A l’occasion du 225ème anniversaire du procès de Marie-Antoinette, s’est tenue jusqu’au 16 octobre à la Chapelle Expiatoire, square Louis XVI à Paris, une exposition intitulée « Chauveau-Lagarde, avocat de Marie-Antoinette. Un défenseur au tribunal révolutionnaire ». La Revue Politique et Parlementaire a souhaité consacrer un article à cet illustre et courageux avocat.

Pour les Parisiens ce n’est guère plus qu’un nom de rue du VIIIème arrondissement donnant sur le boulevard Malesherbes. Le rapprochement est doublement bien venu ; l’un et l’autre furent de brillants avocats ; le second est resté dans l’histoire pour avoir, entre autres, sans illusions sur l’issue, tenté de défendre Louis XVI, exposant sa propre vie et celle de ses proches ; il fut arrêté en son château de Malesherbes en décembre 1793 et guillotiné au printemps 1794 en même temps que sa fille, son gendre, sa petite-fille Aline de Rosanbo et le mari de celle-ci, Jean-Baptiste de Chateaubriand, frère de l’écrivain ; le premier eût à défendre l’épouse, reine de France de son état, sans que la fin de l’accusée fût plus enviable. Au moins, lui, préserva-t-il sa vie, de justesse, oublié quelques semaines dans une prison de la Grande Terreur et sauvé par la chute du tyran.
Claude-François Chauveau-Lagarde (1756-1841) fut un de ces nombreux hommes de qualité qui servirent leur patrie avec honneur et talent tout en restant discrets, le plus souvent par nature, parfois par nécessité. D’un naturel enjoué, dévoué et fidèle en amitié, il demeura selon ses contemporains, confrères ou amis, d’une grande modestie. On sait à cette époque où se trouvait la terreur ; peut-être moins où se cachait la vertu. Même s’il avait accumulé quelques notes, encore inédites, à cette fin, Il n’a pas laissé, comme d’autres, de Mémoires le présentant sous un jour avantageux ; ses papiers personnels sont conservés aux Archives nationales ; son seul portrait connu, récemment acquis en vente publique par un grand avocat parisien, a été peint par Césarine Davin-Mirvault (1773-1844) dont la notoriété n’a guère dépassé le 19ème siècle. Pourtant, né le 21 janvier 1756 à Chartres, de Pierre Chauveau, maître-perruquier et de Marie-Magdeleine Lagarde, il mena une brillante carrière d’avocat puis de magistrat qui lui fît traverser, non sans risques, la période la plus tourmentée de l’histoire de France.

Doué d’une grande éloquence, il fut reçu avocat au Parlement de Paris le 5 mai 1783. Il en devînt rapidement l’un des juristes les plus connus et se montra, dans un premier temps, favorable aux idées nouvelles, en publiant en 1789 une « Théorie des Etats généraux ou la France régénérée ». Devenu, selon la terminologie officielle de l’époque appliquée aux avocats, « défenseur officieux », son premier « fait d’armes » fut d’obtenir, le 16 mai 1793, l’acquittement à l’unanimité de son ami le Général Miranda devant le Tribunal révolutionnaire, alors il est vrai – ce le sera moins plus tard – encore animé de quelques lueurs raisonnables dans sa façon de rendre la justice. Ce succès inattendu, appuyé sur une brillante plaidoirie, qui innocentait l’ancien aide de camp de Dumouriez, accusé d’avoir trahi la République, lui valut en quelque sorte un premier avertissement sans frais : Marat dirigea ses foudres contre lui, l’accusant d’avoir fait libérer un scélérat et le désignant à la vindicte du peuple. Chauveau Lagarde répondît par une lettre courageuse, pour ne pas dire téméraire dans le contexte, qu’il eût l’audace de faire afficher à la porte du tribun.
La mise en place de la Terreur ne le vît ni trembler ni fléchir pour autant. La liste des cas, le plus souvent désespérés, qu’il accepta de prendre en charge est impressionnante : Mlle Desille, le duc du Châtelet, Jean Sylvain Bailly ancien maire de Paris ou Mme Roland qui n’avait pas voulu d’avocat. Le cas de Charlotte Corday dont il fut chargé après le désistement de l’un de ses confrères fut délicat à gérer ; devant un public menaçant, il ne put qu’implorer l’indulgence des juges pour une accusée qui n’avait pu contenir le fanatisme politique qui l’habitait. Il faudrait y ajouter bien d’autres dossiers tels celui des « vingt sept défenseurs de Tonnerre » ou celui dit des « vierges de Verdun » qui inspirèrent une ode à Victor Hugo. En octobre 1793, il est le défenseur désigné d’office au procès des Girondins – dont fait partie son ami et collègue Brissot de Warville, chartrais comme lui – traduits devant le tribunal révolutionnaire par décret du 13 Vendémiaire an II ; quelques mois plus tard, le 9 mai 1794, il doit assister Madame Elizabeth, mais prévenu seulement la veille du jugement, il ne peut communiquer avec elle et doit se limiter à faire l’éloge des vertus de l’accusée, ce que lui reprochera le président du tribunal, l’accusant de ce fait d’avoir corrompu la morale publique.

