En 2000, Alexandre Wattin découvre une pépite littéraire enregistrée jusque-là parmi les articles d’érudition militaire alors qu’il s’agissait d’une admirable pièce de théâtre écrite par le capitaine de Gaulle en 1927 et tombée dans l’oubli.
Alors que l’on admettait avoir tout lu et tout étudié de l’œuvre magistrale de Charles de Gaulle, qu’elle ne fut pas ma surprise en automne 2000 de découvrir une pépite littéraire enregistrée jusque-là parmi les articles d’érudition militaire : Le Flambeau, pièce de théâtre écrite par le capitaine de Gaulle en 1927. Avec l’accord de l’Amiral Philippe de Gaulle, Le Flambeau est alors sorti de l’oubli. Aussi, afin d’honorer la mémoire du Général de Gaulle, en cette année du 130ème anniversaire de sa naissance et du 50ème anniversaire de sa mort, la réédition du Flambeau, devrait assurément intéresser toutes celles et ceux qui s’intéressent à étudier la vie et les écrits de ce personnage déjà entré dans la légende1.
Dès son plus jeune âge, Charles de Gaulle baigne dans un univers familial littéraire. Son intérêt et son inclinaison pour les lettres, tout comme sa vocation d’écrivain naissent à cette époque. Son premier écrit est un texte « prémonitoire » d’une vingtaine de pages intitulé La Campagne d’Allemagne où il se représente déjà commandant d’une armée en 1930, levée pour défendre la France contre l’envahisseur allemand2. Il a tout juste 15 ans ! Sous le pseudonyme de Charles de Lugale, il rédige d’autres écrits dont une petite saynète comique, publiée en 1906, qui met aux prises un bourgeois et un brigand qui s’intitule : Une Mauvaise rencontre3.
Bien que féru d’histoire et de lettres, il choisit néanmoins le métier des armes.
Entre les années 1920 et 1930, de Gaulle écrit et publie de nombreux articles dans plusieurs journaux, dont la Revue militaire française. En 1924, le capitaine de Gaulle rédige son premier ouvrage : La discorde chez l’ennemi4.
D’emblée, l’écrivain perce sous l’historien et le politique derrière le militaire, comme le signale si justement Hervé Gaymard dans sa présentation inspirée qui introduit la réédition de cet ouvrage. Lorsqu’il rédige Le Flambeau Charles de Gaulle alors âgé de 37 ans, travaille depuis plusieurs mois, et à la demande du Maréchal Pétain, sur un ouvrage traitant de l’histoire de l’armée française à travers les âges. Il n’est pas interdit de croire que ce fut un effet déclencheur pour la rédaction de cette pièce. Toutefois, et cela en dépit de sa position privilégiée, il est dans l’impérative obligation, comme tout officier breveté de l’École Supérieur de Guerre ayant vocation à obtenir un commandement, d’effectuer un cursus au sein d’un état-Major.
Le capitaine de Gaulle est appelé à rejoindre pour le 5 octobre 1926, le 4ème bureau en charge de l’intendance de l’état-major de l’armée française du Rhin dans la ville de Mayence. De Gaulle fait ainsi partie de ces nombreux officiers qui, au cours de leur carrière, suivent un séjour en zone d’occupation en Allemagne. Ce n’est pas le poste dont il rêvait, mais seuls les premiers du classement de l’École Supérieure de Guerre peuvent prétendre et obtenir un choix plus prestigieux. Quoiqu’il en soit, c’est un passage obligé pour un officier ayant vocation à occuper des hautes fonctions dans la hiérarchie militaire. Après six mois de stage, le capitaine de Gaulle achève remarquablement son passage en terre rhénane. Très bien noté « il est dans les conditions pour une inscription au tableau d’avancement ». Il regagne le cabinet de la vice-présidence du conseil supérieur de guerre5 du Maréchal Pétain où leur coopération se poursuit. Malgré les travaux en faveur du Maréchal, le capitaine de Gaulle se laisse le temps d’écrire des articles dans la Revue Militaire française.
C’est en mars puis en avril 1927, qu’il fera publier le Flambeau dans les numéros 69 et 70 de la Revue militaire.
