Hier, dimanche 19 avril, le Premier ministre, Edouard Philippe, a tenu une conférence de presse conjointe avec son ministre de la Santé, Olivier Véran. Décryptage de Jacky Isabello, cofondateur de l’agence de communication Coriolink.
En écoutant la très longue et très pédagogique, certes légèrement redondante, conférence de presse conduite par les maitres de cérémonie Edouard Philippe, Premier ministre, et Olivier Véran, ministre de la Santé, je dois décerner aux porte-paroles un bon point de communicant. Enfin, ils ont compris le précepte numéro dans l’ordre d’importance des règles de communication décrites dans les ouvrages rédigés par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) pour venir en aide aux Etats et aux organisations frappés par des crises sanitaires : savoir communiquer sur les incertitudes. Cette humilité qui consiste à dire haut et fort : « je ne sais pas, nous ne savons pas… pas encore ». Or l’autre précepte cardinal pour l’OMS réside dans la capacité des entités frappées, à garder la confiance de celles et ceux qui ont remis leur confiance entre les mains de leurs dirigeants. Que ce soit en signant un contrat de travail fondé sur le principe de subordination, ou en participant à un moment électoral de désignation des élus. Pour maintenir ce lien de confiance, c’est simple, il s’agit de conserver une composante indispensable au charisme du leader politique, c’est-à-dire sa crédibilité. Et non pas de tenter d’imposer dans les esprits une puissance supposée, comme cela a été fait jusque-là par la puissance publique, davantage l’apanage des grands blockbusters produits par l’industrie cinématographique d’Hollywood que des meilleures doctrines de gouvernement. La crise du Covid-19 illustre ces moments. Il ressort de la conférence de presse tenue dimanche 19 avril que le gouvernement ayant excessivement procédé par atermoiements et palinodies ne parvint pas à compenser cette perte de crédibilité en insistant sur son désir de pédagogie nonobstant une forme toutefois efficace en termes de mise en scène. Le témoignage de « Madame le Professeur » Florence Ader, n’y aura rien changé, et foi de Lyonnais croyez bien que j’en suis le premier attristé.
Complexité des crises
Dans un long entretien accordé au quotidien le Monde daté du 20 avril, Edgar Morin, le prince de la pensée complexe (Sociologie de la complexité), rappelle les grands principes d’une crise qu’il a détaillés dans son ouvrage : Sur la crise (Champs essais, Flammarion). Il place ainsi son analyse : « Cette épidémie nous apporte un festival d’incertitudes. Les connaissances se multiplient de façon exponentielle, du coup, elles débordent notre capacité de nous les approprier, et surtout elles lancent le défi de la complexité. ». Petite « grippette », arrogances et plaisanteries presque pochardes de l’ensemble des grands scientifiques et commentateurs médicaux ont désarçonné le pouvoir politique dans sa capacité à percevoir ce que Nassim Nicholas Taleb classerait au firmament de sa théorie du « Cygne noir ». Morin rappelle ses enseignements : « dans mon ouvrage j’ai tenté de montrer qu’une crise, au-delà de la déstabilisation et de l’incertitude qu’elle apporte, se manifeste par la défaillance des régulations d’un système qui, pour maintenir sa stabilité, inhibe ou refoule les déviances. Cessant d’être refoulées, ces déviances deviennent des tendances actives qui, si elles se développent, menacent de plus en plus de dérégler et de bloquer le système en crise. ».
Aucun des scientifiques aux commandes des instances chargées de conseiller le gouvernement n’a eu l’autorité suffisante pour protéger de leur inexpérience nos dirigeants et préserver ainsi leur crédibilité.
Aux USA, le très expérimenté épidémiologiste Anthony Fauci parvient davantage à maîtriser l’imprévisible Président des Etats-Unis. Non sans mal, mais sans catastrophe ! Nos scientifiques ont-ils même essayé ? Nous le saurons ! N’ont-ils pour certains pas été entendus, nous verrons. Ne répétons pas ici ce que tout le monde dénonce à propos des masques, des tests et des règles de vie oscillants entre Charybde un jour et Scylla le lendemain. De ce fait l’exercice extrêmement pédagogique tenté hier dimanche 19 avril, s’il a été rondement mené et efficace d’une certaine manière, je le rappelle, tant les tentatives de communication du Président et du Premier ministre étaient jusque-là branchées sur un canal inadapté à la situation d’incertitude, n’apaise toutefois pas efficacement l’opinion publique. Nous verrons dans les prochains jours les derniers sondages. Ceux portés à notre connaissance soulignent que 46 % des Français déclarent faire confiance au gouvernent pour gérer la crise (en augmentation de 8 points mais toujours une part minoritaire de la population). En effet, l’arme importante de la posture de communication sur l’incertitude ne marche pas. Pour la manier la crédibilité doit servir de fluidifiant préalable. Plus encore lorsque l’impératif de confinement angoisse tout un peuple, le fait douter chaque jour davantage, le plaçant ainsi en situation de dissonance cognitive. Dès lors que les émetteurs parviennent, enfin, à prononcer de manière authentique : « nous ne savons pas » la réponse attentionnelle du peuple, alors que l’OMS rappelle la puissance, certes contre-intuitive, de la communication sur les incertitudes, ne donne pas les résultats d’opinion escomptés (feed-back dirait Edgar Morin). Parce que l’émetteur porte les stigmates des récentes batailles largement décrédibilisantes.
Acteur à l’Elysée devant les enfants du personnel de l’œuvre de Prokofiev « Pierre et le loup », notre Président, grand amateur de théâtre, aurait dû se remémorer la morale de cet autre célèbre conte pour enfant d’Esope qui vécut en Grèce au Xe siècle avant J.-C. : « le petit garçon qui criait au loup ». Ramu petit berger guidant chaque jour son troupeau de moutons s’amusait avec excès à crier « au loup » pour jouer un tour aux villageois. Mais un jour le loup apparu vraiment. Il fit son triste ouvrage et personne ne vint au secours du berger que personne n’avait crû. En guise de morale le conte s’achève ainsi : « Vous voyez Ramu, personne ne vous croit cette fois. C’est ce qui se passe si les gens pensent que vous êtes un menteur ».
La posture guerrière choisie par le pouvoir, laissant croire à un super pouvoir performatif de la seule volonté macroniste, a ruiné la crédibilité de la parole, bien avant la conférence de presse tenue dimanche dernier.
Or, cette fois aucune baguette magique du Grand débat ne s’agitera pour la restaurer. Les dégâts politiques pourraient être effrayants pour Macron et ses alliés lors des prochaines échéances électorales.
Jacky Isabello
Cofondateur de l’agence de communication Coriolink