Mais c’est pour la prise en charge d’une autre cause, elle aussi perdue d’avance, qu’il restera célèbre. Le 14 octobre 1793 il est désigné d’office, assisté de son collègue Tronson du Coudray, pour défendre la reine. Il la rencontre la veille de la comparution et rédige dans la nuit une plaidoirie dont le texte intégral ne nous est pas parvenu. Les deux avocats se répartissent le travail. Pendant que Tronson répond aux accusations de complicité avec les ennemis de l’intérieur, Chauveau-Lagarde tente de mettre à bas celles relevant du chef d’inculpation d’intelligence avec l’étranger. Avec panache et un brin de témérité, face à Fouquier-Tinville, il achève en déclarant : « Rien ne saurait égaler l’apparente gravité de l’accusation, si ce n’est peut-être la ridicule nullité des preuves ». Elle montera à l’échafaud le 16. Son plaidoyer fût-il sinon trop brillant du moins trop chaleureux ? La sentence prononcée, Chauveau-Lagarde est, avec Tronson, convoqué devant le Comité de sûreté générale qui cherche à savoir quels secrets la reine aurait pu leur confier. Ayant réussi, une fois de plus, à écarter les soupçons, il est, avec son confrère, rapidement libéré.

La suite aurait pu être plus dramatique pour lui. La loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) ayant supprimé le droit pour les accusés à l’assistance d’un avocat, il se retire à Chartres. Il y est cependant rapidement arrêté et ramené à Paris, accusé d’avoir fait preuve de trop d’indulgence à l’égard des contre-révolutionnaires. Alors qu’il devait être jugé dans les trois jours, il reste six semaines, oublié à la Conciergerie, pendant lesquelles il se fait très discret. Le 9 thermidor le sauvera comme tant d’autres. Il est libéré dix jours après la chute de Robespierre. En 1795, accusé d’être mêlé à l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire (5 octobre 1795) il est condamné à mort par contumace. Une fois la tempête passée il se constitue prisonnier, est jugé et acquitté.
Dans une France revenue à un fonctionnement plus normal, il reprend alors sa profession au profit de causes qui cette fois ne sont pas toutes perdues d’avance. On n’en citera que quelques-unes parmi les plus célèbres : l’impératrice Joséphine, dont il préserve au mieux les intérêts lors de son divorce d’avec Napoléon, la défense de l’abbé Charles Brottier, du général Bonnaire, du général Jourdain devant un conseil de guerre, de maître François-André Isambert avec qui il s’associera en 1826 dans ce qui fut sa dernière affaire, celle dite des déportés de la Martinique (Bissette, Volny et Fabien).
Chevalier de la Légion d’honneur et avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation sous l’Empire, avocat au Conseil du Roi et président du Conseil de l’ordre des avocats puis Conseiller à la Cour de Cassation sous la Restauration, il meurt le 20 février 1841 à Paris. Il est inhumé au cimetière du Montparnasse où sa pierre tombale rappelle le souvenir de son procès le plus célèbre.
Alain Meininger
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