Le dernier épisode qui s’est déroulé entre E.Macron et E.Borne, nous a inspiré quelques réflexions, pour certaines inspirées de rencontres avec des protagonistes ou leur entourage, sur le plus important couple de notre exécutif. Si dans l’ensemble la relation est plutôt courtoise et républicaine, il arrive quelques tensions parfois. Le prochain remaniement permettra aussi d’éclairer nos propos.
Regardons ce qu’il en est de de Gaulle à E. Macron.
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Sous de Gaulle (1958-1969)
Ce sont deux premiers ministres assez radicalement opposés qui vont œuvrer à Matignon sous la férule du Général plus en phase avec le premier qu’avec le second.
- Michel Debré : plus gaulliste que de Gaulle (1958-1962)
On le sait peu mais M. Debré est entré à moins de 30 ans en politique. En effet c’est en 1939, âgé de 27 ans, qu’il suit Paul Reynaud alors ministre des Finances.
Puis, de longues années plus tard, c’est le général de Gaulle, président du conseil chargé de réviser les institutions, qu’il accompagne, le 2 juin 1958. Il est alors garde des Sceaux aux côtés d’un chef de gouvernement investi la veille, sous la menace d’un débarquement de parachutistes, que le sénateur Michel Debré avait fait son possible pour retarder…
Si les deux hommes se côtoient depuis 1939, Michel Debré ne s’est vraiment imposé dans le compagnonnage gaulliste qu’en 1952, à la faveur du combat contre la CED, ce temps où le Général le sacra « champion », ce qui dans son langage si personnel, signait l’alliance du sentiment et de la raison, du courage et de la valeur.
Alors pourquoi Debré en ce printemps 1958 ? Le général le dit dans ses Mémoires : « (…) certain, depuis juin 1940, que de Gaulle est nécessaire à la patrie, il m’a donné son adhésion sans réserves. Jamais, quoique puisse parfois lui coûter ma manière de voir, ne me manquera le concours résolu de sa valeur et de sa foi. (…). il faut que le Premier ministre affirme sa personnalité. Michel Debré le fait vigoureusement, tant dans la conception à laquelle il participe, que dans la préparation qu’il organise et dans l’exécution qu’il dirige.»
Pas une fois, même s’il fut parfois en désaccord avec la politique impulsée par le général, M. Debré ne manifesta publiquement la moindre désapprobation.
Avant tout autre chose, il était gaulliste au sens premier du terme. Quitte à avaler certaines couleuvres (ex : décolonisation algérienne).
Alors quand il songe à changer de premier ministre en 1962, C. de Gaulle mesure que son fidèle compagnon est quelque peu usé. Également son désaccord concernant le règlement de la question algérienne et la présidentialisation croissante du régime pousse Michel Debré à démissionner le 14 avril 1962. Il restera cependant fidèle au général et à ce qu’il représentait, au-delà des contingences politiques. S’il connut par la suite d’autres responsabilités gouvernementales, de 1966 à 1973, il reste pour avoir été un défenseur sans relâche de l’orthodoxie gaulliste.
- Georges Pompidou : l’antithèse de M. Debré (1962-1968)
Le premier gouvernement Pompidou est formé le 15 avril 1962. La question algérienne réglée, le Premier ministre travaille à la modernisation de la France. Après la dissolution de 1962, l’Assemblée nationale est dissoute et les élections n’ont lieu qu’après le référendum de novembre 1962 instaurant l’élection présidentielle au suffrage universel. Après les législatives, Georges Pompidou présente sa démission mais est reconduit dans ses fonctions jusqu’en janvier 1966.
Ayant de nouveau présenté sa démission après l’élection présidentielle de décembre 1965, il est nommé Premier ministre et forme un gouvernement.
Il renouvelle sa demande de démission après les législatives de mars 1967, mais il est chargé de prendre une fois de plus la tête du gouvernement. A cette date, Georges Pompidou se pose peu à peu en chef du principal mouvement gaulliste, l’UDR, et ainsi en éventuel successeur du Général. C’est lorsqu’il prononce l’appel de Rome que le futur président signe son arrêt de mort. En effet en ce mois de janvier 1969 G. Pompidou déclare : – Si le général de Gaulle venait à se retirer, je me porterais candidat à sa succession (…). Pour succéder au général, il faut que deux conditions soient réunies : que le général ait quitté la présidence, et être élu. Ce n’est un mystère pour personne, a indiqué l’ancien premier ministre, que je considère que, s’il y avait une élection, je serais candidat.
