Quelle période désespérante que celle que nous vivons au cours de ces deux récentes campagnes électorales… Suite au refus obstiné présidentiel de rechercher une majorité d’idées à l’Assemblée après avoir usé encore et encore de l’arme de l’article 49-3, voici le résultat parfaitement prévisible du succès du RN au premier tour qui sera forcément suivi, après le suivant, de la recherche… de majorités d’idées au Parlement.
Dans l’immédiat, le chœur des vierges entonne sur tous les plateaux télévisuels et dans maintes tribunes l’appel au rassemblement républicain pour « faire barrage ». Foin des programmes et des projets, l’unique motif de ce rassemblement de circonstance est de faire fi d’environ dix millions de voix qui n’appartiennent pas qu’à des imbéciles et des racistes, voire des fachistes. Porté par une grande partie du milieu médiatico-politique, cet appel vise surtout, comme depuis 1986 et la sinistre réforme électorale voulue par F. Mitterrand – dont le but tactique avait bien été avoué, ultérieurement, par le regretté Roland Dumas –, à suivre le précepte énoncé dans Le Guépard : « pour que tout reste comme avant, il faut que tout change ». Pour que les bénéficiaires de la mondialisation continuent d’en profiter au maximum, pour que la classe politique puisse poursuivre ses disputes intestines infructueuses, pour que les médias veillent à n’évoquer que ce qui est susceptible de « faire le buzz », il faut que les citoyens ignares veuillent bien suivre, sans sourciller, les « consignes » de vote qu’on leur donne ; et plutôt, sans qu’ils attendent de tout cela les réels changements profonds qu’imposent les circonstances internationales et nationales.
Cette vaine agitation ne peut faire oublier la vacuité des programmes électoraux élaborés à la va-vite sur bien des sujets qui auraient mérité réflexion et patiente méditation. Nul n’ignore que, depuis des années déjà, les systèmes national et international sont à bout de souffle. Pour l’essentiel, ils sont les conséquences des grandes décisions prises après la Seconde Guerre mondiale et au cours des années ‘60, dans un contexte totalement différent de l’actuel. Tout a changé : la population d’abord tant dans sa composition que dans sa répartition, les institutions, la vie quotidienne, l’économie, le mode de vie, la culture… C’est pourquoi au plan mondial, une réforme majeure de l’ONU est à l’ordre du jour, comme ça l’est pour l’Union européenne, quoiqu’on puisse en penser.
Sur le site de notre Mission permanente auprès des Nations Unies[1], on lit que « La France soutient la réforme engagée par le secrétaire général », laquelle est structurée autour de trois thèmes majeurs : le développement, la paix et la sécurité, la gestion.
Parfait ! Qui en parle en France pendant cette campagne électorale ? Qui explique aux Français les enjeux et les choix qui se présentent à nous ? Pourtant, António Guterres a ainsi défini l’esprit général qui doit conduire à la réussite de cette réforme fondamentale : « « Notre objectif doit être un système des Nations Unies pour le développement d’un XXIe siècle davantage tourné vers l’humain que vers les procédures. Le véritable test de cette réforme se traduira par des résultats tangibles dans la vie des personnes que nous servons – et par la confiance de ceux qui soutiennent notre travail. » N’est-ce pas là un thème essentiel qui devrait emplir les vains débats électoraux actuels ?
Tournons-nous maintenant vers notre Europe et le processus en cours de révision des traités[2]. Fin novembre 2023, le Parlement de Strasbourg fixait ainsi les objectifs à atteindre :
- Des changements pour donner davantage la parole aux citoyens et créer une Union européenne plus efficace
- Une adaptation du processus législatif aux enjeux actuels
- Des propositions concrètes pour tous les domaines d’action et une meilleure coopération dans les domaines clés
- Le Parlement attend du Conseil européen qu’il appelle à une Convention pour la révision des traités en décembre
Parfait ! Mais qui a évoqué cela en détail, tant au cours de la campagne en vue des élections européennes que des législatives ? Parmi toutes les critiques banales opposées à « l’Europe » par les uns et les autres, qui s’est attelé à faire des propositions concrètes aux citoyens ?
