Le système politique français est grippé. Le support politique est lézardé, ni la gauche ni la droite ne semblent en mesure de redresser une situation déplorable, déplore Jérôme Sainte-Marie, fondateur de la société d’études et de conseil PollingVox et enseignant à Paris-Dauphine. La crise de confiance généralisée se traduit dans les bulletins de vote qui illustrent la faiblesse de la représentativité. Comment expliquer un tel désaveu de la classe politique ? Quelles pourraient-être les évolutions des partis en présence ? Quel serait l’avenir du système politique ? Jérôme Sainte-Marie se propose dans cet ouvrage de faire “l’inventaire (avant liquidation ?) de l’ordre démocratique présent”, d’examiner simultanément les dynamiques et les contradictions au sein même des partis en présence. Son analyse démontre la gravité de la crise du système politique français et débouche sur l’éventualité d’une mutation profonde de notre ordre démocratique.
Comment une telle évolution est-elle rendue possible ? L’opinion française a de plus en plus le sentiment que le clivage entre les deux grands partis qui ont structuré la vie politique française s’est progressivement estompé. Les politiques publiques menées ne se différencient qu’accessoirement, et leurs résultats sont aussi décevants. “Disons-le franchement, la recherche de l’essence de la gauche et de la droite s’apparente à un jeu de l’esprit pour amateurs de querelles byzantines”, souligne Jérôme Sainte-Marie. En marge du pouvoir, une troisième force qui monte en puissance, le Front national, se distingue radicalement de la gauche et de la droite que ce soit sur l’immigration, sur la politique extérieure ainsi que sur la politique économique et financière, via le protectionnisme et la sortie de l’euro bousculant ainsi l’ordre établi.
Comment s’est opéré ce “glissement de terrains” ? Le succès de la gauche réside dans la croyance qu’elle était la protectrice du salariat, contre une droite qui aurait défendu la rente et le profit. D’ailleurs, en 2012, François Hollande avait réussi à se faire élire en qualifiant son adversaire de “Président des riches”. Or, le 31 décembre 2013, le Président Hollande annonce dans ses vœux aux Français le “Pacte de responsabilité” considéré comme une “révolution culturelle” provoquant la crise au sein de la gauche. “L’aveu que constitue le “pacte de responsabilité” atteint la crédibilité du projet social de toute la gauche, et pas seulement du Parti socialiste.” écrit Jérôme Sainte-Marie, détournant ainsi une bonne partie de l’électorat de gauche : un certain nombre d’intellectuels, beaucoup d’ouvriers et une partie des enseignants.
La “gauche de la gauche” ne se porte pas mieux ; l’auteur relève un certain nombre de contradictions qui l’empêchent de percer et démontre comment de cette idéologie “Rien de concret n’émerge de ses “rêveries””.
La droite n’échappe pas à ce désarroi généralisé : en effet, toutes les études révèlent les écarts de valeurs et de priorités parmi les sympathisants de la droite classique. Une concurrence vive se manifeste entre Républicains et Front national dans la perspective de 2017. Dans son chemin vers le pouvoir, le parti de Marine Le Pen devra faire face à la difficulté des choix politiques “pour articuler les anciennes références et les nouvelles, et élargir son audience sans décevoir ses fidèles”. Comme les départementales l’ont montré, le Front national peine à l’emporter au second tour, se heurtant à un “plafond de verre”. “Ce n’est donc pas sur le plan des valeurs, comme on le dit si souvent, mais sur celui de la crédibilité gestionnaire que se joue l’avenir électoral du FN” écrit Jérôme Sainte-Marie.
Le chapitre portant sur “les multiples chemins vers l’identitaire” est particulièrement prenant : l’auteur explique comment l’identité nationale ou l’identité de classe ont été abandonnées au profit d’une identité européenne floue, et d’identités religieuses, ethniques ou sexuelles. Tout se passe comme si les détériorations de la situation économique et sociale devaient être compensées par des avantages accordés à des groupes spécifiques. “Plutôt que d’unifier sur des revendications sociales, la gauche fragmente sur des appartenances supposées, sexuelles ou ethniques […] Il s’agit au sens strict d’une politique identitaire, bien plus redoutable que le discours sur l’identité nationale. Dans une société rongée par le chômage, c’est un jeu dangereux” affirme Jérôme Sainte-Marie.
Au final, le contexte actuel de crise sociale, de paupérisation et d’exaspération favorise l’émergence d’un nouvel ordre démocratique. Ce nouvel ordre oppose deux forces, l’une dominée par le Front national, l’autre faisant la synthèse de ce qu’il y a de commun au libéralisme économique et culturel professé dans les partis de gouvernement à gauche ou à droite. L’actuel jeu à trois est instable. Ce sera donc “trois en deux : vers une nouvelle bipolarité”, vers un nouvel ordre démocratique. L’opportunité de sa concrétisation complète et nationale en est le scrutin présidentiel de 2017 qui sonnera l’heure de vérité.
Jérôme Sainte-Marie a mis à profit dans cet ouvrage sa pratique du monde politique, sa connaissance des évolutions de l’opinion publique et son suivi des travaux universitaires, éclairant de façon objective la trajectoire politique de la France. Un ouvrage qui s’adresse à tout citoyen désireux de voter en toute connaissance de cause et de participer par là au renouveau de la vie politique française.
Jérôme Sainte-Marie
Le nouvel ordre démocratique
Editions du Moment, 2015
234 p. – 17,95 €