La pièce dans laquelle il exprime la grandeur et la servitude de l’état de soldat entre les guerres de la Révolution à la seconde Restauration. C’est alors qu’un différend oppose et sépare bientôt les deux hommes sur l’ouvrage qu’a intégralement rédigé de Gaulle. D’heureuses nouvelles vont malgré cela réjouir Charles de Gaulle. Il est d’abord promu chef de bataillon au choix le 25 septembre 1927 et prendra le commandement du 19ème bataillon de chasseurs alpins6 de la 9ème demi brigade de chasseurs à Trèves le 15 octobre 1927 ; en outre, son épouse Yvonne attend leur troisième enfant.
Alors que pour certains biographes du Général son incontestable carrière d’écrivain commence clairement qu’avec ces Mémoires de guerre, le Flambeau comme le souligne justement Pierre Gueniffey : « …fait en quelque sorte le lien entre les premiers essais littéraires et les œuvres de maturité que sont Vers l’armée de métier et La France et son armée » qui sont unanimement reconnus pour être des œuvres de référence dans leur domaine.« On a mis en évidence son sens du mot exact, sa maîtrise du vocabulaire qu’agrémente un brin d’archaïsme lorsqu’il fait revivre avec bonheur des mots oubliés ».
Œuvre de la parole et théâtre narratif, Le Flambeau est une pièce en trois scènes que l’on dénomme aujourd’hui théâtre-témoignage.
La pièce entraîne les lecteurs successivement à travers différentes périodes essentielles de l’histoire militaire française pour un voyage dans le temps.
Le Flambeau compile ainsi trois dialogues sur trois scènes s’étalant durant des périodes politiques et militaires majeures de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Débutant son récit durant les guerres de l’an II7 », où le briscard mutilé passe les consignes au jeune Coignet et lui confie ardemment le flambeau ; pour s’achever dans la bonne ville d’Auxerre en 1826. Après plus d’une décennie de campagnes napoléoniennes, le capitaine de la garde impériale Coignet termine sa carrière comme demi solde et transmet au jeune Canrobert le flambeau de la conscience et des vertus militaires.
Le style, ample et régulier, classique est coupé de formules brèves, entraine le lecteur dans l’épopée de quatre personnages. À travers cet écrit, Charles de Gaulle prouve qu’il maîtrise également le genre théâtral. Passionné d’histoire, de Gaulle embrasse les guerres révolutionnaires, le Consulat, le 1er Empire et la Restauration. Par cette division, chaque scène forme une partie distincte d’une période achevée. Deux des quatre personnages seulement sont fictifs, et en même temps plausibles. En favorisant de recueillir leurs témoignages imaginaires pour en faire une pièce, de Gaulle met leurs paroles au premier plan où l’action est restreinte à son minimum provoquée par la narration. Les faisant dialoguer, l’auteur leur donne consistance ; il en fait des lieux de passage qui nous ouvrent sur les épisodes essentiels de l’armée révolutionnaire puis impériale. Le Flambeau compile ainsi trois dialogues sur trois scènes s’étalant durant des périodes politiques et militaires majeures de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Débutant son récit durant les guerres de l’an II, qui feront de l’ancien royaume une France nouvelle, un briscard enseigne à un jeune volontaire les grandeurs et servitudes d’un citoyen aux Armées. Il en est ainsi pendant sept ans.
Ce dialogue se poursuit dans la seconde scène pendant la période de la campagne d’Italie puis du Premier Empire, « temps d’arrêt pour toutes les expressions de la vie politique intérieure », où le briscard ; mutilé ; passe les consignes au jeune Coignet et lui confie ardemment le flambeau ; pour s’achever dans la bonne ville d’Auxerre durant la seconde Restauration. Après plus d’une décennie de campagnes napoléoniennes, le capitaine de la garde impériale Coignet termine sa carrière comme demi-solde et transmet au jeune Canrobert le flambeau de la conscience et des vertus militaires.
Avec cette pièce, de Gaulle arrive à nous séduire par la légèreté de sa plume et la valeur des principes qu’il véhicule. Le Flambeau, devient enseignement en nous permettant de saisir précisément comment se met en place une réflexion sur la conduite des évènements en cas de crise, la conduite à adopter envers les hommes et à tenir face au destin.
En leur prêtant l’action et le prestige du talent militaire au service de la Patrie, Charles de Gaulle tend également à élever l’âme et célébrer les nobles sentiments du patriotisme, en particulier lorsqu’il évoque l’histoire et ses grandes figures militaires du passé tout en blâmant les passions sordides et basses.
Au-delà de l’intérêt que suscite tout naturellement cette œuvre originale pour des amateurs érudits d’histoire, et des écrits du Général, c’est toute la philosophie militaire d’un Charles de Gaulle trentenaire qui transpire dans ces textes. Nous retrouvons là une foule d’éléments de la future pensée gaullienne.
