La plupart des sondages aux Etats-Unis concernant la course à la Maison-Blanche sont serrés. Dans mon travail en tant que conseil en communication politique, j’utilise l’nequête d’opinion publique tous les jours pour planifier des campagnes. En tant que outil pour prédire le résultat des élections, ses sondages sont (quasiment) vides de sens à l’heure actuelle, et ce, pour diverses raisons.
Premièrement, les sondages américains ont été très biaisés pendant plusieurs cycles électoraux consécutifs. Depuis l’élection surprise de Donald Trump en 2016, les sondeurs américains prétendent avoir résolu le(s) problème(s), mais cela reste à démontrer.
Autrefois, les enquêtes téléphoniques étaient considérées comme la méthode livrant les meilleurs résultats. Néanmoins, depuis que Donald Trump a débarqué dans le paysage politique, c’est dans le cadre de sondages en ligne que les électeurs sont les plus enclins à révéler leurs véritables intentions.
La pondération des données brutes est elle aussi un point d’achoppement. Des expériences ont démontré que si l’on donne aux instituts de sondages exactement les mêmes données brutes collectées sur le terrain, il se peut qu’ils en extraient des résultats différents et ne soient même pas d’accord sur le gagnant.
De plus, nombreux sont ceux dans les médias qui se basent sur la moyenne de différents sondages. Cependant, adopter cette pratique, c’est partir du principe que la qualité d’un sondage dépend essentiellement de la taille de l’échantillon et que tous les sondeurs ont une maîtrise égale de tous les autres facteurs. Or, ce n’est pas forcément le cas.
Autre élément à garder à l’esprit : les élections présidentielles américaines se déroulent de facto non pas à l’échelle nationale, mais à celle des États. Or, il y a peu de sondages dans les principaux États susceptibles de faire basculer les résultats et les problématiques évoquées ci-dessous y sont tout aussi importantes.
Au-delà des questions méthodologiques inhérentes aux sondages, il y a ensuite l’interprétation des résultats. Deux mois nous séparent encore des élections et pour l’heure, peu importe qu’un des candidats devance ou suive l’autre d’un point ou deux. Il faut composer avec une marge d’erreur et les rebondissements seront nombreux d’ici le scrutin. Nous ne savons pas quelle sera la position de l’électorat au sujet de l’économie au moment du vote, comment les guerres en Ukraine et à Gaza auront évolué, qui se rendra aux urnes ou non, quel sera l’impact des candidats d’autres partis ni ce qu’il en sera des problèmes judiciaires des candidats.
Un autre problème concerne le phénomène de « troupeau » parmi les experts. Lorsque tout le monde a affirmé à la télévision qu’Hillary Clinton allait gagner (en 2016), que Trump serait massivement rejeté (en 2018), que les élections présidentielles ne seraient pas serrées (en 2020) ou que les Démocrates n’avaient aucune chance de se maintenir à la Chambre des représentants (en 2022), il fallait du courage pour être à contre-courant.
On pourrait penser qu’il vaut mieux mener dans les sondages que d’être mené, mais mon expérience dans l’organisation de campagnes électorales me fait dire le contraire. C’est lorsqu’ils sont sous pression que les candidats font généralement preuve d’audace et pas lorsqu’ils ont une bonne longueur d’avance sur leur adversaire. C’est pourquoi tenir la corde aussi tôt peut faire l’effet d’un doux poison, dans la mesure où les équipes de campagne pourraient se laisser aller à un moment où elles devraient plutôt prendre des mesures décisives.
Les candidats et leur équipe adorent et détestent les sondages à la fois. Lorsque leurs résultats les satisfont, ils en oublient les limitations. Lorsqu’ils leur déplaisent, ils se contentent de les ignorer. La vérité est bien souvent un entre-deux et pour l’heure, tout ce que les sondages révèlent, c’est que le scrutin sera serré.
Dr. Louis Perron est un politologue, consultant et conférencier TEDx. Il a remporté des douzaines de campagnes électorales dans différents pays.
Dr. Louis Perron