif citoyen sont multiples, mais convergent vers un objectif essentiel: redonner confiance dans un processus ouvert, collaboratif et transparent d’élaboration de la loi et renforcer la légitimité de la règle commune ainsi choisie.
La manière d’instaurer ce débat législatif citoyen doit concilier, d’une part, le respect de la logique propre aux décisions législatives et une articulation efficace du débat avec la procédure parlementaire, et concilier, d’autre part, la nécessité de rendre compte des suites données aux contributions et le maintien à un niveau supportable de la charge de travail du Parlement.
A) INSTAURER UN « DÉBAT LÉGISLATIF CITOYEN », POUR ACTUALISER NOTRE LOGICIEL DEMOCRATIQUE.
Actualiser notre logiciel démocratique n’est plus une option !
A-1) EN RÉSUMÉ, l’instauration du « débat législatif citoyen » répond à de multiples objectifs :
- la demande citoyenne d’une « démocratie continue »;(1)
- le besoin d’un débat public contradictoire pour faire émerger un projet commun;(2)
- la nécessité d’un débat organisé selon la logique imposée par la mission spécifique confiée au Parlement;(3)
- la réduction de la distance entre les parlementaires et leurs électeurs au moment où il est annoncé la diminution du nombre de parlementaires et l’introduction de la proportionnelle;(4)
- la valorisation du travail collaboratif aussi dans la sphère politique;(5)
- le renforcement de la transparence de la vie politique française;(6)
- éviter au Parlement de se faire « dicter » de l’extérieur les évolutions attendues de la démocratie représentative.(7)
A-2) PLUS EN DÉTAIL, le débat législatif citoyen est un outil entre les mains du Parlement pour actualiser le logiciel démocratique :
1) La demande citoyenne d’une « démocratie continue » exige de pouvoir s’exprimer, de « faire entendre sa voix », et de pouvoir participer a la prise des décisions publiques. Pas seulement aux échéances électorales, ni même ponctuellement lors d’un référendum.
Le Parlement ne peut donner le sentiment qu’il n’y aurait « rien à attendre de plus » de la démocratie représentative pour répondre à cette demande participative des Français.
2) Le débat public contradictoire – fondement de toute démocratie- est le meilleur outil pour faire émerger un projet commun dont notre pays a besoin, et pour le légitimer.
Si le Parlement – qui représente toutes les sensibilités politiques – ne cherche pas à renforcer notre capacité nationale à penser l’avenir collectif, à construire le projet commun, qui s’en chargera ?
3) Les réseaux sociaux et autres plateformes (associatives, médiatiques, administratives ou commerciales ) accueillent déjà des débats sur les questions politiques.
« Débats » qui peuvent ne plus mériter ce nom, quand les filtres et bulles enferment entre soi…
Mais surtout, ces plateformes organisent le débat dans une autre logique que celle de la décision publique.
Pour le Parlement, le choix est devenu clair :
- ou bien il continue de laisser le débat préparatoire aux lois être organisé exclusivement par les réseaux sociaux et autres sites de discussion, selon leurs propres logiques ( logiques ignorant très souvent, ou s’opposant dans certains cas, à la logique parlementaire );
- ou bien le Parlement organise un débat citoyen spécifique, dont les objectifs et les modalités sont efficacement articulés avec la démocratie représentative et la renforcent.
Ne pas organiser son site de débat contradictoire, c’est la double peine pour le Parlement !
Il banalise la discussion de la loi : elle ne mérite même pas un site différent !
Et il est obligé de mobiliser plus de moyens – pour être présent sur un maximum de réseaux- que s’il avait son seul site à gérer et à transformer en référence pour les autres sites.
L’intérêt de ce débat législatif citoyen est d’offrir en permanence un dialogue possible entre le législateur et le citoyen.
Et ce dialogue n’est pas un épiphénomène, un élément ou une étape procédurale externalisables, c’est le coeur de la démarche démocratique.
