Nous vivons actuellement une situation inédite. Alain Meininger, membre du Comité éditorial de la Revue Politique et Parlementaire nous fait part des réflexions que lui inspirent ce contexte particulier.
Les guerres du futur ? : le 2 avril le capitaine de vaisseau Brett Crozier, commandant le porte-avion américain Theodore Roosevelt était démis de ses fonctions pour avoir alerté sur la survenance à son bord d’une épidémie de covid-19 ; la lettre qu’il avait envoyée à son commandement avait fuité dans la presse. Une vidéo, très regardée, le montre, quittant son navire à Guam, sous les acclamations de son équipage. Le Secrétaire américain à la Navy, Thomas Modly, à qui a été reproché une gestion inappropriée de la crise, n’a pas non plus survécu politiquement à l’incident. Le porte-avions français, le Charles de Gaulle, abritant lui aussi 50 marins infectés – désormais confinés à l’avant du bâtiment – vient d’écourter sa mission en Atlantique et fait route au plus vite vers son port d’attache de Toulon. Précisons que ces unités de taille impressionnante sont dotées de médecins compétents et d’équipements médicaux de qualité. A priori, s’ils sont partis en patrouille avant le début de l’épidémie en France, les sous-marins nucléaires stratégiques, plus petits et plus problématiques de ce point de vue, ne devraient pas être concernés. Il n’en demeure pas moins que ces évènements sont de nature à nourrir bien des réflexions : Stalingrad, Koursk ou les batailles navales de Midway ou du golfe de Leyte apparaissent comme les dernières guerres du Moyen-âge ; sera-t-il nécessaire demain de faire parler la poudre et couler le sang quand un virus, numérique ou biologique, pourra neutraliser en peu de temps les pièces maitresses d’une armée ? Pas vraiment nouvelle, la remarque prend plus de sens quand on précise que les pôles d’excellence en matière d’informatique ou de biotechnologie ne sont pas nécessairement en Europe.
On dénombre 1,5 million de contaminés dans le monde et 87 000 morts mais l’impact du covid dépasse la seule angoisse liée aux décès.
Certes quelque 4 500 cas sont déclarés en Arabie saoudite et 150 membres de la famille royale sont touchés mais ce n’est semble-t-il pas ce qui a prévalu dans la décision de Mohammed Ben Salman de décréter un cessez-le-feu de quinze jours dans cette guerre du Yémen qu’il avait déclenchée en 2015. La présidence du G 20 – où il lui faudra faire bonne figure après l’affaire Khashoggi – et la baisse vertigineuse du prix du baril due à la crise ont été déterminants. Cette dernière pourrait du reste se transformer en facteur de déstabilisation de certains pays à bout de souffle et dépourvus de ressources alternatives tels que l’Iran, le Venezuela ou l’Algérie. Les circonstances révèlent les hommes et Markus Söder, ministre président de Bavière, en première ligne contre le covid est incontestablement de ceux-là ; vient-on d’identifier, pour de bon, le successeur d’Angela Merkel ? Dans une Grande Bretagne toujours très sévèrement touchée, Boris Johnson vient, lui, de mériter sa réputation de « warrior » en amorçant son rétablissement.
L’Europe a enfin abouti à un accord de déblocage de 1 000 milliards d’euros.
La moitié est immédiatement disponible, le reste pouvant abonder un fonds de relance à venir ; la question des « coronabonds » reste en suspens, à la décision des chefs d’Etat, de même que les éventuelles réformes structurelles, exigibles en contrepartie. L’effet immédiat le plus significatif est sans doute l’indispensable affichage d’une unité européenne, même si l’Italie de Giuseppe Conte – qui envisage un déconfinement à partir du 3 mai – mécontente, veillera, dit-elle, à ne pas être mise sous tutelle.
La France se partage entre le sentiment de souffler un peu et l’émergence de discussions innombrables sur le quoi faire après. 82 patients en moins en réanimation sur un total de 7 000, 30 000 personnes hospitalisées mais 21 000 guérisons, dressent, en dépit de l’effroyable situation dans certains Ehpad, un bilan moins sombre. Le « répit » semble en tout cas suffisamment significatif à certains pour que les querelles sur un hypothétique déconfinement à court terme commencent : par tranches d’âge, par régions, par types d’activités ? Faudra-t-il un passeport de « non-contaminant » et de « non contaminable » auquel cas se posera la question de la mise au point rapide de tests sérologiques disponibles en grand nombre attestant de la possession d’anticorps ? Quid de l’efficacité d’un « tracking » fondé sur le volontariat ? Telles sont quelques-unes des innombrables questions auxquelles, faute de fournitures en quantités suffisantes, nous ne pouvons répondre là où d’autres pays semblent aborder cette nouvelle phase avec plus d’efficacité et de sérénité.
En cette période pascale il n’y a pas que Parsifal et le Miserere d’Allegri que l’on peut s’autoriser à écouter. Le théâtre des Champs Elysées offre un festival d’opéras de Mozart chaque vendredi à 19h30 sur sa chaîne Youtube. Le cycle commence vendredi 10 avril avec « La Clémence de Titus » dans une captation de décembre 2014, dirigée par Jérémie Rhorer à la tête du Cercle de l’Harmonie ; on peut y savourer la merveilleuse Julie Fuchs en Servilia dans une mise en scène de Denis Podalydès avec des costumes de Christian Lacroix ; suivront le 17 avril le plaisir d’entendre Patricia Petibon et Sabine Devieilhe dans un « Mithridate » qui mériterait d’être plus reconnu, Emmanuelle Haïm dirigeant le Concert d’Astrée dans une mise en scène de Clément Hervieu-Léger ; le 24 avril, nous sera proposé une captation de 2013 de ce qui est, selon Richard Wagner, l’Opéra des opéras, « Don Giovanni », dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig avec, de nouveau, Jérémie Rhorer et son Cercle de l’Harmonie. Rappelons par ailleurs que jusqu’au 14 juin, le TCE met à notre disposition sur france.tv de superbes « Noces de Figaro » enregistrées en novembre 2019. Un livre ? Ceux sur Mozart sont innombrables ; les « Mémoires » (Mercure de France, 2000) certes quelque peu enjolivés mais néanmoins captivants de Lorenzo Da Ponte permettent de s’imprégner de l’esprit d’une époque. Né en Vénétie en 1749, juif converti au catholicisme, il a d’abord mené la vie rocambolesque d’un don juan aventurier de ce XVIIIe siècle européen finissant. Ami de Casanova dont il croisera la route à plusieurs reprises, il est nommé « poète impérial » à la cour de Vienne où il rencontrera Mozart ce qui le conduira à écrire les livrets de trois des chefs d’œuvres de la maturité du salzbourgeois, au point que Les Noces de Figaro, Don Giovanni et Cosi fan tutte sont souvent désignés comme « les trois Da Ponte ». Ayant émigré en 1805, à 56 ans, aux Etats-Unis, il y deviendra par ses enseignements à la future Université de Columbia, l’homme qui aura diffusé la culture italienne outre-Atlantique. Notons qu’en 1826, il crée à New-York la première américaine de Don Giovanni avec la Malibran en Zerlina.
Alain Meininger
Membre du Comité éditorial