Au fil des décennies, le festival de La Chaise Dieu ne cesse d’incarner la symbiose, évidente et sereine, entre l’art de vivre d’une région, son patrimoine paysager préservé, un leg architectural d’exception, religieux dans le cas présent et les musiques qu’elle accueille.

La Haute-Loire et le Puy-de-Dôme peuvent en effet à juste titre s’enorgueillir de posséder quelques-unes des plus belles églises romanes des « Royaumes d’Occident », pour reprendre le titre du volume de la collection de l’ « Univers des Formes », jadis créée par André Malraux, qui traite du sujet. Celles-ci, (Saint Saturnin, Orcival, Saint Nectaire, Saint-Austremoine d’Issoire et Notre-Dame-du-Port de Clermont-Ferrand) datées pour la plupart de la première moitié du XIIe siècle, souvent qualifiées de majeures du fait de leur homogénéité de conception, de la polychromie de leur appareillage de pierres, de leurs clochers octogonaux et de leur célèbre plan « barlong », demeurent cependant, du fait de leur éloignement relatif de l’épicentre du festival, en marge de ces manifestations musicales de haute tenue.

Le mélomane averti, souvent doublé d’un admirateur du patrimoine, qui forme les gros bataillons du public festivalier de la Chaise-Dieu devra donc, si l’on peut dire, se « contenter », s’agissant en tout cas des concerts payants, de ces lieux magnifiques et chargés d’histoire que sont la Halle aux grains et la Basilique Saint-Julien de Brioude, la cathédrale Notre-Dame du Puy-en-Velay, la collégiale Saint-Georges de Saint-Paulien, l’église Saint-André de Lavaudieu, l’église Saint-Gilles de Chamalières-sur-Loire et bien sûr l’abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu, lieu fondateur et, pourrait-on dire, identitaire de ce rendez-vous annuel. Assister au Festival constitue donc une opportunité de redécouvrir l’église et le cloître roman de l’authentique village de Lavaudieu ou la saisissante basilique Saint-Julien de Brioude dont l’accoustique ne le cède en rien à l’esthétique ; de même se doit-on de (re)visiter l’ensemble abbatial de La Chaise-Dieu, sur lequel veille depuis près de sept siècles le gisant en marbre de Carrare de Clément VI, et où les deux premières tapisseries, dont une splendide « Résurrection » – parties intégrantes d’un ensemble de quatorze scènes consacrées à l’ancien et au nouveau testament, incrustées de fils d’or et d’argent – sont revenues après plusieurs années d’une restauration aussi minutieuse que réussie.

Ancrée dans les gènes du Festival, la musique sacrée s’est, cette année encore, taillée une place de choix. Il fut souvent dit que Mendelssohn était fasciné par le maître de Halle sur Saale, devenu sujet anglais sur le tard ; en ouverture nous fut donc offert l’oratorio « Israël en Egypte » de Haendel, dans l’arrangement de Felix Mendelssohn, retrouvé en 2014 à l’état de fragments disséminés à travers l’Europe et reconstitué par Robert King qui en a donné à la tête du « King’s Consort » une interprétation qui a enchanté l’abbatiale Saint-Robert. Diffusée en direct sur France-Musique, cette version « revisitée », pour ne pas dire réécrite, d’un des plus beaux oratorios de Haendel s’éloigne, certes largement, par ses hybridations, ses ajouts, ses modifications orchestrales et linguistiques et son caractère grandiose, de l’économie de moyens qui structure l’œuvre originelle. Celle-ci en ressort profondément transformée, au point comme il fut dit de changer d’univers mais les inconditionnels de Haendel ne peuvent que reconnaître le caractère surprenant mais néanmoins séduisant du résultat.
Toujours au titre de la musique sacrée, mention doit être faite de la « Messe en si » de J-S Bach donnée en l’abbatiale par l’ensemble Akadêmia. La partition est aussi monumentale qu’énigmatique, et ne fut achevée par le Cantor de Leipzig que quelques mois avant sa mort après vingt ans de gestation ; connue pour n’avoir jamais été donnée à l’occasion d’une messe du fait de sa longueur, inadaptée à la liturgie luthérienne et probablement injouable telle quelle du vivant du compositeur, elle n’en constitue pas moins une forme de testament d’une beauté fascinante. A la baguette, Françoise Lasserre, fidèle du Festival, qui a fait le choix à cette occasion d’un chœur composé de solistes appuyé sur une phalange orchestrale puissante et colorée, nous en a donné trois heures durant une version qui restera dans les mémoires. On se gardera d’oublier la « Création » de Haydn avec Laurence Equilbey à la tête de l’ « Accentus et Insula Orchestra » et l’interprétation par le désormais très célèbre « Cercle de l’Harmonie », sous la direction de son chef charismatique Jérémie Rhorer, du « Christ au Mont des Oliviers », unique oratorio de Beethoven. Enfin mention spéciale doit être faite de la très séduisante représentation des trois « Histoires sacrées » de Marc-Antoine Charpentier par l’ensemble « Correspondances » de Sébastien Daucé, dans ce qui se présente non comme une mise en scène, difficile en l’abbatiale, mais une mise en espace à la poésie sobrement évocatrice avec ses quelques éléments de décor judicieusement utilisés. Cette innovation est parfaitement maîtrisée par Vincent Huguet dont on rappelle qu’il a, entre autres, mis en scène un « Lakmé » à Montpellier avec Sabine Devieilhe à ses débuts dans le rôle-titre, ou dirigé les reprises de l’Elektra de Patrice Chéreau, que nombre d’entre nous avions pu voir en 2013 au Festival d’Aix en Provence.

La musique française était à l’honneur en cette 52e édition, à l’occasion de la célébration du 350e anniversaire de la naissance de François Couperin et du centenaire de la mort de Claude Debussy. Du second, Philippe Cassard nous a offert l’intégrale de l’œuvre pour piano tandis que Benjamin Alard donnait à l’auditorium Cziffra quelques belles pages du premier, extraites de l’« Art de toucher le clavecin ». La musique de chambre était évidemment de la partie avec, entre autres, le trio Wanderer qui a bâti un programme autour de Haydn, Ravel et Schubert. Mentionnons également la venue de deux de nos orchestres symphoniques nationaux, celui de Bordeaux-Aquitaine et celui de Lille, ainsi que celle de l’orchestre d’Odensee (Danemark) qui, en plus d’œuvres de Sibelius et de Nielsen, a gratifié le festival d’une « Pathétique » de Tchaïkovski dans laquelle, sous la baguette de son chef titulaire, nous l’avions entendu quelques jours plus tôt au festival de La Roque d’Anthéron.
Enfin, Haendel toujours et J.S. Bach encore ; nous ne conclurons pas sans mentionner le très beau concert donné le 21 août en l’abbatiale à 16h30, intitulé « Haendel romain » avec un émouvant « Salve Regina » du maître et celui dédié aux cantates de Bach qui s’est tenu le 23 sous les voûtes polychromes de Saint-Julien de Brioude. La magnifique basse Michael Volle, magistralement accompagné par l’Akademie für Alte Musik de Berlin, dirigée par Raphael Alpermann, a fait vibrer les laves andésites, les arkoses blondes et les grès rosés de la Basilique dans de superbes interprétations des cantates BWV 82, BWV 158 et BWV 56.
Au final, une très séduisante 52e édition, fidèle à la ligne choisie depuis les origines, et servie cette année par une météo clémente propice à la découverte de la région, qui ne peut qu’inciter à revenir.
Alain Meininger