4) Les Francais se plaignent de la distance avec leurs parlementaires.
La réforme institutionnelle qui avait été annoncée par le président de la République prévoyait la réduction du nombre de parlementaires et l’élection à la proportionnelle d’une partie des députés. Avec des électeurs plus nombreux ou plus éloignés, cette réforme réduirait d’autant les possibilités de « dialogue de proximité » entre les parlementaires et leurs électeurs.
Ou bien le Parlement accepte cette réduction de sa mission d’intermédiation,
ou bien le Parlement invente de nouvelles formes d’intermédiation.
Il est clair que les parlementaires innovent déjà individuellement au niveau de leur circonscription pour créer cette nouvelle intermédiation.
Pourquoi ne pas innover aussi au niveau national, en jouant collectif ?
5) Au-delà de l’actualité politique française, la société numérique remet structurellement en cause toutes les médiations et généralise le travail collaboratif : il n’y a aucune raison pour que la sphère politique n’évolue pas comme tout le reste de la société.
Les parlementaires ne peuvent pas, à la fois, être les « représentants » d’une société réorganisée sur le mode collaboratif, et refuser le mode collaboratif pour réguler cette société !
6) La République a réussi depuis une trentaine d’années à renforcer la transparence de la vie politique française.
Pour regagner la confiance des citoyens, il faut en permanence améliorer cette transparence en luttant contre les infox, le complotisme, le pouvoir de l’argent…
L’instauration du débat législatif citoyen permet de rendre obligatoire la mise en débat public contradictoire de toutes les contributions qui circulent actuellement de maniere informelle ou cachée : propositions d’amendements, argumentaires, études… mis en avant par les représentants d’intérêts.
7) Qui mieux que le Parlement inventera la démocratie représentative qui va avec la société numérique ?
En prenant l’initiative d’instaurer pour chaque chambre un débat législatif citoyen, le Parlement marquerait un point en evitant de se faire « dicter » de l’exterieur les evolutions attendues de la democratie representative.
Il ne faudrait pas laisser croire que « l’augmentation » de la démocratie représentative est une chose trop sérieuse pour être confiée au Parlement !!!
B) COMMENT INSTAURER LE « DÉBAT LÉGISLATIF CITOYEN » ?
B-1) EN RÉSUMÉ, les propositions de loi de 2016 ( et les amendements déposés dans le même sens en 2019, lors de l’examen du nouveau Règlement de l’Assemblée nationale) proposent d’organiser le débat législatif citoyen de manière à atteindre 7 objectifs principaux :
- le débat législatif citoyen complètera les actuelles possibilités d’expression en ligne ( réseaux sociaux….), en créant, sous la responsabilité respective de l’AN et du Sénat, un débat contradictoire conforme à la mission spécifique de chacune des chambres;(1)
- selon qu’il sera « obligatoire » ou « à la demande », le débat permettra de s’exprimer sur (presque) tous les textes inscrits à l’ordre du jour; ou seulement sur certains textes, choisis, par exemple, par la Conférence des présidents de chaque chambre;(2)
- le débat législatif citoyen respectera le pouvoir de décision du Parlement;(3)
- le débat législatif citoyen sera efficace parce qu’étroitement articulé avec la procédure parlementaire;(4)
- en rendant formellement compte des suites données aux contributions, le débat législatif citoyen sera crédible pour l’opinion publique;(5)
- la légitimité de la décision parlementaire, co-préparée par ce débat contradictoire ouvert à tous, en sera renforcée;(6)
- le débat législatif citoyen n’alourdira pas le travail de fond des parlementaires, mais necessitera seulement de diversifier et de valoriser l’utilisation du travail déjà fait aujourd’hui. Ce débat peut, au contraire, alléger la charge des parlementaires grâce à la mutualisation d’une partie de leur travail.(7)
B-2) Revenons, PLUS EN DÉTAIL, sur chacun de 7 objectifs:
1) Le débat législatif citoyen en ligne complétera les possibilités actuelles d’expression en ligne en créant « le » débat contradictoire conforme à la mission spécifique de l’A.N. et du Sénat.