Dans les deux cas, l’humain, le citoyen est placé au centre des préoccupations et croit-on qu’il suffit, une fois de plus, d’opposer à ces nobles ambitions un sempiternel mépris sceptique pour que les problèmes soient résolus ? Ceux qui dédaignent de se saisir de ces occasions rares au prétexte que cela ne servira pas à grand-chose sont directement et personnellement responsables du marasme politique français actuel, car ils négligent le principal de la politique qu’ils prétendent si bien connaître et pratiquer : faire rêver d’un monde meilleur. Et il faudrait les croire quand ils réclament qu’on les élise pour « faire barrage » ?! Quel barrage sont-ils donc prêts à construire, eux ? Quels projets sont-ils décidés à réaliser pour atteindre les objectifs attribués à ces deux réformes majeures ? Et, puisque la même urgence atteint nos institutions nationales, d’après quels principes directeurs, sont-ils disposés à travailler pour rénover notre Constitution affaiblie ? Autant de questions dont les réponses seront décisives pour l’avenir du pays et que l’on n’aborde pas sereinement, sincèrement et complètement, y compris depuis les campagnes pour les élections européennes et nationales. Sans doute parce qu’un snobisme aveugle, imposé à tous par une minorité qui se pense mieux informée et plus compétente interdit, depuis des années, qu’on aborde les vrais sujets institutionnels en France et non pas des réformettes sociétales par lesquelles on veut modifier une Constitution qui nécessite bien autre chose.
Pour commencer la construction d’un édifice, il faut d’abord s’occuper de ses fondations. Or, celles de la France, ce sont ses « collectivités territoriales de la République ». L’enjeu est crucial et, par chance (!), d’innombrables études en ont tracé les contours… sans jamais aboutir à la réforme fondamentale nécessaire. Il y a bien longtemps, autour du XIIᵉ siècle, l’embryon de notre pays a vu se développer ce qu’on a appelé plus tard le mouvement communal, c’est-à-dire une évolution généralisée des institutions locales de manière certes désordonnée, mais inspirée, le plus souvent, par un désir démocratique puissant. Comme l’a pertinemment observé un auteur avisé du XIXᵉ siècle, ce mouvement « n’avait nullement pour but de créer en France un système administratif et municipal ; ses causes et son origine appartiennent à un ordre d’idées plus élevées.[3] » C’est bien de cela dont il s’agit à présent : « un ordre d’idées plus élevées » ! Restaurer les bases de l’édifice républicain n’a rien à voir avec des aménagements de banale technique administrative. Il faut, au contraire, avoir à l’esprit de traduire en une organisation concrète et fiable, les principes républicains au premier rang desquels on doit placer celui déjà écrit dans notre Constitution, à savoir le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »
Des propositions ont déjà été faites, telles que celles publiées par le club Marc Bloch en 2018[4] et actualisées cette année. Elles sont à la disposition de tous ceux qui voudront bien, oubliant les querelles de clocher et les intérêts personnels, s’attacher à l’essentiel pendant quelque temps ; après tout, nos ancêtres révolutionnaires mirent moins de six mois à concevoir l’actuelle organisation territoriale dont la réforme s’impose à nouveau aujourd’hui.
Hugues Clepkens
[1]https://onu.delegfrance.org/La-reforme-de-l-ONU
[2]https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20231117IPR12217/avenir-de-l-ue-les-propositions-du-parlement-pour-modifier-les-traites
[3]Emile Monnet, Histoire de l’administration provinciale, départementale et communale en France, 1883
[4]Citoyen ! Plaidoyer pour une démocratie locale renouvelée, Edit. L’Harmattan