Le général prend très mal cette déclaration qu’il estime inopportune et inconvenante.
Durant un Conseil des Ministres de février 1969 le général s’étonne et interroge le Conseil des Ministres : « Mais pourquoi donc Georges Pompidou a-t-il fait cela ? ». Cet « appel de Rome » vaut à G. Pompidou les critiques de nombreuses personnalités gaullistes et est considéré comme un facteur de l’échec du référendum de 1969. Les Français ayant toutefois perçu une alternative au général de Gaulle.
Dans De Gaulle et Pompidou, jusqu’à la rupture, Catherine Nay revient sur l’alliance politique, et presque fraternelle, entre deux figures tutélaires de la Ve République. Nous ne dirions pas fraternelle car ce n’était pas le style du Général. Certainement une sorte d’amitié.
Mais, en politique comme en amour, il arrive que les histoires finissent mal. La trajectoire de ces deux hommes d’Etat en est l’un des meilleurs exemples.
Mai 1968 a creusé un fossé entre les deux hommes qui ne se comblera jamais. Pendant cette crise De Gaulle a parfois perdu la main quand Pompidou tenait le manche. Et l’« affaire Markovic » ne va rien arranger bien au contraire. Pompidou s’estime « lâché » par de Gaulle. Quant à ce dernier il est quelque peu choqué qu’une telle affaire se soit produite à ce niveau de l’Etat. Il le dira à l’un de ses conseillers : comme la femme de César, les généraux de celui-ci doivent être insoupçonnables. Cette affaire est le point de rupture définitif entre le Général et Pompidou.
La dernière remarque à faire c’est de dire que G. Pompidou n’avait eu aucune activité de résistance spéciale pendant la guerre. Cela signifie qu’il n’était pas considéré comme un résistant notamment par les gaullistes historiques, les « barons ». Et cela a incontestablement pesé dans l’idée que s’en faisait le Général. « Il n’était pas des nôtres et le général avait parfois tendance à l’oublier » nous confia M. Couve de Murville.
Est-il parti de lui-même en 1968 ou a-t-il été prié de le faire par le général ? A la vérité il voulait partir depuis le printemps (une lettre de démission existe). Il a hésité et le général, « devant les atermoiements » (dixit B. Tricot), a nommé Couve et mis Pompidou « en réserve de la République ».
En matière de gouvernance le Général laissa à son Premier Ministre les coudées franches en matière de politique intérieure. D’ailleurs après l’élection de 1965 il se concentra essentiellement sur le régalien (armées, diplomatie). Rappelons qu’à ce jour Pompidou, avec un peu plus de 6 ans, a le plus long séjour à Matignon depuis 1958.
- Maurice Couve de Murville : haut fonctionnaire égaré en politique (1968-1969)
Après une brillante carrière diplomatique, Maurice Couve de Murville, très bon connaisseur du monde arabe, des Etats-Unis et de l’Allemagne, est nommé ministre des Affaires étrangères par le général de Gaulle. Il le resta pendant dix ans, de 1958 jusqu’en juillet 1968 établissant ainsi un record à ce poste. Lorsqu’on l’interrogeait sur certains aspects de la politique étrangère, de Gaulle rétorquait souvent : « voyez Couve ». Il avait une grande confiance en lui et en sa fidélité. S’il commença à travailler sous « Vichy » (il reçut la Francisque) Couve rejoignait dès 1943 la résistance gaulliste. Il devint ainsi un baron.
C’est en 1968 qu’à la surprise générale, il succéda à Georges Pompidou à Matignon. A l’heure actuelle nous n’avons toujours aucune explication à cette nomination. Si ce n’est la fidélité au général et l’absence d’ambition élyséenne.
Son bref passage à Matignon ne laisse guère de souvenirs notables puisque Couve se révèle impuissant à dissuader le général de se lancer dans l’aventure incertaine du référendum sur la régionalisation et le Sénat ( dans laquelle ce dernier ne voyait peut-être que l’occasion d’une sortie en beauté).
Couve nous confia ne pas s’être posé de question sur sa nomination. Il prit celle-ci comme une preuve de grande confiance et surtout comme un honneur. Il était impensable de refuser cette mission proposée par le Général. Vu le contexte, il s’attendait à « quelques difficultés » nous dit-il avec le flegme so british qui était le sien.