Le débat public en ligne sur les lois a, fort heureusement, déjà lieu sur les réseaux sociaux et autres plateformes ( sites de médias, d’associations, de partis politiques, voire d’administrations..)
Très légitimement, ces outils d’expression sont organisés selon leur propre logique, qui n’est pas celle de l’élaboration de la loi par l’A.N. ou le Sénat.
La question n’est donc pas de savoir si on veut favoriser l’expression de nos concitoyens sur les questions les concernant; mais de savoir si la collecte, le traitement et la réponse à cette expression seront AUSSI possibles selon des objectifs et des modalités conformes à la mission spécifique du Parlement !
L’objectif du débat en ligne organisé par l’A.N. ou le Sénat est, en effet, de leur permettre, selon leurs propres exigences démocratiques :
- de disposer directement de la totalité des différents avis et expertises exprimés par les citoyens;
- de disposer d’avis et d’expertises exprimés dans la plus grande transparence, puisque publiquement et contradictoirement;
- ces avis et expertises sont exprimés au moment, et selon les formes, qui permettent le mieux d’enrichir le travail parlementaire tout au long de la procédure législative, avant la décision parlementaire finale.
La consultation en ligne ne doit pas être perçue comme limitée à un débat bilatéral entre l’A.N. ou le Sénat et le reste du pays, mais doit être conçue d’abord comme le débat entre tous ceux qui veulent s’exprimer sur les futures lois, débat dans lequel :
- une bonne partie des échanges se fera – très souvent sur la base du projet gouvernemental – entre les citoyens participants, comme sur les réseaux sociaux et les plateformes;
- en cours de débat, les parlementaires pourront, s’ils le souhaitent, apporter individuellement leurs points de vue;
- au cours du débat, et au plus tard en fin de consultation, l’A.N. ou le Sénat devront apporter en ligne des réponses collectives sur la suite donnée aux contributions reçues; mais ces réponses seront par nature celles déjà exprimées dans la procédure actuelle par les rapporteurs, par les parlementaires défendant des amendements et par les décisions votées en commissions puis en séance publique.
2) L’instauration du débat législatif citoyen peut être réalisée de 2 manières.
2-1) Soit instaurer un débat « généralisé », sur tous les textes de loi.
Même si le Parlement était tenté, par exemple, d’exclure de la concertation les projets de loi de finances ou les projets de loi de financement de la Sécurité sociale, rien ne pourra empêcher que, sur les réseaux sociaux et les plateformes, le débat en ligne ait lieu sur tous les textes y compris ceux-là.
Le Parlement serait suspecté de vouloir cacher des choses et laisserait aux réseaux sociaux le monopole de la concertation sur ces textes ..
On a vu, avec les Gilets Jaunes, comment des taxes sur le carburant peuvent déclencher une mobilisation sans précédent de l’opinion ! Et on a vu, ensuite, que l’un des principaux reproches fait au Grand Débat a été l’exclusion de certaines questions…
Il apparait donc préférable que le débat législatif citoyen porte sur toutes les lois soumises au vote du Parlement.
Tous les projets de loi (PJL), sauf bien évidemment ceux relatifs à l’état d’urgence et à la déclaration de guerre!
En ce qui concerne les très nombreuses propositions de lois (PPL) déposées par les parlementaires, seules les PPL inscrites à l’ordre du jour feront l’objet d’un débat législatif citoyen.
Ceci afin d’éviter d’aggraver l’inflation de PPL et le risque d’instrumentalisation de la procédure de débat.
Mais cette consultation est d’autant plus nécessaire que les PPL – sauf rares exceptions – n’ont pas d’étude d’impact et naturellement pas d’avis du Conseil d’Etat.
