Le 24 février 2003, le Chef Bernard Loiseau nous a quittés. Vingt ans plus tard, son empreinte s’inscrit dans le registre de l’exception et bien des personnes diverses (salariés, clients, fournisseurs) se sentent encore orphelines. Son départ volontaire demeure une cicatrice pour beaucoup.
Nous connaissons le talent d’Alain Ducasse ou de Thierry Marx et le raffinement de leurs cuisines respectives. Le regretté Bernard Loiseau boxait, avec sa fougue légendaire, dans la même catégorie.
Une entreprise familiale est fort dépendante de son créateur et dans le cas de Bernard Loiseau, c’est une sorte de miracle de la volonté que sa Maison, grâce à son épouse Dominique Loiseau, ait pu survivre. Cette dame que rien ne prédestinait à une telle séquence d’épreuves a su tenir la barre comme aimait à le dire Olivier de Kersauson en parlant de la regrettée Florence Arthaud.
Né à Chamalières, terre d’élection de Valéry Giscard d’Estaing, Bernard Loiseau n’est pas issu d’un milieu facile. Il doit apprendre à se battre et sait très jeune la valeur qu’il convient d’accrocher au mot travail. Il n’aurait pas suivi le chemin de la députée Sandrine Rousseau et de son fameux « droit à la paresse« .
A la Barrière de Clichy, il sait faire ses preuves et séduit le propriétaire qui l’aide à mettre la main sur un temple de la gastronomie : le restaurant hors-concours d’Alexandre Dumaine (https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Dumaine) où j’ai eu la chance de fêter mes 10 ans tandis que le moteur de la Citroën familiale prenait le temps requis à son refroidissement. Le Morvan est plus que vallonné.
Clairement, le Chef Loiseau était un passionné de travail et il a su gagner ses trois étoiles Michelin, le rêve de sa vie professionnelle.
Ceci au prix du labeur mais aussi au prix d’une étincelle que l’on nomme le génie. Son idée d’alléger les sauces et de cultiver les saveurs locales lui ont permis de construire des plats incroyables : à meilleure preuve, ils sont encore à la carte concoctée par le Chef Patrick Bertron qui vient de fêter ses 40 ans de maison.
S’agissant d’un hommage à Bernard, il nous semblait impossible et indécent de le commencer autrement que par l’avenir de la Maison de Saulieu. Toute sa vie, ce dynamique auvergnat a regardé devant lui. Devant pour avancer ! Devant pour monter les marches ! Devant pour parvenir à être collectivement meilleur que la veille !
Cette quête de perfection, qu’il a su transmettre notamment à une de ses filles, Bérangère, aura été son carburant et un des pivots de son succès.
Emblématique de la région du Morvan, d’où viennent mes racines familiales, Bernard Loiseau était parfois miné de l’intérieur. Il avait l’amour des gens et le respect du client y compris s’il se nommait François Mitterrand.
L’écrivain Francis Scott Fitzgerald a su écrire : « Montrez-moi un héros, je vous écrirai une tragédie« . De l’extérieur, à 6 000 pieds en avion, la vie de l’ami Bernard est une collection de réussite qui suscite presque la migraine. Sur le plancher que les vaches charolaises broutent, on sent bien qu’il y a eu – pour prendre une expression célèbre dans le monde entier – « des pleurs et des grincements de dents« .
Reprendre l’extraordinaire Maison d’Alexandre Dumaine (qui fût derrière les fourneaux de Saulieu de 1935 à 1964) était un pari insensé. Saulieu était alors une ville étape pour les gens fortunés qui descendaient vers le Midi en sifflotant une chanson de Charles Trenet. Elle a incontestablement souffert de l’aboutissement de l’autoroute du Sud et pourtant les chiffres attestent que bien des clients faisaient le détour et s’arrêtaient encore et toujours chez Loiseau.
Table rare ? Incontestablement. Table qui fait honneur au produit comme Coutanceau à La Rochelle. Oui, sans aucun doute.
Par son charisme et son respect des Autres, Bernard Loiseau avait une palette inoxydable de fournisseurs locaux et était un précurseur en matière d’économie locale voire de pure économie circulaire.
Ses « jambonnettes de grenouilles à la purée d’ail et au jus de persil » sont et demeurent un régal pour les papilles. Tandis que ses volailles demeurent de belle facture. La Bresse d’Arnaud Montebourg n’est pas loin.
Certains savent se souvenir, et il le faut, du discours du président Mitterrand au début du mois de mai 1993 à l’intention du Premier ministre défunt Pierre Bérégovoy. Il avait visé les « chiens » et la meute affectant le repos éternel de son ami.
Pour ceux qui ont violé le calme requis aux conditions brutales du départ de Monsieur Loiseau, j’oppose un certain écœurement et je souligne que le Groupe Bernard Loiseau nous offre un développement remarquable. Dans les villes de Beaune, Dijon et récemment Besançon managée par une autre fille de Bernard en la personne de Blanche.
Tout ceci apporte la preuve éclatante que le fondateur a su générer des successeurs, mieux : des disciples !
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique
Photo : Nigel Jarvis/Shutterstock.com