Loin d’être anecdotique et, comme le souligne très justement Jean Lacouture dans son ouvrage de référence, cette pièce constitue « un repère utile dans l’évolution de la réflexion historique de Charles de Gaulle ». Toutefois, dans les biographies gaulliennes, Le Flambeau est invariablement recensé mais n’est malheureusement pas répertoriée comme une pièce de théâtre à part entière.
Certains textes de Charles de Gaulle sont aujourd’hui tout naturellement au programme des classes littéraires aussi ai-je trouvé nécessaire, en cette année commémorative du 130ème anniversaire de sa naissance et du 50ème anniversaire de son décès, d’honorer sa mémoire par cette édition et sortir de l’oubli ce manuscrit qui témoigne dès cette époque de l’attachement de Charles de Gaulle à la grandeur de la France et de son Armée.
Alexandre Wattin
Vice-président de l’Union des Gaullistes de France
Auteur de nombreux ouvrages sur la relation franco-allemande, il prépare actuellement une somme en trois tomes sur les structures nazies, les hommes et les femmes qui ont fait Hitler
- Charles de Gaulle, Le Flambeau, Préface d’André Bord, Saurat Éditions, 2000, 28p. .Charles de Gaulle, Le Flambeau, Edition présentée, établie et annotée par Alexandre Wattin, ; The BookEdition.com, 2020, 179p. https://www.thebookedition.com/fr/le-flambeau-charle-de-gaulle-p-373369.html?search_query=wattin&results=3#summary ↩
- Voir : « Les années de formation », sur le site de la Fondation Charles de Gaulle.. ↩
- Écrite en Alexandrins, la pièce met aux prises un bourgeois et un brigand. A l’époque le jeune de Gaulle participera à un concours littéraire à Lille où il présentera sa pièce. Ayant été retenu comme lauréat, le prix cette première consécration lui permettra de la faire publier. Par conséquent c’est le premier ouvrage officiellement enregistré au sein de la Bibliothèque Nationale de France. ↩
- Premier livre publié par Charles de Gaulle, en 1924, La Discorde chez l’ennemi est un essai d’histoire d’immédiate, le seul d’envergure consacré aux causes profondes et directes de l’effondrement du Reich wilhelmien. L’auteur explique et raconte les dissensions au sommet, les erreurs stratégiques et diplomatiques, comme la guerre sous-marine à outrance ; enfin la crise militaire et politique entraînant la déroute de l’automne 1918, conclue par la chute de Guillaume II et l’armistice du 11 novembre. ↩
- Le conseil supérieur de la guerre a été créé par décret le 27 juillet 1872 ; il était formé pour réunir les principaux généraux des différentes armes, en présence du chef d’état-major et en l’absence du ministre, pour coordonner les différentes actions au sein de l’armée. ↩
- « Le séjour de Germersheim fait date dans notre histoire. Si l’absorption des derniers éléments du 32èmeB.C.P., vieux compagnon d’armes de Saint-Quentin, que le 19ème relève sur les bords du Rhin, ne constitue pas un évènement capital, si la garde au pont de bateaux est médiocre mission pour les chasseurs de Grivesnes, c’est à̀ Germersheim que le bataillon troque son bonnet de police contre le grand béret. Devenu 19ème B.C.A., il s’équipe sur le mode alpin : des mulets remplacent ses voiturettes porte-mitrailleuses. Puis, le 15 septembre, les nouveaux alpins remontent la Queich et s’installent à Landau pour rendre les honneurs au général Gérard qui commande la 8ème armée d’occupation. Et, lorsqu’au mois d’octobre la cessation des hostilités est enfin reconnue sur le plan administratif, que les deux armées d’occupation font place à l’« Armée du Rhin », le quartier général de Landau est dissout et la 47ème division se regroupe entre Nahe et Moselle. Fanfare en tête, le 19ème B.C.A. défile dans les rues de Trèves, sa nouvelle résidence. » In : Le Lieutenant-colonel Montagnon, commandant le 19ème BCP, Historique du 19ème BCP – Page 37 de 60 – 15 septembre 1950. Numérisé́ par MT . ↩
- Voir : Théodore Muret, L’Histoire par le théâtre, 1789-1851. La Révolution, le Consulat, l’Empire, Amyot Éditeur Paris, 1865. ↩