C’est d’abord un échec pour les manœuvres en coulisses et vains plaidoyers du porteur du texte rejeté et un rappel à moins d’arrogance pour l’aile gauche de la macronie qui se targuait imprudemment et prématurément d’avoir détricoté les mesures arrêtées par la majorité de droite sénatoriale afin de donner à ce projet de loi une réelle inflexion dans la direction de la reprise en main de la politique en matière d’immigration souhaitée par une majorité de Français.
C’est aussi une illustration de ce que risque d’avoir à endurer le pays d’ici l’échéance de 2027 avec une majorité à l’Assemblée nationale de moins en moins relative et de plus en plus traversée de courants opposés, fruit d’élections par défaut en 2022 sans véritables débats de choix de société et un pouvoir dépourvu de colonne vertébrale, louvoyant en permanence entre les deux pôles fondamentaux de la vie politique française, la droite et la gauche, qu’il a totalement échoué à rapprocher dans sa poursuite de chimère de fusion impossible, on le voit clairement dans cette problématique de l’absence de maîtrise et de contrôle d’une immigration qui taraude le débat politique, sans être traitée malgré tous ses effets pervers sur la cohésion nationale : l’impossibilité faute d’adhésion solide à travers la représentation parlementaire de mener à bien les réformes nécessaires pour éviter le naufrage prévisible si le pays continue à creuser sa dette abyssale et à fermer les yeux sur les clivages et périls internes et externes qui le minent.
En dépit des ralliements à la macronie peu significatifs, individuels, opportunistes, de ces transfuges sans aura nationale qui ont renié l’ADN de leurs familles politiques d’origine et sont souvent de ce fait perçus comme des traîtres au sein des ex partis de gouvernement dont ils sont issus, la Première ministre n’a pas été capable d’élargir la majorité, un des mandats que lui avait pourtant confié le Président de la République au lendemain des législatives, et qui relèvera de plus en plus de la gageure au fur et à mesure où on se rapprochera du terme du second quinquennat et de la dislocation de la coalition attrape-tout de 2017, très éloignée d’un courant comme le gaullisme et son héritage dans l’histoire politique française.
Ayant pris l’habitude de recourir à l’utilisation du 49.3 auquel une opinion publique de plus en plus désabusée par des jeux politiques dont elle se sent exclue ne prête même plus attention, et constant dans son déni de la fracture qui l’éloigne de plus en plus des électeurs sur la plupart des sujets, notamment celui de l’insécurité et du recul de l’autorité régalienne, le pouvoir n’est même plus en mesure de tirer les leçons de cette gifle de la motion de rejet, qui, pour aussi désagréable soit-elle pour son ego, aurait pu tenir lieu d’électrochoc salvateur dans le bourbier actuel et aurait pu l’aider à prendre conscience de l’urgence à réviser son mode de gouvernance en revenant aux fondamentaux de la Ve République en période de crise et de doutes, tout particulièrement s’en remettre à l’arbitrage du peuple souverain. C’est sans doute ce qu’aurait fait le Général de Gaulle, maintes fois confronté à des défis cruciaux pour la France, mais lui avait une vision et un cap clairs en plaçant toujours au dessus de toutes autres considérations l’intérêt collectif et le respect des électeurs qu’il n’hésitait pas à consulter par voie référendaire à chaque fois que c’était nécessaire et utile pour le bien public.
L’Exécutif, fort peut-être du précédent de la réforme des retraites engrangée contre l’avis d’une majorité de l’opinion française et louée très récemment par le Financial Times comme preuve d’habileté politique ( jusqu’à ce qu’on puisse en vérifier l’efficacité en matière de réduction des déficits à l’horizon de 2030…) a choisi la voie de la Commission mixte paritaire qui aura la redoutable responsabilité d’offrir une échappatoire aux artisans du fiasco du 11 décembre en remettant sur l’ouvrage le texte initial du projet de loi de la majorité de droite sénatoriale à la recherche d’un compromis susceptible d’être voté sans recours final au 49.3 à l’Assemblée nationale.
C’est un choix qui ferme la porte sur une éventuelle dissolution en pariant sur la prédiction qu’il n’y aurait pas de majorité de substitution en France et sur un retour aux urnes pour des électeurs sans doute jugés inaptes à se faire une opinion sur leurs aspirations légitimes, que l’on abreuvera des péripéties oratoires au sein de cette Commission mixte paritaire en attendant un dénouement sans certitude de résolution de ce qui est aussi une forme de crise de confiance dans nos institutions. Mais dans la mesure où ceux qui nous gouvernent sont au pied du mur dans un climat général des plus délétères (- un député de la majorité macronienne aurait même menacé de tondre une de ses consœurs EELV pour crime d’avoir voté comme le RN la motion de rejet ! Les questions au gouvernement donnant littéralement lieu à des scènes d’aboiements que l’on pourrait presque observer dans des arènes de combats de pitt-bulls en forçant un peu le trait… -), les Français ne sont probablement pas au bout de leur surprise en matière de projet de loi sur l’immigration. S’ils ont prêté attention à l’annonce de l’injonction du Conseil d’Etat à faire revenir en France un Ouzbek expulsé parce que la mesure était contraire aux oukases de la CEDH, nul doute que leur exaspération ne fera que croître devant la dérive générale et le besoin de remettre de l’ordre à tous les niveaux dans ce qui relève de la conduite du « cher et vieux pays »…
Le projet de loi sur l’immigration et les péripéties récentes et à venir de sa gestation ne sont finalement qu’une des illustrations des prémices d’une période de fin de règne précoce ou trop longue selon le degré d’optimisme ou de pessimisme que l’on peut ressentir devant la situation de grande confusion traversée par la France aujourd’hui, dans un environnement international des plus incertains.
Pourra-t-on indéfiniment faire l’impasse sur un retour aux urnes, ou a minima sur un remaniement drastique de l’équipe gouvernementale autour d’un cap lisible appuyé sur un socle solide au Parlement pour le concrétiser afin de redresser la situation de la France ? L’avenir nous le dira plus vite qu’on ne l’imaginera dans l’attente d’un hypothétique rendez-vous de l’Exécutif avec la nation au mois de janvier, en constatant que celui qu’on était en droit d’escompter sur le projet de loi sur l’immigration a été proprement bel et bien raté.
Eric Cerf-Mayer
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