La consultation en ligne peut compenser en partie ce défaut d’expertise des PPL.
2-2) Soit instaurer un débat législatif citoyen « à la demande ».
Il revient, par exemple, au président de la commission saisie au fond, de demander ce débat, que décidera la « Conférence des présidents ».
L’avantage de ce débat « à la demande » est de permettre une expérimentation progressive de cette procédure novatrice.
Son inconvénient est décrit dans les motifs en faveur du débat généralisé : l’opinion publique demande de pouvoir s’exprimer sur tous les sujets traités par le Parlement….
Une lourde pression pèsera sur les décideurs parlementaires, si l’opinion publique a le sentiment que l’Assemblée ou le Sénat ne veulent pas débattre d’un texte avec les citoyens.
Avec le risque d’ouvrir une polémique pour chaque texte examine sans consultation.
Le droit à s’exprimer, le droit au débat, peut-il être à géométrie variable?
On peut aussi imaginer, pour instaurer progressivement le débat législatif citoyen, une solution combinant au départ une phase d’expérimentation du débat « à la demande », et un calendrier pour passer à la seconde phase, celle du débat « généralisé », après évaluation des résultats de l’expérimentation ?
On peut aussi imaginer, dans la phase d’expérimentation, que les textes bénéficiant de ce débat contradictoire élargi fassent l’objet d’une procédure « allégée » : par exemple une seule lecture devant chaque chambre, sauf exception ?
3) Le débat législatif citoyen respectera les pouvoirs du Parlement.
Certains peuvent craindre que le Parlement ne soit « contraint » par les avis massivement exprimés au cours du débat en ligne.
La qualification de « débat en ligne » est claire : il ne s’agit pas d’empiéter sur le pouvoir législatif de « décision » que la Véme République réserve au Parlement – sauf les exceptions du référendum et des ordonnances.
Il s’agit de donner aux citoyens la possibilité de rendre publics et contradictoires ce qui restera clairement leurs « avis », pour participer, sous forme collaborative, au « débat contradictoire » qui prépare tout vote d’une loi en démocratie.
La quantification des opinions existe largement ailleurs, mais ce n’est pas le but du débat organisé par le Parlement. Comme dans tout débat contradictoire, ce qui fait la force d’un argument n’est pas le nombre de fois où il est exprimé mais c’est sa pertinence.
Les parlementaires gardent leur pleine responsabilité de juger de la pertinence d’un argument émis dans le débat législatif citoyen, pour décider de leur vote, comme ils le font face aux expertises gouvernementales, aux réseaux, au débat médiatique ou aux sondages d’opinion.
Faut-il craindre un débat risquant de déborder de l’objet précis du texte de loi ?
Oui, mais jamais il n’a été aussi clair que ce ne sont plus « les autorités » qui fixent l’ordre du jour prioritaire du débat politique….
Si l’opinion veut un débat plus large, ce débat aura lieu !
L’alternative est : soit ce débat « élargi » autour de la loi a lieu aussi sur le site de l’A.N. ou du Sénat – et cela permet d’expliquer pourquoi et comment la réponse sera apportée dans un autre cadre -, soit il a lieu seulement sur les autres sites et les réseaux….
Si le débat élargi est évoqué dans les sites parlementaires, cela permet d’expliquer pourquoi et comment la réponse sera – ou a été – apportée dans un autre cadre.
En attendant, on « modèrera » mieux, on coupera plus rapidement court aux infox, et on soumettra plus systématiquement toute expression au crible de la contradiction, s’il y a ce débat « de renvoi » organisé dans le cadre parlementaire.
4) Un débat contradictoire efficace, parce que bien articulé avec la logique de la procédure parlementaire.
L’information donnée à tous les citoyens contributeurs devra très clairement rappeler le statut de leurs contributions : ce sont des « avis » publiquement versés au débat contradictoire préparant l’examen et le vote de la loi par les parlementaires.
