Emmanuel Macron s’est exprimé hier soir pour la troisième fois depuis le début de la crise du Covid-19. Pour la Revue Politique et Parlementaire, Jacky Isabello, cofondateur de l’agence de communication Coriolink, décrypte l’allocution du président.
« Nous disons et répétons que les hommes de pouvoir font leur histoire, mais ne savent pas l’histoire qu’ils font » écrivait le maitre Raymond Aron dans Les dernières années du siècle 1. Après un discours de 28 minutes ayant réuni une nouvelle fois plus de 30 millions d’âmes suspendues aux annonces qui guideraient le peuple français sur la voie du déconfinement, on perçoit chaque jour davantage que la crise du Coronavirus ébranle les piliers du macronisme programmatique. Or si le Président de la République feint de ne pas le comprendre, son style, davantage en mea-culpa empreint de modestie, trahit la marque de la plume avec laquelle il signe désormais la stratégie de sa fin de mandat, celle de l’abandon. Aron, convoquons cette fois l’auteur précurseur du pamphlet Tragédie algérienne brutalisa le Général alors que la fin du conflit tardait à se dessiner : « Bidault aurait fait la guerre jusqu’au bout pour sauver l’empire français. De Gaulle fait la guerre pour sauver le style de l’abandon ». Macron dans ce discours enterre lui-aussi les principes de son macronisme. A l’impératif de communication d’un ouvrage Révolution couché sur le papier par obligation de campagne, la crise sanitaire aura rendu une sentence odieuse : bruler sur le bûcher des vanités.
Les abandons d’une crise
Abandonnant un style infantilisant, le Président aura simplement admis les failles, nombreuses, de la gestion d’une telle crise à laquelle nous n’étions pas préparés. A qui la faute ? Le temps de rechercher les responsabilités viendra a-t-il reconnu. Tant en ce qui concerne les équipements de protections individuelle, les tests, jusqu’à l’utilisation du terme confinement dont chacun se demandait les raisons de cet oubli dans ses premières adresses. Le Président amateur de littérature avait oublié le conseil camusien apocryphe : « mal nommer les choses c’est rajouter du malheur au monde ». Jamais cette phrase n’aura été aussi lumineuse.
Reprenant la barre, le Président politique aura jeté aux orties la conception scientiste qui guida un temps sa stratégie.
Dans ce texte, point de génuflexion aux scientifiques jusqu’ici systématiquement mis en avant. Or aux certitudes des premiers jours il adopta, enfin, les principes cardinaux de la communication telles que l’OMS les prodigues à chaque crise sanitaire : « agir en tenant compte des incertitudes avec lucidité »
Les abandons économiques et sociaux
La start-up nation ne verra ni sa grande messe annuelle Porte de Versailles se tenir, ni les promesses macroniennes prendre forme dans toute leur complétude jupitérienne. Aux principes des temps de paix s’imposent le pragmatisme du quotidien en guerre. De la réduction de la dette, à la réforme des retraites en passant par l’application de la nouvelle convention assurance chômage, la volonté altruiste du projet européen « unitaire et solidaire » ou encore l’essentialisation du capitalisme ouvert et sans frontières, les fondements du projet d’Emmanuel Macron ont été remisés dans la grande fosse commune de l’humilité politique. Quant à l’incapacité de réformer l’hôpital, quoi qu’en dise Mme Buzyn, les Français seront attentifs à ce que le talent, l’abnégation et la surcharge de travail soient récompensés en oubliant cette fois la logique comptable nécessaire cela-dit dans d’autres administrations. L’Etat surendetté, planificateur et tatillon brandit son article 16 et obtient les pleins pouvoirs par la force du discours et des actes présidentiels.
L’abandon des arrogances
Murir c’est renoncer et reconnaissons au Président d’appliquer ce principe.
Disparaissent du verbe élyséen les marques d’une communication combien de fois dénoncées pour sa grande violence langagière.
Le gaulois réfractaire devient : « on disait que nous étions un peuple indiscipliné, et voilà que nous respectons des règles, des disciplines parmi les plus rigoureuses jamais imposées à notre peuple en temps de paix. ». Et que dire de ce terrible et impardonnable « pognon de dingue » forgé à coup de vidéo sur les réseaux sociaux par des jeunes communicants toujours sous l’emprise des effets de leur victoire politique dont ils ne mesuraient pas encore toute la charge : « notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Leur ajoutant en forme de demande de pardon un passage de l’article 1 de la « Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».
Et pourtant il faut bien un capitaine qui s’astreint à tenir la barre, sans états d’âme, quelles que soient les turpitudes de l’équipage. Sur le plan du style le Président fût à la hauteur de la tâche, nonobstant l’insupportable longueur de certains passages rattrapés par son incurable addiction au lyrisme. Pourra-t-il par cet exercice retrouver la confiance des opinions publiques qui s’érodent chaque jour un peu plus. Veillons à la publication des prochaines vagues de sondages.
Mais n’oublions pas que les crises, peu importe l’issue, font également des victimes en politique.
Churchill grand vainqueur de la Seconde Guerre mondiale perdit les élections de l’immédiat temps d’après. Etrange ? Pas vraiment, la philosophie de René Girard, nous enseigna que la société des Hommes s’est ontologiquement fondée sur la recherche de boucs émissaires afin de résoudre les crises et enfin se réconcilier !
Jacky Isabello
Cofondateur de l’agence de communication Coriolink
- p. 30-31 ↩