Couve resta jusqu’au bout l’un des plus proches fidèles du général de Gaulle qui appréciait ses qualités de négociateur et ses capacités d’analyse et de synthèse tant pour les questions diplomatiques qu’économiques.
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Sous Georges Pompidou (1969-1974)
Durant son quinquennat à l’Elysée, G. Pompidou va mettre deux locataires à Matignon.
- Jacques Chaban-Delmas : vers une « nouvelle société » ? (1969-1972)
Lorsqu’il est élu à l’Elysée, le natif de Montboudif sait pertinemment qu’il n’a pas eu le soutien plein et entier des gaullistes historiques. Dès lors en nommant Chaban il consacre l’un des leurs engagé très tôt dans la Résistance (général de brigade à 24 ans) il souhaite aussi recevoir leur faveur. Jacques Chaban-Delmas est réputé être un homme d’ouverture et de rénovation. Peut-être pas le plus travailleur disent certains dans l’entourage de Pompidou ! Le 16 septembre 1969, il décide d’engager la responsabilité de son Gouvernement dans un contexte social très perturbé en raison d’une grève de la SNCF et prononce une déclaration de politique générale reposant sur son projet de « nouvelle société ».
Pour lui, la société française est « bloquée » à cause de la fragilité de son économie, de la trop grande place de l’État et de l’archaïsme des structures sociales.
A noter que, contrairement à la tradition, Chaban a mis le chef de l’Etat devant le fait accompli de ce discours. Une large majorité de 369 voix adopte ce programme. C’est le début du divorce politique entre Jacques Chaban-Delmas et Georges Pompidou et le projet de « nouvelle société » ne verra jamais réellement le jour. On peut dire que Chaban vient de signer son « arrêt de mort » à Matignon !
Le chef de l’Etat va faire comprendre à plusieurs reprises à Chaban qu’il n’est que « le premier des ministres ».
Le chef de l’État aurait résolu de le remplacer à la tête du gouvernement sur les conseils de Marie-France Garaud et Pierre Juillet, adversaires acharnés de la Nouvelle société, et qui jouaient un rôle majeur d’éminences grise auprès du chef de l’État. C’est ce qui va être fait début juillet 1972.
Deux phrases pour résumer l’ambiance entre les deux hommes. « Jamais il n’a pris de décision. Il a fait des feux d’artifice, voilà tout. » (G. Pompidou cité par Michelle Cotta). « Je suis devenu Premier ministre sur un double malentendu : Pompidou me croyait gentil, je le croyais gaulliste » (Chaban-Delmas). Ce sont là des vérités qu’un certain nombre de grands témoins nous ont plusieurs fois confirmé.
- Pierre Messmer : un chef d’état-major de l’action gouvernementale (1972-1974)
C’est un fervent défenseur du gaullisme, grand résistant et ministre des Armées du général de Gaulle pendant près de dix ans que choisit alors G. Pompidou en cet été 1972. Avec ce célèbre lorrain, il sait qu’il n’y aura pas de dérapage. En effet lors de son discours d’investiture à l’Assemblée, P. Messmer déclare qu’« il ne saurait exister de hiérarchie au sommet. » Le nouveau Premier ministre est un gaulliste historique mais pompidolo-compatible. Il aime la simplicité et les rapports directs, ramène à dix le nombre de secrétaires d’État. En recréant un ministère de l’Information ou en nommant un proche du président à la tête de l’ORTF, il tourne la page jugée trop libérale de l’ère précédente. L’ère Pompidou-Messmer renforce aussi l’ancrage de la population rurale dans le gaullisme (J. Chirac en charge de l’Agriculture s’y emploie aussi) et œuvre au développement économique et industriel du pays. Messmer n’est pas très médiatique et encore moins politique. Mais il est respecté notamment par sa majorité.
Comme il nous l’a confié, les deux domaines les plus sensibles à gérer furent pour Pierre Messmer, le choc pétrolier et la maladie du président. Face à cette dernière (la maladie de Waldenström, sorte de leucémie) qui évolue mal au fil des mois, il nous avoue suppléer de plus en plus le président de la République (en collaboration étroite avec E. Balladur secrétaire général de l’Elysée). Il nous a confié avoir été le seul membre du gouvernement à avoir été avisé de l’inéluctabilité de l’issue.
Le décès de Pompidou le 2 avril 1974 met un terme au mandat de Pierre Messmer à Matignon. De nombreux gaullistes tentent, en vain, de le convaincre de se présenter à la nouvelle élection présidentielle. Il confiera n’être « pas fait pour ça ».
