Etonnants parcours que ceux de ces félons, transfuges et autres indécis aux convictions réversibles qu’on a surnommés, au fil des époques, girouettes, moulins à vent, matois, caméléons, opportunistes, Saxons ou jaunes ! Entre idéaux bafoués et réalités mouvantes, « L’art de retourner sa veste » de Bruno fuligni rappelle ce que la grande Histoire doit à la versatilité des hommes.
L’art de retourner sa veste est pratiqué en politique depuis la nuit des temps. Il est rare qu’un individu, dans l’histoire, garde les mêmes options politiques, demeure dans la même famille politique. Pour survivre, franchir les obstacles, résister au flux de l’histoire, il faut parfois se montrer habile. C’est ce qu’ont fait beaucoup de personnages. Mais « l’Histoire est plus maligne que tous les politiciens de la terre. Malgré leur habileté, elle se joue de ces transfuges et autres indécis aux convictions variables qu’on a appelés au fil des époques, girouettes, moulins à vent, matois, caméléons, opportunistes, Saxons, toupies hollandaises, jaunes : autant d’ambitieux que la mémoire oublie et de félons devenus Historiques » écrit l’historien Bruno Fuligni qui raconte dans cet ouvrage l’inconstance des choix de certains hommes célèbres, leur retournement de veste par ambition, vénalité, goût du pouvoir…
Tout au long de cet essai, nous suivons avec intérêt le parcours de ces personnages, girouettes, opportunistes aux « convictions réversibles » qui ont traversé l’échiquier politique. Bruno Fuligni les classe en plusieurs catégories d’hommes publics dont il faut distinguer les motivations. La moins glorieuse est la famille des « girouettes vénales » qui changent de camp pour des avantages matériels. À l’opposé, les « girouettes cérébrales » qui évoluent sur des exigences intellectuelles qui peuvent les éloigner du pouvoir en place, au profit d’un idéal utopique difficile à atteindre : Victor Hugo, Jean Jaurès illustrent cette forme de mobilité « presque désintéressée ». Victor Hugo passe du monarchisme au socialisme et déclare qu’il est normal de changer d’avis « les faits vous amènent à modifier votre réflexion » disait-il.
« L’esprit critique en moins mais aussi peu politiques viennent les « girouettes dogmatiques » à l’instar de Gustave Hervé, Marcel Déat, Henri Barbé, Pierre Célor ou Roger Garaudy qui ressentent le besoin de croire, quelque soit la croyance et peuvent passer d’un catéchisme à un autre sans cesser de se trouver en terrain de connaissance ».
À leurs cotés, on peut distinguer une catégorie spéciale des « girouettes aventureuses qui ont besoin de combats et se trouvent des causes à défendre au mépris de toute prudence, comme le général Cluseret, Jacques Doriot ou encore Gilbert Pradet ».
Plus pragmatiques sont les « girouettes opportunistes » les seuls à véritablement rechercher « le pouvoir politique et lui seul » : Mirabeau, Talleyrand, Gambetta, Edgar Faure.
Les portraits réalisés par Bruno Fuligni de « l’énigmatique Mirabeau » et de Talleyrand sont saisissants. Personnage complexe, Mirabeau a connu bien des retournements : il vient de la noblesse et passe du côté de la bourgeoisie. Celui qui fut l’âme de la Révolution avait accepté de l’argent de Louis XVI pour ménager la monarchie. Il aurait exprimé à la fin de sa vie : « Je suis payé, mais je ne suis pas vendu », autrement dit, il a touché de l’argent, mais a mené sa propre politique. Nous retrouvons ce même raisonnement habile chez Talleyrand qui a servi plusieurs régimes : la monarchie absolue, puis la monarchie constitutionnelle, la République, le Consulat, le Directoire, l’Empire, la Restauration… En 1830, c’est une nouvelle monarchie constitutionnelle. Talleyrand demeure. Il se considère comme une puissance au secours du pouvoir et de la France.
Nous rencontrons également des figures étonnantes qui ont un point commun avec les politiciens, l’ambition qui les rattache au monde des girouettes et des faux-semblants, comme Jules Verne : conservateur d’abord, anti-républicain, il se fera élire au conseil municipal d’Amiens sur la liste républicaine radicale.
Un grand peintre figure au nombre des « girouettes parmi les politiciens troubles et littérateurs courtisans » : David, célèbre notamment pour ses tableaux à la gloire de Napoléon dont il a immortalisé les dates marquantes de son parcours, notamment le « sacre de Napoléon »… Mais les chefs-d’œuvre de David consacrés à la propagande bonapartiste marquent en fait l’accomplissement d’une carrière originale, qui mélange l’art et la politique, confusion des genres qui l’a mené du roi Louis XVI – dont il a voté la mort en parfait opportuniste – à Robespierre et de Robespierre à Napoléon.
L’historien Bruno Fuligni, auteur de vingt livres sur l’histoire politique de la France, nous livre dans cet essai des portraits bien ciselés pour expliquer en bon pédagogue l’art de retourner sa veste, thème récurrent durant les périodes électorales. « Chaque élection électorale a ses défections et ses ralliements, chaque rupture historique suscite le chassé croisé des révisions et des reniements. L’enjeu pour l’avenir n’est donc pas de faire disparaître les girouettes, mais au contraire de les rendre visibles […] car une girouette invisible n’est plus une girouette. Et un État sans girouettes n’est plus une démocratie » conclut l’auteur.
L’art de retourner sa veste
De l’inconstance en politique
Bruno Fuligni
Editions La librairie Vuibert, 2016
300 p. – 19,90 €