Partie du col du Grand Saint Bernard, Clara Gaymard a traversé les chemins de la Francigena. Elle en a fait un lumineux récit de voyage “Ma Francigena” (L’Editeur à part). Avec poésie, elle dévoile son cheminement. Entretien.
Revue Politique et Parlementaire – Qu’êtes-vous allée chercher sur les chemins de la Francigena ?
Clara Gaymard – Je ne suis pas allée chercher quelque chose. Je n’étais pas en quête d’efforts, de réponses à des questions existentielles. Je voulais simplement vivre pleinement l’harmonie de la nature et de la vie de l’homme, découvrir les trésors cachés des villages oubliés qui ne se dévoilent qu’aux creux des chemins, communier au grand verger de l’Italie et me laisser guider par les pas, l’envie, la curiosité, la faim, la soif, le sommeil. Toutes ces choses si simples et oubliées dans nos vies construites dans le béton et la performance.
RPP – En quoi ces chemins vous ont-ils (ré)appris à vous émerveiller ?
Clara Gaymard – Plus que l’émerveillement, c’est la joie, une joie profonde qui vient de la communion, de l’harmonie avec le paysage, la nature. L’effort certes, mais surtout la lenteur donne aux arbres, à la lumière, aux prairies, aux chemins des reliefs et des détails, des jeux de couleurs qui enchantent le Vivant.
RPP – Loin des centres, loin de l’agitation, est-on vivant autrement ? L’est-on d’avantage ?
Clara Gaymard – Ce qui m’a frappée c’est la laideur des nouveaux faubourgs modernes : les supermarchés et les ronds points qui créent une barrière infranchissable pour le piéton qui va vers le centre ville. Comme si, ces soixante dix dernières années nous avions tout sacrifié au temple de la consommation et fabriqué l’exclusion par la laideur.
RPP – Acceptons-nous encore de nous laisser porter par l’inconnu ? Par l’imprévu ?
Clara Gaymard – Oui se laisser habiter par l’inconnu. Être soi même l’invisible, l’ignoré, la personne de passage, que personne n’attend donne une saveur particulière à l’instant présent. Le pas d’après verra d’autres paysages, d’autres gens, entendra d’autres paroles. Cette façon de glisser lentement sur le fil de la vie, sans savoir ce qu’il y aura après le prochain virage est un cadeau oublié de nos vies aseptisées et programmées.
RPP – En quoi cultiver son regard d’enfant nous aide-t-il à être pleinement là ?
Clara Gaymard – L’enfant, le corps sont les rois de la marche. Nos oubliés deviennent les maîtres. Réapprendre à entendre le chant de l’oiseau, sentir l’herbe qui chatouille la cheville, la pente qui rudoie les mollets, le plaisir de mordre dans une focaccia quand la faim se fait sentir et rien d’autre qu’être vivante et de participer au grand tout. La moindre fleur, la statue d’une chapelle oubliée tout devient un objet d’admiration et de joie enfantine.
Propos recueillis par Mathilde Aubinaud