Le récent débat sur l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel pour les élections législatives, serpent de mer du débat public depuis de longues années, trouve son origine dans le véritable malaise dans les institutions qui caractérise aujourd’hui notre République. Chacun constate, en effet, que le Parlement ne remplit plus de façon satisfaisante sa mission de représentation. L’effondrement de la participation aux élections législatives depuis une vingtaine d’années, l’atonie du débat parlementaire et le règne répété, d’une législature à l’autre, de majorités à l’Assemblée nationale aussi solides par le nombre que faibles dans leur armature doctrinale, tout conspire à ruiner le crédit de ce qui fut l’un des grands parlements du monde occidental.
Le quinquennat : origine du désordre institutionnel
Tout ceci contribue à dessiner, du point de vue des citoyens, le tableau d’un Parlement dont l’utilité autre que cérémonielle finit par interroger, loin du rôle critique d’intercesseur entre les intérêts particuliers et l’intérêt général que les représentants de la Nation étaient supposés jouer selon la théorie politique moderne. Face à ce constat, largement consensuel, diverses propositions ont été émises depuis une quinzaine d’années, allant du dangereux retour à un régime d’assemblée dans le cadre d’une VIe République au développement d’une « démocratie participative » dont les préfigurations semblent loin de susciter réellement l’enthousiasme des citoyens.
Mais le mal vient de plus loin.
L’absence presque totale d’effet substantiel, quant à l’équilibre des pouvoirs publics constitutionnels, de toutes les mesures qui avaient pour objet de renforcer le rôle du Parlement dans le cadre de la réforme institutionnelle de 2008 (maîtrise de l’ordre du jour, discussion en séance des textes issus des commissions, etc.) a démontré, si c’était nécessaire, que le parlementarisme rationalisé de la Ve République n’était pas la véritable cause de la faiblesse de l’Assemblée.
Il n’est pas difficile, en réalité, de trouver l’origine de ce désordre institutionnel qui ne date pas de la fondation de la Ve République mais bien d’une transformation très particulière de ses institutions : l’adoption du quinquennat. En alignant la durée du mandat présidentiel et celle de la législature dans le but – louable – d’éviter les cohabitations, on a par inadvertance bouleversé les équilibres sur lesquels étaient bâties nos institutions. Avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, les élections législatives ont lieu – sauf impondérable rare – dans la foulée de l’élection présidentielle et n’en constituent plus qu’un « troisième tour », un peu ennuyeux et superfétatoire, dans la mesure où le débat politique a déjà été tranché lors de l’élection du président de la République. Dès lors, par le jeu de l’abstention différenciée – les électeurs du président élu se déplaçant davantage que ceux de ses concurrents malheureux – le président dispose assez facilement d’une majorité large à l’Assemblée nationale qui ne reflète pas le véritable rapport de force politique dans l’opinion. Surtout, les députés sont élus sur le nom du président pour un mandat qui correspond au sien et n’ont donc qu’une légitimité personnelle faible. Ils sont d’autant moins portés à l’autonomie que leur destin électoral dépend de la réélection ou non du président qui précédera immédiatement les élections législatives suivantes. Ainsi, une Assemblée nationale minorée fait-elle de plus en plus figure de chambre d’enregistrement tandis que la participation aux élections législatives, qui se maintenait au-dessus des deux-tiers jusqu’en 1997, n’a fait depuis lors que baisser jusqu’à devenir minoritaire en 2017 (42,6 % de participation au second tour).
Le Parlement n’est pas la seule institution abaissée par la réforme. La beauté des mécaniques constitutionnelles fait que le pouvoir n’y est pas un jeu à somme nulle, et la déliquescence de l’Assemblée nationale n’a en rien contribué à renforcer le pouvoir exécutif, bien au contraire. Le Premier ministre, d’abord, a subi de plein fouet une évolution qui, en fait sinon en droit, le prive de son rôle de chef de la majorité. En effet, si la réélection du président détermine largement celle des députés, le Premier ministre n’a pas vocation à conduire la majorité aux élections législatives et à en diriger la campagne. Sa capacité à discipliner la majorité, inclinant à l’époque du septennat à voir en lui son chef naturel, s’en trouve profondément réduite et avec elle sa stature institutionnelle propre et sa place dans la vie publique. Le Premier ministre étant, en France, le véritable chef de l’administration, non seulement la cohésion gouvernementale mais aussi celle de l’action de l’État se trouvent, par ricochet, atteintes par l’affaiblissement de Matignon qui découle du quinquennat.