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Sous V. Giscard d’Estaing (1974-1981)
Il aura deux premiers ministres (J. Chirac et R. Barre) avec lesquels VGE n’aura pas du tout les mêmes rapports.
- Jacques Chirac : un ennemi de 50 ans (1974-1976)
Entre les deux hommes tout a commencé par une sorte de pacte de trahison. A la mort prématurée de Georges Pompidou, Chirac, étoile montante du gaullisme et poulain du président défunt, rallia 43 députés UDR (ancêtre du RPR, de l’UMP et de LR) à la candidature du centriste VGE. Tirant du même coup le tapis sous les pieds du candidat naturel gaulliste à la présidentielle de mai 1974, Jacques Chaban-Delmas. Pour récompense, le jeune loup obtint Matignon. Mais voilà le plus dur commence pour le héraut corrézien. « Ces deux-là étaient faits pour ne pas s’entendre », résume l’écrivain Denis Tillinac, intime de Chirac. Différence d’idéologie, de personnalités et divergence de style aussi. Chirac est un « bulldozer » dira Pompidou. Un « agité » selon VGE. De son côté ce dernier est un grand bourgeois surdiplômé qui a une certaine idée de lui-même. La première cohabitation officieuse de la Vè s’ouvre !
Face à un président interventionniste et qui ne lui fait pas confiance, Chirac ne parvient pas à trouver sa place et surtout estime ne pas pouvoir exercer sa mission.
Certains ministres giscardiens lui compliquent la tâche (ex : Poniatowski à l’Intérieur, Fourcade aux Finances). Certains arbitrages, notamment économiques, se font dans son dos, à l’Elysée. Également le président lui donnait certaines directives écrites contraignantes. A l’été 1976, n’en pouvant mais, il démissionne.
Pour mesurer l’état des relations exécrables entre les deux hommes, il faut rappeler que Chirac c’est l’homme que VGE tint, sa vie durant, pour le vrai responsable de sa défaite de 1981 en ayant fait campagne en sous-main pour Mitterrand (ce qui est avéré !).
Jusqu’au Conseil Constitutionnel, peu de temps avant le décès de J. Chirac, ils continueront de se chicailler ! Et même durant les obsèques de J. Chirac, VGE ne put réfréner une saillie dont il avait le secret face retard pris par l’arrivée du cercueil : « Même le jour de ses obsèques, il est en retard » !
- Raymond Barre : le meilleur économiste de France. (1976-1981)
Ce qualificatif que lui attribue VGE, R. Barre nous confiera qu’il s’en serait volontiers passé ! Professeur réputé, économiste reconnu, Raymond Barre est un expert et non un parlementaire quand il devient le Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, de 1976 à 1981. Ce choix, assez inattendu, permet de revendiquer un retour à l’esprit gaullien en renforçant le poids du président de la République.
La période barriste est marquée par une relation harmonieuse entre le Premier ministre et le président. Contrairement à ce qui se passait avec Chirac, les deux hommes partagent une communauté de vues et se vouent une estime réciproque. Cependant, Raymond Barre, dès sa nomination, avait annoncé sa volonté d’ « exercer sa fonction de Premier ministre dans la plénitude de ses attributions ». Sans cela, et la confiance du président, il nous a confié qu’il n’aurait pas accepté ou ne serait pas resté. Foin des directives élyséennes ! Avec l’accord du président de la République, il va décliner une politique économique assez austère (« les français doivent se serre la ceinture ») d’inspiration libérale avec des plans contre l’inflation. Il doit aussi gérer des budgets difficiles notamment à cause du choc pétrolier. Également en raison de la fronde RPR. A cause de cette dernière la majorité des budgets adoptés sous R. Barre furent au 49-3. A chaque fois bien sûr avec l’aval du président. Lors d’un colloque à Paris en 2009 VGE s’est un peu épanché sur R. Barre : « S’il y a un doute réciproque entre le premier ministre et le président, le système devient empoisonné. Or, entre nous, la confiance a été totale et réciproque. Je n’ai jamais remis en cause ses intentions et ses projets.» R.Barre nous avait auparavant confirmé ce discours.
De par sa politique de rigueur, R. Barre fut assez rapidement impopulaire. Il ne fut donc pas vraiment associé à la campagne présidentielle de 1981.
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités