Dirigé par Anne de Tinguy, La Russie dans le monde explore la vision que ce pays a de l’étranger en le confrontant à la réalité de la place qu’il tient sur la scène internationale ainsi qu’aux regards portés sur lui par le monde extérieur. En croisant ces regards, cette publication collective a pour but de contribuer à la compréhension de la trajectoire russe. Gaël-Georges Moullec, docteur en histoire contemporaine, a réalisé la recension de cet ouvrage pour la Revue Politique et Parlementaire.
Le volume que nous propose Anne de Tinguy et dix autres spécialistes du monde post-soviétique souhaite contribuer à la «compréhension de la trajectoire russe » dans le monde actuel, voire au-delà des années Poutine. Divisé en trois parties, l’insertion dans le monde, les défis du postsoviétisme et de l’après-guerre froide et le redéploiement de l’influence russe, l’analyse concerne tout autant l’évaluation des politiques russes actuelles que l’évolution des jugements que portent les principaux partenaires, ou concurrents (États-Unis, Europe, Asie) de ce pays sur son action extérieure.
L’introduction d’Anne de Tinguy, claire et argumentée, met en perspective les diverses interprétations de la question et conclut sur l’un des principaux défis géopolitique du début du XXIe siècle : « Russes et Occidentaux apparaissent aujourd’hui englués dans une spirale d’incompréhension et de méfiance » (p. 50).
Dans une vision basée sur l’histoire et proposant des conclusions actuelles, l’article Les perceptions de la Russie au Moyen-Orient : l’impact de la guerre en Syrie, évitant tout manichéisme, conclut de façon claire. Au terme de l’intervention en Syrie, « les perceptions de la Russie ont (…) évolué en sa faveur, moins pour leur attrait du « modèle » qu’elle projette parcimonieusement que pour sa résistance à la politique des États-Unis et de leurs alliés, déconsidérée depuis l’interventionnisme de l’administration de George W. Bush et les atermoiements de Barack Obama » (p. 242).
Si les thèses défendues dans l’article sur « La Russie au miroir des perceptions européennes : entre partenariat et distanciation » peuvent apparaitre à certain comme par trop européistes, le contenu reste clair et propose une périodisation très utile de la relation. Enfin, la seconde partie de la conclusion est éclairante à quelques semaines des élections au Parlement européen : « Pourtant, en réfléchissant un autre modèle, le miroir russe accentue aussi les fragilités, les tensions et les paradoxes auxquels l’Union européenne est confrontée » (p. 188).
L’article sur « la Russie dans l’économie mondiale », balancé, revient sur les forces et les faiblesses de l’économie russe, mais semble toutefois omettre d’intégrer l’analyse des conséquences des sanctions internationales, tout comme des contre-sanctions, pour expliquer l’état actuel de l’économie russe. Néanmoins, l’idée principale de cet article reste pertinente : Si la stagnation économique se prolonge « un accroissement des tensions sociales deviendrait possible. La tentation croitrait alors pour un pouvoir de plus en plus autoritaire de se protéger de la contestation en construisant une image de l’économie qui soit fidèle non pas à ce qu’elle est réellement mais à ce qu’il souhaiterait qu’elle soit » (p. 82).
Novateur, l’article « La Russie dans l’espace culturel mondial » passe en revue les forces et les faiblesses de l’action culturelle russe en particulier dans le domaine contemporain. « Le monde extérieur admire le riche patrimoine historique matériel et culture de la Russie qui lui permet encore de rayonner dans quelques domaines. En revanche les positions russes s’érodent inexorablement car sa notoriété internationale se base sur les acquis du passé… L’affirmation de sa puissance culturelle sur le scène internationale est aujourd’hui un véritable défi pour la Russie » (p109-110).
Cette enquête – fouillée et pointilliste – nous informe sur les principaux éléments de la politique extérieure de la Russie en négligeant peut-être toutefois le fait que la politique des dirigeants russes est aussi une réponse, en miroir, à l’action des autres puissances à l’égard de ce pays.
En fait, le retour de la Russie sur la scène mondiale est à l’exacte mesure du confinement et de l’abaissement dans lequel l’Occident, par un ensemble de coopérations inégales, avait voulu la maintenir au cours des trente dernières années.
La Russie dans le monde
Anne de Tinguy (sous la direction de)
Paris, CNRS Éditions, 2019, 286 p.