On pourrait croire qu’au milieu de ce sombre tableau, le président de la République, au moins, se trouverait renforcé.
Il n’en est en réalité rien et ce n’est pas un hasard si, depuis 2007, a émergé un récurrent et largement stérile débat sur « l’hyper-présidence » supposée, ses bienfaits et surtout ses défauts. Car qui trop embrasse mal étreint, et si le président de la République domine désormais sans contrepoids institutionnel tant son Premier ministre que sa majorité parlementaire, il s’en trouve dangereusement et solitairement exposé aux aléas de la chronique politicienne. Chacun des trois derniers présidents de la République en a fait l’expérience : la volonté récurrente de se retirer quelque peu de la gestion des affaires courantes, pour retrouver un certain surplomb qui caractérisait les titulaires de la fonction jusqu’aux années 2000, se heurte immédiatement à des obstacles tels qu’on finit par y renoncer. Certains y voient les effets d’immédiateté du règne de l’information en continu, mais ce n’est qu’une partie de l’explication. Plus profondément, l’abaissement du rôle du Premier ministre consécutif au quinquennat le prive de l’autorité politique nécessaire pour tenir le gouvernail face à tous les assauts tandis que le président est retiré dans les cimes olympiennes. Davantage qu’un « hyper-président », le chef de l’État à l’ère du quinquennat fait ainsi souvent figure de « super-Premier ministre ». Et puisque, comme l’écrivait de Gaulle dans Le Fil de l’épée, « l’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans éloignement », il s’en trouve incapable d’assumer pleinement les écrasantes exigences symboliques propres à la fonction présidentielle.
Effacement du Parlement transformé en chambre d’enregistrement, rétrécissement du Premier ministre au rang de « collaborateur » du chef de l’État, réduction du président de la République à un chef de majorité traîné malgré lui dans la mêlée politicienne, force est de constater que le bilan du quinquennat vu sous ce prisme semble pour le moins calamiteux. Faut-il pour autant, toute honte bue, prononcer l’échec de la réforme et revenir au septennat tel qu’il fonctionnait avant 2000 ? Nous n’en sommes pour notre part pas convaincus. Le passage du temps commence à nous le faire oublier, mais il faut rappeler le caractère éminemment toxique et contre-nature de la cohabitation pour les institutions de la Ve République. Privant le président de son autorité politique, elle menace de le rendre politiquement incapable de remplir les devoirs de sa charge sur lesquels tout peut reposer. Pour ne prendre qu’un exemple, un président de la République en cohabitation pourrait-il faire usage de l’article 16 de la Constitution, si les circonstances l’exigeaient, sans faire immédiatement l’objet d’accusations de coup d’État de la part de son propre gouvernement, ce au milieu d’une crise majeure engageant le destin du pays ? Au-delà, pour la politique étrangère et la défense, domaines dans lesquels la pratique a rendu le rôle du président particulièrement important, la discordance de vues entre les deux têtes de l’exécutif porte atteinte à la crédibilité de la France et peut avoir des conséquences désastreuses pour les intérêts nationaux face à des interlocuteurs étrangers qui peuvent jouer de ces divergences à notre détriment. Le fait même que le passage au quinquennat ait été envisagé dès le mandat du président Pompidou montre d’ailleurs bien que le problème de la cohabitation, alors encore théorique, était bien perçu dès le début de la Ve République.
La Ve République semble donc prise dans un cruel dilemme, comme forcée de choisir entre Charybde et Scylla.
Le problème apparaît d’autant plus préoccupant qu’aucune des solutions alternatives proposées jusqu’ici dans le débat public ne nous semble satisfaisante. Certaines, telles le développement de la « démocratie participative » ou de la représentation corporatiste de la « société civile », ne sont que des faux-semblants – quel pourcentage de la population française connaît aujourd’hui l’existence du CESE, que certains se proposent de renforcer pour en faire le pivot du renouveau démocratique ? D’autres ne régleraient rien et risqueraient même de créer d’autres problèmes graves telles l’élection de l’Assemblée à la proportionnelle intégrale ou une VIe République dotée d’un exécutif plus faible. Il ne faut en effet pas surestimer l’importance du mode de scrutin dans le problème ici évoqué : si l’Assemblée nationale se trouvait élue à la proportionnelle nationale tempérée par une prime majoritaire, il y a fort à parier que cela ne changerait pas grand chose. Et en l’absence d’une telle correction, le défaut de majorité pourrait rendre le pays ingouvernable ce qui ne ferait que régler un problème institutionnel en le remplaçant par un autre bien plus grave. Quant à la VIe République, elle se heurterait immédiatement à l’impossibilité de « désinventer » l’élection présidentielle au suffrage universel direct à laquelle le peuple français est extrêmement attaché et – conséquemment – ne pourrait priver le chef de l’État d’un rôle majeur, redonnant mécaniquement naissance au « présidentialisme » honni par ses partisans.
