Nommé le 6 février, Jean-Marie Bockel, l’envoyé personnel d’Emmanuel Macron pour l’Afrique était en visite en Côte d’Ivoire le 20 et 21 février dernier. Au menu : rencontres avec des officiels, mais aussi discussion autour de la réduction des effectifs au sein de la base militaire française.
« Aujourd’hui, devant vous, je veux signer l’acte de décès de la Françafrique. Je veux tourner la page des pratiques d’un autre temps, d’un mode de relations ambiguës et complaisantes, dont certains, ici comme là-bas, tirent avantage, au détriment de l’intérêt général et du développement. »
Au regard de la vigueur de ce réquisitoire et de la percussion des mots choisis pour décrier les dérives de la Françafrique, cette relation viciée entre une partie de l’establishment français et les anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne, on croirait lire un pamphlet rédigé par les pourfendeurs les plus résolus de la Françafrique au sein de certaines oppositions radicales en Afrique.
C’était le 15 janvier 2008. Jean-Marie Bockel, alors secrétaire d’État à la Coopération et à la Francophonie, recevait les vœux du personnel de son département ministériel. Le ministre de Nicolas Sarkozy au sein du premier gouvernement de François Fillon s’était alors livré à une mise en accusation sans concession d’un système de compromissions et de prédation dans les relations franco-africaines qu’il se proposait de liquider.
Mais la Françafrique n’avait pas dit son dernier mot. Le nouveau ministre eut à peine entamé le déploiement de sa feuille de route qu’il fut dessaisi du portefeuille de la coopération et de la francophonie. Après Claude Cheysson, ministre des Relations extérieures de François Mitterrand, après la présidentielle victorieuse de 1981, dont la volonté de réforme sur ce terrain glissant de la diplomatie française avait été renvoyée aux calendes grecques, la Françafrique venait d’avoir raison de la volonté et des ambitions réformatrices de Jean-Marie Bockel.
En revanche, l’avenir lui aura donné raison. Il y a d’ailleurs lieu de se demander s’il s’agira, pour les missi dominici de Macron, de sauver les meubles, ou d’impulser enfin des réformes qui auraient dû l’être depuis plusieurs décennies.
En effet, depuis 2008, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts des relations franco-africaines ; et le contexte géopolitique de la mission de Jean-Marie Bockel est en proie à de profondes mutations, voire à une tectonique des plaques qui était alors inimaginable il y a quinze ans. Ils sont fort lointains, les moments d’euphorie où François Hollande et les forces françaises étaient accueillis en libérateurs à Bamako en 2013, alors dans la ligne de mire des groupes terroristes islamistes du nord du Mali.
La mission actuelle de Jean-Marie Bockel sera d’autant moins une sinécure qu’il y a eu, de la part des différents exécutifs français, des retards considérables à l’allumage dans le train des réformes qui auraient dû être entreprises pour donner un visage nouveau et moderne aux relations franco-africaines.
Les différents exécutifs qui se sont succédé à l’Élysée, depuis Jacques Chirac jusqu’à Emmanuel Macron, ont quasiment tous, paradoxalement, utilisé les mots justes pour nommer les choses telles qu’elles doivent l’être, autrement dit les voies de la refondation.
Tous, ils n’ont eu de cesse de relever, à juste titre, soit à l’occasion de leurs déplacements en Afrique ou à l’occasion des sommets Afrique-France, à l’instar du sommet atypique et inédit de Montpellier (qui s’est déroulé le 8 octobre 2021) entre la France et les sociétés civiles d’Afrique subsaharienne francophone, à l’initiative d’Emmanuel Macron, de faire le constat du profond renouvellement démographique en cours en Afrique.
D’une part, ces mutations générationnelles s’accompagnent d’un regard indigné des peuples africains qui désapprouvent une relation asymétrique entre un État occidental et leurs pays qu’ils estiment pourtant souverains. D’autre part, les exécutifs français ont donné l’impression de préserver les intérêts de leurs classes dirigeantes, coupées du peuple, parce que assurées dans nombre de ces pays de se maintenir au pouvoir, grâce, entre autres, à une présence militaire française tout aussi surannée qu’envahissante.
Or, au sein du Parlement français, des rapports d’information, richement documentés, ont été commis pour alerter les exécutifs au sujet d’un état d’esprit que certaines analyses tiennent pour un « sentiment anti-français ».
Déjà en 2013, Jean-Marie Bockel, alors sénateur, avait commis, pour la chambre haute et avec la sénatrice Jeanny Lorgeoux, un rapport intitulé « L’Afrique est notre avenir ». En novembre 2023, une mission d’information conduite par les parlementaires Bruno Fuchs et Michèle Tabarot, a commis un rapport dans la même optique. Force est de constater que ces missions d’information, une fois leurs conclusions débattues au Parlement, ne donnent pas lieu à des missions de suivi dans leur exécution.
Jean-Marie Bockel arrive en mission dans une Afrique où, nulle part dans les anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne francophone, au moment où il affichait sa volonté de réforme, n’existait de présence militaire russe. En 2024, non seulement elle est omniprésente, mais, dans certains États, comme le Mali ou la RCA, elle tient même des positions hégémoniques parce que l’armée française a plus ou moins plié bagage, parfois sous la pression populaire.
Face à cette nouvelle donne, que fera le chef de l’État français des conclusions que lui remettra son envoyé personnel Jean-Marie Bockel au mois de juillet prochain ? Emmanuel Macron sera alors à trois ans de la fin de son second et dernier mandat.
Il faut d’ores et déjà relever, contrairement à un discours fort répandu dans l’espace médiatique français comme dans une frange de sa classe politique, que ce n’est pas la présence française qui pose problème dans les pays de son ancien pré carré. Mais il s’agit, pour la France, d’être présente autrement.
Or, la France a longtemps donné le sentiment d’un profond déphasage entre les valeurs qu’elle promeut et les politiques qu’elle mène à l’endroit des ressortissants de ces pays africains. À titre d’exemple, la récente « loi immigration », en France, a durci de manière drastique les conditions d’études des étudiants étrangers, comme aucune autre loi sur ce registre dans le passé.
Ce pan de cette loi, quoique retoqué par le Conseil constitutionnel, n’a pas manqué de surprendre et d’indigner jusqu’au sein des milieux universitaires hexagonaux. Comment la France peut-elle vouloir relancer la Francophonie pour faire reculer les tropismes russophiles ou sinophiles en Afrique et, dans le même temps, éloigner des espaces de partage des savoirs et de convivialité les futures élites des pays d’Afrique francophone ?
L’incompréhension et l’indignation furent d’autant plus grandes que, fin octobre 2023, le chef de l’État français inaugurait la Cité de la langue française dans le château restauré de Villers-Cotterêts (Aisne), son grand projet culturel lancé en 2017 autour de la figure emblématique d’Alexandre Dumas (écrivain français né le 24 juillet 1802 à Villers-Cotterêts et mort le 5 décembre 1870 au hameau de Puys, ancienne commune de Neuville-lès-Dieppe).
Il est impérieux que la présence française en Afrique trouve enfin le chemin de la lisibilité, de la cohérence et d’une nécessaire adéquation à une Afrique en profonde mutation. Vivement !
Éric Topona Mocnga
Journaliste au service Afrique de la Deutsche Welle