Pour pouvoir donc être pris en compte par les parlementaires, ces avis seront soumis aux contraintes du calendrier d’amendement : les contributeurs devront savoir que les avis exprimés avant la limite du dépôt des amendements en commission sont susceptibles d’être utilisés pour un amendement si un le décide; mais les avis versés après cette date-limite ne peuvent y prétendre. Même chose pour le temps de la séance publique. Avec des délais plus larges pour les présidents, rapporteurs et pour le gouvernement.
Le déroulé de la consultation pourrait être, pour la 1ère lecture, et sous réserve de l’adaptation pour le nouveau cas de délibération en commission :
- une 1ère période de débat législatif citoyen est ouverte entre le dépôt du PJL, ou l’inscription à l’ordre du jour de la PPL, et 5 jours avant l’examen en séance publique, de manière à :
– laisser aux contributeurs le temps de s’exprimer avant, au long et après l’examen en commission. Le texte venant en séance publique peut en effet résulter largement du travail des commissions et des amendements nouveaux seront en discussion.
– laisser aux parlementaires 2 jours (5 jours moins le délai de 3 jours pour le dépôt d’amendements) pour disposer d’une synthèse des contributions et déposer les ultimes amendements;
- un deuxième débat est ouvert tout au long du débat en séance publique :
Il serait difficile de défendre l’idée que la consultation s’arrête avant la séance publique, à mi-chemin de l’examen du texte de loi.
Il faudra clairement informer les contributeurs qu’aucun amendement ( sauf les exceptions….) ne peut plus être déposé mais que leurs avis continuent de constituer une information éventuelle pour la décision de vote des députés ou sénateurs.
5) Le Parlement doit « rendre compte » des suites données aux contributions pour que le débat législatif citoyen acquière sa pleine crédibilité auprès de l’opinion publique.
C’est fondamental : nos concitoyens valideront ce débat – et y participeront – s’ils ont la certitude que leur contribution est reçue, examinée et retenue – ou rejetée – apres un examen methodique, objectif et transparent dont ils auront publiquement le contenu.
5-1) Le Parlement apporte en termes d’organisation une crédibilité au débat législatif citoyen :
- crédibilité pour recueillir toutes les contributions. L’A.N. ou le Sénat recueillent déja de multiples opinions par des canaux très hétérogènes. Le débat législatif citoyen simplifiera le travail de l’A.N. ou du Sénat en permettant d’orienter toutes ces contributions vers le site.
Ce qui donnera aussi plus de transparence aux sollicitations formulées par la société civile, et notamment la légitime « représentation d’intérêts ». - crédibilité pour organiser rationnellement l’examen des contributions au débat, comme le Parlement le fait en permanence en interne pour l’examen des lois.
Comme le fait aussi, par ex., la Commission nationale du débat public. - crédibilité pour modérer le débat : l’A.N. ou le Sénat sont parfaitement dans leur rôle républicain en donnant l’exemple d’organisation du débat démocratique en ligne; sinon ils laissent sans alternative, et sans « modele », les autres débats insatisfaisants.
5-2) Les réponses apportées par les autres citoyens contributeurs et par le Gouvernement donnent une partie des réponses attendues.
- par définition du « débat en ligne », les arguments exprimés par les internautes seront tous soumis à la critique, ouverte en ligne, des autres internautes : donc une très large partie des réponses susceptibles d’être apportées viendra du croisement contradictoire des arguments, sans que l’A.N. ou le Sénat n’interviennent au départ;
- le Gouvernement sera le premier responsable des réponses à apporter sur son projet de loi, réponses qu’il devrait de toute façon donner aux parlementaires partageant ou reprenant les arguments en ligne.
Le Gouvernement aura intérêt à ce que le débat en ligne prenne en compte le plus possible ses positions : il le nourrira donc…
5-3) L’A.N. ou le Sénat apporteront l’autre partie des réponses en expliquant la suite qu’ils donnent aux contributions :
- au plus tard en fin de consultation, les réponses engageant l’A.N. ou le Sénat; et s’ajoutant aux réponses des internautes ( y compris des parlementaires s’étant exprimés à titre individuel ) et du Gouvernement :
- la logique de la consultation étant d’éclairer la future décision, la réponse de l’A.N. ou du Sénat comportera d’abord des « avis »( rapports, compte-rendu de commission .) puis, dans un dernier temps, les « décisions » ( texte et amendements votés en commission puis en séance publique);
- au moins en fin de consultation: l’A.N. ou le Sénat devront mettre à disposition toutes les données brutes de la consultation.
6) La légitimité de la décision parlementaire – préparée par ce débat contradictoire ouvert à tous – en sera renforcée par :
- le fait que tout ceux qui le voulaient aient pu s’exprimer directement aupres des parlementaires;
- la discussion contradictoire des arguments en ligne permet de montrer que « tout est sur la table »… et permet à chacun de prendre conscience qu’il y a d’autres arguments à prendre en compte que ceux qu’on exprime soi-même !
- l’accès de tous à la possibilité d’informer les parlementaires permet de faire remonter des expertises beaucoup plus larges que celles des institutions expertes au service du Gouvernement. Cela peut donc rééquilibrer en partie la capacité d’expertise du Parlement face à celle, très puissante, du Gouvernement;
- les études d’impact obligatoires pour les projets de loi étant réalisées par les auteurs du projet, le risque de rechercher prioritairement a justifier le projet de loi sera équilibré par le débat qui aura lieu aussi sur cette étude d’impact
- pour les PPL en particulier, le débat organise une expertise qui fait défaut par le manque d’étude d’impact et par la difficulté d’accès des parlementaires-auteurs de PPL aux experts gouvernementaux;
- une plus grande transparence dans la légitime dialogue avec les « représentants d’intérêts » : il pourrait être rendu obligatoire qu’ils déposent ( faisons un rêve : toutes !) leurs contributions sur le site du débat;
- les parlementaires pourraient aussi se fixer individuellement la règle selon laquelle ils versent au débat toute info reçue par eux (ce qui leur permet aussi de disposer pour leur propre réponse des arguments d’appréciation et de réponse exprimés par les autres contributeurs ).
Pour employer une image architecturale, le débat législatif citoyen permet une « co-construction » de la loi au niveau de sa préparation, mais il continue de réserver à l’A.N. et au Sénat la décision du « permis de construire » !
La consultation crée ainsi une légitimité « augmentée » pour la décision législative !
Mais il ne faut pas perdre de vue que la crédibilité – et donc ce renforcement de légitimité – de la consultation se jouera sur un point essentiel : rendre compte des résultats de la consultation et des suites données.
7) Le débat législatif citoyen n’alourdira pas – il peut même l’alléger ! – le travail de fond des parlementaires, mais nécessitera seulement de diversifier et de valoriser l’utilisation du travail déjà fait aujourd’hui.
Sur les contributions les plus soutenues, la réponse propre de l’A.N. ou du Sénat peut être apportée – sans travail de fond supplémentaire – grâce à ce qui est déjà exprimé dans la procédure actuelle.
En effet, le rapporteur doit déjà exprimer, dans la procédure actuelle, son point de vue sur beaucoup de points : sur la discussion générale du texte, sur les arguments avancés dans la discussion avec les membres de la commission, et sur chaque point particulier évoqué par un amendement.
La mise en ligne de ces avis déjà obligatoirement formulés par le rapporteur, la mise en ligne des avis des membres de la commission et de la commission elle-même, et la mise en ligne de la discussion des amendements apporteront, sans travail de fond supplémentaire, des réponses à la quasi-totalité des arguments exprimés grâce à la consultation.