Mentionnons enfin une dernière idée qui a ses défenseurs : la transformation de la France en un « régime présidentiel à la française » avec suppression du poste de Premier ministre et mise en place d’élections législatives de mi-mandat sur le modèle américain. Outre que les spectaculaires dysfonctionnements du système politique américain incitent à la prudence à l’heure de s’en inspirer, il s’agirait d’une rupture brutale – on peut même parler de trahison – avec la tradition politique française qui est celle du régime parlementaire, c’est-à-dire de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. La tentation d’un tel dynamitage de notre histoire constitutionnelle, aux conséquences lourdes et incertaines, relève d’un suivisme malvenu par rapport aux États-Unis et doit être rejetée sans appel.
Il existe cependant une solution qui permettrait de retrouver les avantages traditionnels du septennat tout en conservant les protections contre la cohabitation offertes aujourd’hui par le quinquennat.
Toute la difficulté du système traditionnel c’est que, en cas de défaite de la majorité aux élections législatives qui ont lieu dans le cours du mandat présidentiel, le président est fortement incité à se maintenir et à accepter une cohabitation plutôt que de démissionner. La démission serait conforme à l’esprit des institutions et il est évident que, le cas échéant, le général de Gaulle n’aurait pour sa part pas hésité. Mais les institutions doivent être faites à la mesure des hommes et non à celle des héros. Or, l’avantage politique à se maintenir est évident pour le chef de l’État tant l’ancienne opposition désormais au gouvernement se trouvera chargée de la conduite des affaires tandis que le président pourra polir son image de rassembleur surplombant, tout en ne manquant pas de mettre des bâtons dans les roues de son Premier ministre à l’occasion. À première vue, ce problème peut sembler insoluble car rendre, pour l’éviter, le président responsable devant le Parlement reviendrait à détruire tout l’édifice de la Ve République qui en fait l’homme de la Nation, uniquement responsable devant le peuple.
Retrouver les avantages du septennat tout en conservant les protections offertes par le quinquennat
Notre solution est la suivante. Il serait possible de rétablir le septennat présidentiel, de maintenir la durée du mandat des députés à cinq ans et de donner à l’Assemblée nationale élue, uniquement dans les trente jours qui suivent la première séance marquant l’ouverture de la législature, le pouvoir de convoquer, par un vote à la majorité absolue de ses membres, une élection présidentielle anticipée.
Avec un tel système, on retrouve tous les avantages du septennat : les mandats présidentiel et parlementaire ont des durées différentes ce qui conduit à des élections législatives séparées de l’élection présidentielle, restaurant leur caractère intrinsèquement décisif. Imaginons le cas d’une alternance classique où un président nouvellement élu ne trouverait pas de majorité à l’Assemblée nationale et déciderait donc de dissoudre celle-ci dans la foulée de son investiture, emportant une majorité. Il aurait alors, comme c’est le cas aujourd’hui avec le quinquennat, cinq ans sans élection nationale.
Cependant, la fin de ce « quinquennat » ne serait alors pas marquée par une élection présidentielle, mais par des élections législatives, qui décideraient de la continuité ou du changement politique.
La perspective de ces élections, dès le début du quinquennat, rétablirait ainsi à la fois l’autorité du Premier ministre – qui aurait vocation à conduire la majorité lors de ces élections – et la stature du Parlement, les députés sachant ne pas pouvoir compter sur une éventuelle réélection dans la foulée de celle du président. Après ces législatives, si la majorité en place était reconduite le décalage des deux calendriers se poursuivrait, permettant l’articulation des deux légitimités de façon harmonieuse comme ce fut le cas entre 1965 et 1981. Deux ans plus tard aurait ainsi lieu une élection présidentielle mais, si le président était réélu, il n’y aurait pas d’élections législatives puisqu’il disposerait déjà d’une majorité élue deux ans plus tôt. Si, cependant, lors des élections législatives intermédiaires le président perdait sa majorité, alors le dispositif proposé trouverait à s’appliquer.
