Face à la montée des nationalismes et des populismes, la culture peut-elle encore sauver l’Europe ? s’interroge Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand, pour la Revue Politique et Parlementaire
Cette question peut paraître aberrante dans un continent où l’idée même de civilisation renvoie à un sentiment de culture partagée et à des systèmes continus d’échange de connaissances. Aujourd’hui, cependant, de nombreuses voix s’élèvent, non pas tant pour regretter une énième fois que cette Europe culturelle ait toujours été la grande absente de la construction européenne, mais pour s’alarmer du retour des nationalismes les plus crus et des formes de populismes les plus simplistes qui s’érigent contre l’esprit critique ou toute forme de débat complexe.
L’Europe de la culture n’est certainement pas une Europe des élites contre les peuples. L’Europe de la culture, c’est d’abord la culture européenne elle-même, ferment de notre identité commune par-delà la diversité des États.
L’Europe de la culture n’est pas une affaire de simple supplément d’âme à la construction européenne, mais c’est la base même, le substrat sans lequel il n’y a pas de fondation durable pour le continent.
D’ailleurs la politique culturelle ne peut pas être traitée de manière isolée. Au contraire, elle doit être prise en compte dans l’ensemble des politiques de l’Union européenne La politique régionale, par exemple, soutient le patrimoine local dans le cadre des fonds structurels (ex. : aménagement du site de Carnac).
Le plus grand danger qui guette la cohésion de l’Europe, c’est l’effet cumulatif des peurs identitaires et des peurs de déclassement économique et social. Elles se répondent aujourd’hui de l’est à l’ouest de l’Union. Dès lors, il n’est plus temps de poser la question de l’Europe de la culture en termes seulement institutionnels ou juridiques.
L’Europe de la culture ça marche déjà
Dans le cadre de la promotion de la diversité culturelle et linguistique de l’Europe et de sa compétitivité dans les secteurs culturel, audiovisuel et créatif, le programme Europe créative a été lancé pour relever les défis de l’ère numérique et de la collecte de données. Il mobilise une enveloppe de 1,5 milliard d’euros sur la période 2014-2020.
Désormais cultissime, l’Europe fût bien inspirée de créer le programme Erasmus à la fin des années 1980.
La mobilité des étudiants comme la mobilité des artistes ou des opérateurs culturels dans leur ensemble, mobilité physique ou circulation des idées, restent le meilleur rempart contre tous les obscurantismes et toutes les régressions.
Les institutions contemporaines de l’Union travaillent sur des sujets importants démontrant ainsi aux médias l’efficience de leurs combats. Prenons comme exemple, la réforme du droit d’auteur et des droits voisins, juste rémunération du travail des éditeurs de presse, contenus culturels européens dans les plateformes d’offre de médias numériques ou en ligne. Tous ces sujets sont autant de défis à notre exception et à notre souveraineté culturelle. L’Assemblée nationale française en donnant son feu vert à une proposition de loi a traduit en droit français une partie de la récente réforme européenne du droit d’auteur.
L’Europe de la culture peut faire encore mieux
Les programmes européens en faveur de la culture ne sont pas inintéressants mais ils sont pensés dans les cadres de « l’Europe par l’économie » dont on mesure tous les jours les limites pour créer un véritable sentiment d’appartenance et d’adhésion.
Nous avons surtout besoin de porter plus haut la voix de toutes celles et ceux qui refusent le repli culturel et le protectionnisme identitaire qui nous affaiblissent et nous appauvrissent.
C’est la discussion, le débat, la diversité des opinions, la libre circulation des idées, la liberté de création et de diffusion qui nous rendent plus forts et mieux assurés ensemble.
Dans cet esprit, pourquoi ne pas développer de manière plus volontariste un véritable service public de l’audiovisuel européen à partir de la chaîne Arte existante pour la transformer en une « TV Europe » qui renforcerait le sentiment d’appartenance des citoyens à l’Union par des contenus qualitatifs. Je propose aussi d’étendre ce service public à la radio qui reste un média très populaire dans tous nos Etats. L’Europe se doterait ainsi d’un vrai service de radio-télévision publique diffusant largement des productions européennes sur des supports image et son incluant TV, radio, internet.
Récemment, des écrivains, des représentants du spectacle vivant se sont exprimés pour appeler au réveil des consciences et à une plus grande ouverture des lieux de culture sur leur environnement politique et social. Partout en Europe, des artistes, des responsables d’établissements culturels, des organisateurs de festivals indépendants se mobilisent pour réinventer de nouvelles formes de dialogue, de participation citoyenne, de nouvelles opportunités de création et de diffusion.
Dans ce contexte, les territoires européens, les élus locaux doivent aussi encourager et accompagner ces initiatives.
Je souhaite que partout en Europe, le plus de collectivités possible lancent de nouvelles « Initiatives territoriales pour la culture européenne ». Elles pourraient prendre la forme de résidences territoriales d’artistes de toute discipline ou de chercheurs, en dialogue et en réseau dans l’Union européenne, ou encore de nouvelles expérimentations ou d’initiatives pour l’éducation à l’art et à la culture des nouvelles générations qui feront l’Europe de demain, de nouvelles formes de participation citoyenne aussi.
Je souscris totalement aux propositions de la conférence des présidents d’universités et le rappel qu’ils font du « rôle majeur des universités européennes dans la promotion des valeurs de tolérance, d’ouverture d’esprit, de liberté académique et de solidarité ». Pour renforcer encore les réseaux universitaires européens dans le domaine culturel, pourquoi ne pas initier plus de coopérations entre les universités et l’Institut universitaire européen basé à Florence en Italie. Cet institut est une belle initiative et une belle réussite académique qui regroupe aujourd’hui 26 Etats européens.
Au travers de ses héritages gréco-latin, judéo-chrétien, humaniste, rationaliste, au travers aussi de l’histoire de la construction des identités nationales des États qui la composent, la culture européenne est avant tout une marche réflexive et dynamique.
Elle met en tension des systèmes de pensée qui proviennent de tous ces héritages.
L’Europe n’étant pas un continent fermé ni replié sur lui-même – il ne l’a pas été dans le passé, il ne l’est pas plus aujourd’hui qu’il ne le sera demain – la culture européenne est aussi l’héritière de son histoire méditerranéenne, notamment dans son dialogue avec l’Islam. C’est enfin son histoire de continent-monde dont une critique véritablement partagée en tant qu’histoire européenne et largement diffusée à l’échelle des systèmes éducatifs de tous les États européens reste à consolider.
À l’inverse, vouloir manipuler son Histoire pour réduire l’Europe à une chrétienté plus ou moins fantasmée en tant que fondation de son unité, ou n’y voir au contraire qu’une juxtaposition d’États nationaux dont on sait bien que les rivalités et les volontés de domination finissent toujours par les emporter vers le chaos, ce n’est pas la rendre plus démocratique ou plus « populaire ». C’est l’amputer et la défigurer. À la fin, ce sont toujours les peuples qui perdent à ces jeux dangereux des déséquilibres et des mensonges, ne l’oublions jamais.
Olivier Bianchi
Maire de Clermont-Ferrand