Que se passera-t-il en cas de propositions tellement originales qu’elles ne peuvent pas avoir immédiatement de réponses ? Il faut d’abord s’en réjouir, puisque c’est aussi un des objectifs de la consultation de bénéficier d’une nouvelle expertise créatrice ! Ensuite, on peut se rassurer : les idées intéressantes vraiment originales seront rapidement reprises par des parlementaires ou par le gouvernement et feront donc l’objet d’une réponse au moins lors du débat en séance!
Cette consultation n’imposera donc pas de « volume » de travail de fond supplémentaire aux parlementaires; mais elle demandera une manière un peu plus « collaborative » de travailler et une diversification de l’utilisation du travail actuel grâce à quelques moyens administratifs supplémentaires ( mise en ligne, modération du site, traitement des contributions, suivi des réponses apportées par le Parlement…).
La partie traitement pourrait, au départ, être externalisée, comme le Gouvernement l’a fait pour le Grand Débat en 2019.
Non seulement le débat législatif citoyen n’alourdira pas la charge de travail du Parlement, mais il peut être une opportunité pour alléger cette charge. Sur plusieurs plans.
D’abord, le Parlement ne peut laisser sans réponse les interpellations émises sur l’internet : le travail serait encore plus lourd s’il se dispersait sur plusieurs plateformes, au lieu de d’utiliser le travail actuel sur sa plateforme de débat législatif citoyen et en faire la référence.
Ensuite, on peut prévoir de créer un lien entre réalisation d’une consultation et un allègement de procédure :
- pour les PJL: passer de 2 lectures – dans le cadre de l’actuelle démocratie représentative-, à 1 seule lecture grâce à l’enrichissement du débat contradictoire citoyen qui prépare le vote parlementaire. Avec des dérogations…
- pour les PPL: on pourrait donner à chaque groupe un contingent annuel de débats organisables sur les PPL sélectionnées par le groupe et qui seraient ainsi testées avant leur éventuelle inscription à l’ordre du jour.
On pourrait aussi donner à chaque parlementaire la possibilité de déclencher un débat ( par an ? par mandat ?) sur la PPL de son choix.
Avec, s’il y a eu consultation, une éventuelle priorité pour l’inscription à l’ordre du jour ?
Enfin, autre allègement du travail de chaque parlementaire : le fait de bénéficier de l’appréciation critique de tous les contributeurs au débat pour définir la réponse que le parlementaire veut faire aux multiples interventions reçues lors de la préparation des lois. Le débat législatif citoyen offre ainsi une mutualisation des expertises qui dépasse et complète celle procurée par les groupes politiques ou les commissions
L’examen des motivations et des modalités d’instauration du débat législatif citoyen en ligne montre que ce débat est probablement la meilleure solution pour faire avancer la co-construction de la loi sans remettre en cause le pouvoir de décision du Parlement!
En offrant en permanence un dialogue possible entre le législateur et le citoyen, le débat législatif citoyen permettra l’émergence à la fois d’un citoyen et d’un Parlement « augmentés ».
Patrice Martin-Lalande
Membre honoraire du Parlement.
Créateur et co-président du groupe d’étude sur l’internet de 1997 à 2017 à l’Assemblée nationale.
Auteur de la proposition de loi instaurant une consultation en ligne pour l’examen de tout texte de loi (2016).
Source photo : Victor Velter / Shutterstock.com
- Propositions de loi numéros 3686 et 4176. Co-signées notamment par Nathalie Kosciusko-Morizet, Franck Riester, Laure de La Raudière, Virginie Duby-Muller, André Santini, Martine Lignières-Cassou, Frédéric Lefèbvre, Maurice Leroy, Marc Le Fur, Philippe Gosselin, Jean-Francois Copé, Guillaume Chevrollier, Patrick Hetzel, Marc-Philippe Daubresse, Pierre Morel-A-L’huissier, Guy Tessier, Bernard Perrut, Lionel Tardy, Christophe Premat (suppléant de la ministre Axelle Lemaire), Martial Saddier, Alain Marleix, Marie-Jo Zimmermann… ↩