Dans le mois qui suit l’ouverture de la nouvelle législature, la nouvelle assemblée peut, à la majorité absolue, décider d’abréger le mandat du président et de convoquer une élection présidentielle anticipée. Si elle le fait, le président sortant n’est pas démis et peut se présenter à l’élection comme président en place.
Pour que le lecteur comprenne bien le système que nous proposons, il est nécessaire de préciser quelques éléments. Soulignons tout d’abord qu’en cas de perte de sa majorité par le président, la nouvelle majorité serait fortement incitée à voter la tenue d’une élection présidentielle anticipée, ce afin d’éviter une cohabitation dont la pratique démontre qu’elle favorise le président en place et dessert la majorité gouvernementale. Ensuite, pour s’assurer que le président sortant puisse toujours se présenter à l’élection anticipée s’il le souhaite, il serait nécessaire d’éliminer la limitation du nombre de mandats présidentiels consécutifs instaurée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, disposition qui nous semble de toute façon malvenue. De plus, afin d’éviter la répétition de deux élections présidentielles anticipées et symétriquement à la disposition de la Constitution interdisant de dissoudre deux fois l’Assemblée nationale à moins d’un an d’intervalle, il serait précisé que l’Assemblée ne peut procéder à la convocation d’une élection présidentielle anticipée durant l’année qui suit une élection présidentielle anticipée. Enfin, la condition de majorité absolue permet de limiter l’usage de ce dispositif au cas où, conformément à l’esprit de la Constitution, le président serait réellement dépourvu d’une majorité lui permettant de gouverner, même relative comme entre 1988 et 1993.
Dans ce système, aucun mandat présidentiel complet ne pourrait donc se dérouler sans élections législatives intermédiaires.
Étant décisives, et perçues comme telles, ces élections verraient certainement une forte participation et restaureraient la perception par les citoyens de l’importance du Parlement. La restauration de l’équilibre pré-quinquennat permettrait de rétablir une articulation harmonieuse des deux têtes de l’exécutif, favorisant le retour du président à un rôle plus surplombant, davantage fidèle à l’esprit des institutions.
Tentons de répondre aux objections que pourrait susciter une telle proposition. Premièrement on pourrait rétorquer qu’elle revient à rendre malgré tout indirectement le président responsable devant l’Assemblée nationale, contrevenant à l’esprit gaullien des institutions. À notre avis il n’en est rien. Soulignons tout d’abord que la faculté laissée à l’Assemblée d’abréger le mandat du président serait limitée à une courte période qui suit immédiatement l’ouverture de la nouvelle législature, excluant tout chantage politicien sur le chef de l’État de la part de sa majorité. Ensuite il ne s’agirait pas de voter une destitution, mais bien la tenue d’une élection présidentielle anticipée à laquelle le sortant pourrait toujours se représenter s’il le souhaite, ce qui est symboliquement très différent. Enfin, à ultragaullisme ultragaullisme et demi, n’est-ce pas bien davantage en se maintenant alors que sa majorité, et donc sa politique, a été désavouée par le peuple que le président porte atteinte à l’esprit gaullien des institutions plutôt qu’en se soumettant au suffrage universel pour restaurer la concordance des deux majorités ? La nouvelle Assemblée ne pourrait décider de convoquer une élection présidentielle anticipée que dans la foulée de sa propre élection, c’est-à-dire au moment où elle représente le mieux la volonté de la Nation. Dans un tel système, la question de la convocation où non d’une élection anticipée serait naturellement un élément majeur de la campagne des élections législatives et les différents partis s’engageraient sur leur vote. Ainsi, c’est indirectement la majorité des électeurs eux-mêmes, et non les seuls parlementaires, qui déciderait d’abréger le mandat du président en place.
Deuxième objection, contraire à la première, ces élections intermédiaires n’en seraient pas réellement car l’enjeu de la convocation ou non d’une élection présidentielle anticipée écraserait tous les autres, transformant les législatives en un référendum pour ou contre le président en place. C’est en partie exact et il est évident que cette question tiendrait – et ce serait légitime – une place importante dans la campagne. Elle n’en épuiserait cependant pas tout le débat, ne serait-ce que parce qu’en l’absence de bipartisme fort en France les électeurs auraient certainement le choix entre plusieurs partis soutenant la convocation d’une élection présidentielle anticipée et plusieurs autres la rejetant. Et à supposer même que la question prenne une place qu’on jugerait excessive, cela contribuerait, à tout le moins, à donner à ces élections législatives un enjeu majeur, restaurant l’importance démocratique des élections législatives, aujourd’hui annihilée de facto avec le quinquennat. Ainsi, étant donné la situation actuelle, si cet argument peut, à bon droit, être invoqué à l’appui d’un retour au septennat « classique » – à condition d’accepter la perspective de cohabitations régulières – il ne peut l’être en faveur du statu quo, le système proposé constituant objectivement un renforcement majeur de l’importance des élections législatives et, partant, du Parlement.
Troisième objection, ce système ne rendrait pas la cohabitation impossible et échouerait donc à atteindre un de ses objectifs.
Certes, il est tout à fait possible d’imaginer une configuration – improbable mais pas exclue – conduisant à une cohabitation. Ainsi du cas de législatives intermédiaires ayant débouché sur une élection présidentielle anticipée gagnée par le président sortant, celui-ci ayant dissous l’Assemblée nationale dans la foulée pour tenter de retrouver une majorité. Si, dans ces circonstances, les électeurs persistaient à refuser une majorité au président, une cohabitation s’ensuivrait car en vertu de la règle interdisant la convocation d’une deuxième élection présidentielle anticipée moins d’un an après une telle élection, l’Assemblée devrait s’y résigner. Mais dans ce cas, quoique dommageable, cette cohabitation serait réellement souhaitée par les électeurs qui auraient manqué de cohérence en votant pour des majorités incompatibles. Il faudrait alors l’accepter, tout en notant qu’il sera loisible au président de dissoudre à nouveau s’il le souhaite une fois attendue une année. Mais ce risque de cohabitation demeurerait très limité car il suppose une improbable incohérence de la part des électeurs, d’autant qu’un président réélu dans ces circonstances aurait beau jeu de revendiquer de la Nation une majorité lui permettant de gouverner dans le cadre du nouveau mandat qu’on vient de lui confier. D’ailleurs, le risque faible que ce système conduise à une cohabitation ne paraît pas significativement plus élevé que dans le système actuel, le quinquennat n’empêchant pas qu’un président mal élu – ou mal réélu – soit privé de majorité malgré la tenue des législatives dans le mois suivant son élection.
Dernière objection, plus bénigne, ce système conduirait à une dissolution systématique de l’Assemblée par tout nouveau président dans la foulée de son élection, de manière à s’assurer de bénéficier de cinq ans, même s’il dispose déjà d’une majorité à son investiture. La tentation existera certainement, mais il n’est pas évident pour autant qu’une telle dissolution « de confort » devienne systématique. En effet on aurait pu prévoir la même chose à l’époque du septennat, et en particulier en 1995 quand le président Chirac nouvellement élu ne disposait d’une majorité que pour trois ans ; cela ne s’est pourtant pas produit. En réalité, deux cordes de rappel entrent en jeu qui contribueraient à dissuader ce genre de « coup » tactique : le risque d’incompréhension et donc d’agacement des électeurs et, surtout, la mauvaise volonté des députés de la majorité peu enclins à risquer leur siège de façon anticipée. Gageons également qu’avec ce système la possibilité, même improbable, pour le président nouvellement élu de voir son mandat immédiatement remis en jeu en cas d’échec aux législatives devrait contribuer à le dissuader de tenter l’aventure. Enfin, à supposer même que ce genre de dissolution « tactique » intervienne à l’occasion, elle ne semble pas particulièrement toxique pour le bon fonctionnement des institutions.
À l’examen, les inconvénients du système que nous proposons apparaissent donc très limités au regard de ses considérables avantages. Certes original dans sa logique, il nous permettrait de sortir par le haut du dilemme du quinquennat et du septennat et, ce faisant, de parachever l’œuvre constitutionnelle française. En rendant au président de la République la capacité de « régner » et de gouverner, il constituerait en effet une réponse élégante au problème central du parlementarisme français soulevé par Thiers et Guizot dès la Monarchie de Juillet : comment concilier les deux légitimités constitutionnelles du Parlement et du chef de l’État sans mettre en cause l’unité de l’Exécutif ?
Tristan Claret-Trentelivres
Ancien élève de l’École nationale d’administration